Samir16 10 Posted April 23, 2015 Partager Posted April 23, 2015 Quand on veut cuisiner en Algérie, on a trois options: Suivre le modèle d'une recette écrite, répéter les instructions des mères et grands-mères, ou regarder un chef sur Samira TV produire une "Khalota". C'est en regardant ma grand-mère regarder la dite Samira assassiner des poulpes que m'est venue la réalisation linguistique suivante. Ces trois modes de cuisine représentent en fait les trois modèles suivis pour penser linguistique chez nous et répertorier la Derja. Soit nous suivons un modèle de recette externe, soit nous répétons ce qui nous a été répété, soit nous produisons une Khalota venue d'une école dont tout le monde connait les lacunes. Le modèle de recette externe et la répétition Si vous feuilletez les livres de cuisine produits en Algérie, vous aurez remarqué que les recettes sont rédigées soit en français dans un registre qui date de la période pré-indépendance DZ, soit en arabe-panarabique. Les débats sur le concept de langue menés chez nous proviennent aussi de ces périodes et sont restés figés dans ces trous noirs temporels. Le modèle recette Rumiya C'est le mode de penser la Derja sur le modèle de la recherche française pré-indépendance algérienne. Une recherche inspirée d'une vision coloniale de l'autre, qui divisait alors le concept langue de façon binaire: Langue versus dialecte, avec une majuscule s'il vous plaît. Selon ce mode de pensée, une langue est la version non-corrompue, c'est à dire pure, d'un code langage. Par contre un dialecte, on nous dit, est la version corrompue de ce code langage, corrompue de par son ignorance grammaticale et sa géographie régionale, entre autre. Mais si vous écoutez les mots vous entendrez leur étymologie se moquer de nous. Le mot langue, est un mot d'origine latine qui signifie la langue, celle dans la bouche et celle qui en sort. Le mot dialecte est un mot passé dans le latin, venu du grec, qui signifie entre (dia) parler (legein). C'est le parlé qui passe par la bouche en somme. Ces deux mots signifient et representent le même objet: Le langage. Ce n'est pas tout. Vous savez que le mot langue a une connotation positive, alors que le mot dialecte est de connotation négative. Rappel: L'armée latine a écrasé les grecs. Les romains n'ont pas détruits les mots grecs, mais en ont fourrés beaucoup avec la honte du perdant et la suprématie du gagnant. Le mot dialecte a ainsi été bourré à bloc de négatif alors qu'il ne décrit que ce que les latins ont eux même constaté: L'être humain parle. Ces deux mots ont été conservés et utilisés dans les sciences humaines du 19e siècle, non pas placés côte-à-côte mais l'un au dessous de l'autre, pour servir une cause politique exportable dans l'esprit de cet autre qu'on désirait conquérir. Ce n'est pas une coïncidence si le mot langue, d'origine latine, est le mot à connotation positive vu sa généalogie militaire. Une fois la motivation politique de cette vision reconnue, et la recherche devenue plus scientifique et objective, la division dialecte-langue a été abandonnée, elle n'est plus utilisée en linguistique depuis plus de 50 ans, même au sein de la recherche du centre du monde, la France, c'est pour dire. Ainsi, les dialectes n'existent pas, c'était une fabrication, un leurre pour rabaisser l'autre. La langue, elle, existe, même quand elle n'a pas d'armée terrestre et navale, et toutes fonctionnent selon un système interne qui ne demande qu'a être observé. Pourquoi les débats sur la Derja continuent-ils de se décliner sur une vision et division binaire chez nous? On entend et lit ad nauseum les faux opposés être régurgités: Langue-dialecte, élite-rue, langue française-langue arabe. Ces modes de penser notre monde, obsolètes et coloniaux sont caducs, périmés. En plus, leur ignorance des avancées de la recherche nous foutent la honte, l'internationale, la vraie quoi. Ils nous font tourner en rond. Ils nous lassent et surtout, ils étouffent les véritables questions de langue. Pour commencer à résoudre et promouvoir nos langues algériennes, il faut penser la Derja en terme de langue et lui rendre sa place usurpée, celle d'une langue officielle d'Algérie avec tout le respect de recherche et d'études qu'on lui doit. Citer Link to post Share on other sites
