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Dans son nouveau livre, Tout peut changer, la journaliste canadienne Naomi Klein analyse les liens génétiques entre capitalisme et dérèglement climatique. Pour sauver le climat, il faut changer de système de production de valeurs, décentraliser nos démocraties et bouleverser nos modes de vie.

 

 

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Depuis le début de son œuvre singulière d’intellectuelle-journaliste-activiste, Naomi Klein poursuit une quête : quel est le bon récit des luttes ? Comment raconter une juste histoire de l’engagement aujourd’hui ? À l’orée des années 2000, cela tournait autour de la marchandisation du monde et de l’assignation identitaire par la pub (No Logo – Actes Sud). Sept ans plus tard, elle explorait des liens entre l’impérialisme guerrier, les traumatismes des peuples et le néolibéralisme (La stratégie du choc – Actes Sud). Aujourd’hui, elle affronte les ressorts systémiques de la crise climatique, avec un nouveau livre, sorti fin 2014 aux États-Unis : Tout peut changer (Actes Sud/Lux. Le titre est plus catégorique, et plus frappant en anglais : This changes everything).

 

 

L’enjeu n’est pas du tout celui du storytelling à la manière des néo-conservateurs qui voulaient façonner le monde à l’image de leurs obsessions (voir Dreams = Re-imagining progressive politics in an age of fantasy, de Stephen Duncombe). C’est plutôt l’idée d’une contre-propagande au discours dominant sur l’absence d’alternative. Pour que l’espoir d’un autre monde germe dans les esprits, il ne suffit pas d‘accumuler des faits : il faut aussi un grand tableau général qui leur donne du sens, de manière à semer un peu d’espoir dans le cadre d’interprétation.

 

À chaque fois, des experts relèvent des erreurs, contestent des faits et des dates. Mais l’essentiel n’est jamais là dans les livres-somme de Naomi Klein : ce qu’elle apporte, ce sont des diagnostics brillants sur les maux du capitalisme mondialisé, et sur ce qu’ils engendrent comme expériences sociales, politiques et culturelles. Avec toujours, une forte incitation à la rébellion contre cet ordre.

 

L’exercice a cette force et ce courage : formuler une hypothèse englobante à partir d’évènements épars, et proposer de grandes lignes directrices interprétatives. Cela s’accompagne forcément de faiblesses : le risque de la simplification ou de la caricature. C’est une entreprise intellectuelle hybride, à la fois nourrie de culture journalistique américaine, avec un sens précieux du détail dans la description, un art de la pédagogie, une sélection habile de personnages qui apparaissent dans le récit pour incarner des idées. Tout en ambitionnant de produire de la théorie. Le résultat est une œuvre originale, qui sort des clous français – on ne sait jamais trop dans quelle case la ranger ici : journalisme, militantisme, critique de la mondialisation – et la coince un peu dans les limbes de la polyvalence.

 

Elle n’a pas écrit les reportages les plus extraordinaires de son époque, n’est pas la plus grande théoricienne ni la plus héroïque des militantes. Mais elle est l’une des rares à se situer au croisement de ces trois registres et à exceller à cet exigeant mélange des genres. Sa notoriété internationale, acquise dès 2001 et la parution de No Logo, l’année du contre-G8 de Gênes, moment structurant pour le mouvement altermondialiste européen, confère un poids notable à ce qu’elle écrit. Chaque livre donne lieu à des mois de tournées, conférences, articles, rencontres et débats. Sa voix porte à l’international, ce qui lui octroie une autorité rare au sein de l’espace des pensées radicales.

 

Son nouveau livre propose une thèse forte et claire : le dérèglement climatique, causé par l’activité humaine, est gravement accentué par le capitalisme mais il en change aussi les conditions : on ne peut plus forer les énergies fossiles comme avant, on ne peut plus sous-estimer les impacts de la mondialisation sur l’écosystème. Or il n’y a pas de solution simple et technique au problème. Pour sauver le climat, il faut changer de système de production de valeurs, décentraliser nos démocraties et bouleverser nos modes de vie.

 

Les premières dizaines de pages du livre auront un air de déjà-vu pour celles et ceux qui suivent les politiques de transition énergétique en Europe, notamment en Allemagne. Il ne faut pas s’y arrêter car l’ouvrage développe par ailleurs une analyse captivante, et bouleversante, de ce qui nous lie, intimement, au changement climatique. Relatant son combat personnel contre l’infertilité, Naomi Klein en conçoit un sentiment de sororité avec les êtres qui s’éteignent à force de pollution et de saccage de leur écosystème. Des embryons humains et non humains peinent à se développer à cause des substances chimiques qu’eux ou leurs géniteurs absorbent malgré eux. Le taux de reproduction de nombreuses espèces sur terre et sur mer s’effondre et des cohortes d’individus ne voient pas le jour.

 

Cet hécatombe passe inaperçu car il est invisible. Et pourtant, il nous faut faire le deuil de ces bébés qui ne naîtront pas. Se battre pour donner la vie est une expérience commune entre eux et nous : « Espèce après espèce, le changement climatique crée des pressions qui privent les formes de vie de leur outil de survie le plus essentiel : la capacité à donner la vie et donner une suite à leurs lignées génétiques. A la place, l’étincelle de la vie s’éteint, étouffée à son stade premier, le plus fragile : dans l’œuf, dans l’embryon, dans le nid, dans la tanière. » Plus loin : « Pas de cadavres, juste une absence. » La question climatique n’est pas qu’un problème de fuite par millions de particules de CO2 dans l’atmosphère, de mégawatts à réduire et de changement d’affectation des sols. C’est un enjeu de beauté du monde, de profusion d’espèces, et de joie.

 

 

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Pendant la marée noire de Deep Water Horizon, côtes de la Louisiane, 2 mai 2010. (Reuters/Carlos Barria).

C’est l’une des expériences saillantes du dérèglement climatique : la barrière entre nature et culture ne tient plus, puisque c’est nous en tant qu’humains qui abîmons les conditions de vie sur terre, et que l’écosystème nous renvoie la balle en aggravant nos conditions d’existence. Ce qui était depuis toujours devient beaucoup plus visible, sensible et tangible : les interférences et échanges permanents avec les autres espèces, et même, le système Terre. C’est vertigineux, terrifiant et magnifique. Le livre de Klein chronique ce dévoilement, au fil des sentiments de la narratrice : son bonheur devant la beauté d’un saumon, son angoisse à l’idée qu’il va peut être disparaître, son amour des paysages près de chez ses parents, au Canada, qu’elle veut transmettre au fils qu’elle est finalement parvenue à mettre au monde.

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