Samir16 10 Posted April 23, 2015 Author Partager Posted April 23, 2015 La recette panarabiste De même que nous sommes tous égaux et certains plus que d'autres, nous parlons tous l'arabe-panarabique et certains mieux que d'autres. Pour vous la situer diachroniquement, l'arabe-panarabique a évolué de l'arabe post-coranique. Ceux qui la parlent le mieux, nous dit-on, ne sont pas ceux qui la maîtrisent, ce sont ses ayant-droits, c'est à dire ceux qui sont issus des pays dans lesquels la langue "mère" -selon un arbre généalogique encore problématique (celui des langues dites sémitiques)- l'arabe post-coranique, était parlée. Logique? Non bien-sûr mais dans les affaires géopolitico-financières à la Dallas ce n'est pas la logique qui compte, c'est l'étendue du pouvoir et l'argent héréditaire. Comme dans une famille, les fils et petits-fils de la langue arabe géographiquement orginelle sont les pures, et les cousins sont de sang grammatical éloigné, mixé. On nous le dit, on nous le répète, on ne parle pas une langue, on parle une corruption. Selon ce mode d'appréhender la langue, en Algérie nous sommes donc des cousins corrompus qui parlons une version ratée, frappée, crue: La Derja. La preuve! Il y a des mots de langue étrangère dedans, et même beaucoup. Mais dites, dans le français, il y a quand même pas mal de mots latins, et est-ce que le français est du latin raté? Pour ceux qui doutent: Non. La Derja n'est pas une corruption de l'arabe, ni diachroniquement ni synchroniquement. C'est une langue à part entière, une langue d'Algérie, la langue des algériens, et si elle n'est pas celle de tous les algériens cela n'en fait pas une sous-langue, tout comme les langues Tamazight n'en sont pas non plus. La Derja n'est pas à confondre avec l'arabe panarabique, cet arabe qu'on a forcé dans les écoles au moment de l'arabisation. Elle prend ses racines dans l'arbre sémitique, c'est tout, et c'est déjà pas mal. Dire que la Derja n'est pas de l'arabe ne devrait pas être utilisé comme une insulte pour la réduire. C'est un constat de fait de langue. Il est grand temps de lancer une MAJ post-colonisation dans notre vocabulaire et nos esprits en même temps pour les décolonisés. Ensuite on pourra parler de registre de langue, de plusieurs variances, sans complexes, et tout en étant conscients que ceux-ci ne sont pas preuve d'un handicap mais d'une richesse. La recette Khalota: Les conflits d'élites L'élite algérienne c'est pas Samira, elle n'a pas de plateau télé, elle n'est pas connue. D'ailleurs, elle est inconnue. Qui est-elle, où est-elle? Entend-on. Qu'est ce qu'une élite, même? On cherche, on questionne. Je vous répondrais, on s'en fout. Laissons les débats coloniaux et débats d'égocentriques de coté une minute. Soyons plutôt sérieux et productifs et demandons-nous: Comment écrire Khalota? Car le point faible de mon billet, entre autre, c'est qu'il est écrit en français pour parler de promouvoir la Derja. Il faut se demander à qui je parle. Aux francophones, aux Derjaphones, aux tamazighophones, aux panarabistes, aux panafricanistes, à l'oreille de la main étrangère? Pourquoi n'écrivons-nous pas en Derja? Pourquoi les seuls dictionnaires de Derja produits sont des dictionnaires bilingues Derja-français et Derja-arabe et non pas Derja-Derja comme les dictionnaires dits standards. On nous dit, on n'a jamais beaucoup écrit en Derja, ni depuis longtemps, car cette langue est de tradition orale. Pourtant on a de tels écrits. On nous dit aussi, on n'a pas d'alphabet, pas assez de mots, pas assez d'Histoire. On est des pas assez. Et pourtant, nous avons tous les moyens de produire en Derja, à l'oral et à l'écrit, et surtout sans complexes de monolingues, sans avoir à la choisir par défaut mais juste parce qu'on l'aime et qu'elle ne nous fait pas honte sur la place publique nationale et internationale. On a les mots sur et dans la langue, et ceux qu'on a pas on les inventera, comme on le fait tous les jours entre nous, quand on se raconte notre vécu, celui qu'un jour on finira par écrire pour dire aux cultures de tradition écrite que nous aussi, on sait parler. Source HuffingPostMaghreb Citer Link to post Share on other sites
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