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Ijtihad: Entretien avec Kamel Chekkat


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Actuellement, des chouyoukh autoproclamés et des charlatans qui officient sur des chaînes privées multiplient les fatwas. Qui sont, à votre avis, ces «prétendus» imams ? D’où viennent-ils ?

Le jour où nous saurons qui ils sont réellement et d’où ils viennent, nous arriverons à élucider le mystère Daech qui pèse plus de 500 milliards de dollars.

 

Ce qui est sûr, du moins à travers toutes ces fatwas bizarres que débitent ces pseudo-savants, c’est qu’ils sont les plus éloignés de l’esprit du Coran et de la Tradition du Messager de Dieu, paix et bénédiction sur Lui.

 

Parmi justement ces chouyoukh, un dénommé Hamadache a appelé à la création d’une ambassade de Daech en Algérie. Mais ni la corporation des imams, ni les savants de la religion ou de l’Association des oulémas n’ont dénoncé cette dérive. Pourquoi cette passivité ?

 

Pourquoi voulez-vous que la corporation des imams réagisse à ces propos, alors que les officiels ne font rien ? D’autant plus qu’il a été très habile en conditionnant la chose par une reconnaissance des autres Etats. Ne soyez pas choquée si cela venait à se produire un jour.

 

Et dites-vous bien que si Daech allait dans le sens des intérêts des puissants de ce monde, cette organisation ne pourrait qu’être reconnue un jour. Churchill disait : «Il n’y a pas d’ennemis éternels (…), il n’y a pas d’amis éternels (…), mais il y a les intérêts éternels.»

 

Mais les Algériens font également face à un flux de fatwas venant d’Orient, plus précisément de pays du Golfe. Comment expliquer cette inflation de fatwas qui est étrangères à l’islam que nous connaissons depuis des siècles ?

 

Ceci me renvoie à la différence que l’on pourrait trouver entre les catholiques et les protestants. Les catholiques jouissent, généralement, d’une spiritualité beaucoup plus développée qu’elle ne l’est chez les protestants ; mais en dépit de cela, l’Eglise protestante prend de l’ampleur à travers le monde, alors que le catholicisme est en perte constante de vitesse.

 

Finalement, tout est question de moyens. Alors que les catholiques sont toujours dans des techniques obsolètes de prosélytisme, les protestants mettent les moyens dans des techniques hautement élaborées de communication.

 

L’esprit religieux du Golfe, avec tout l’archaïsme qui le caractérise, a pris le dessus dans les pays du Maghreb parce qu’il est bien appuyé par la finance. Imaginez donc ce que peut faire un discours des plus extrémistes, lorsqu’il est bien soutenu financièrement, dans un monde où la vérité n’appartient pas à celui qui dit vrai, mais à celui qui parle le premier et le plus longtemps.

 

L’islam à travers le monde a été aussi terni par des courants étrangers à l’islam, comme le salafisme.

 

Tout d’abord, le salafisme n’est pas étranger à l’islam. Chaque musulman est censé être un «salafi» dans la mesure où il doit se conformer à un islam qui nous a été transmis, essentiellement, par «e’ssalaf e’ssalih».

 

Cette appellation concerne les trois premières générations de l’islam, à savoir les compagnons (sahaba), leurs successeurs (tabiîne) et les successeurs des successeurs (tabiî e’tabiîne).

 

Quiconque aspire à un islam authentique n’a d’autre option que de se fier à l’esprit et aux jugements des savants de ces trois générations. C’est d’ailleurs grâce à leur «bonne pratique» de l’islam que cette religion a pu se propager pour devenir ce qu’elle est aujourd’hui.

 

Le problème ne réside pas dans le salafisme, mais dans ceux qui veulent faire du wahhabisme la «norme» sous un habit salafiste. L’islam est une religion simple et réaliste, même au niveau du dogme.

 

A chaque fois que des gens ou des groupes se sont écartés de cette simplicité et de ce réalisme, il y a eu dérive.

 

A l’exemple du salafisme actuel, qui n’est en réalité qu’une partie de la pensée hambalite, des adeptes des principales écoles juridiques (madhahib) ou du monde soufi ont produit, par leurs dérives, des courants de pensée tout aussi étrangers à l’islam que ce que nous voyons actuellement.

 

Contrairement aux années précédentes, aujourd’hui, il semble que le Maghreb éprouve d’énormes difficultés à se prémunir de cette influence religieuse venue du Machrek…

 

Pour ne parler que de l’Algérie, le problème est beaucoup plus lié à la mentalité de l’Algérien qu’aux idées qui nous viennent d’Orient ou d’Occident.

 

La course aux intérêts et au leadership fera toujours qu’aussi mauvaises soient-elles, les idées ou les influences qui assurent l’intérêt et le leadership seront les bienvenues.

 

Cela est valable autant dans les cercles religieux que dans ceux qui leur font opposition.

 

 

Est-ce que l’absence d’ijitihad, dans le sens de la relecture du Coran et de la charia, explique cette tendance à chercher une autre façon de pratiquer ou de vivre l’islam ?

 

Sachez que depuis l’avènement de l’islam, pour peu que l’on ait une connaissance même minime de l’évolution du droit musulman, l’ijtihad ne s’est jamais arrêté, comme il plaît à certains de le prétendre. Il est clair qu’une «relecture» du Coran prenant en considération l’espace, le temps, la nécessité et la contingence s’impose.

 

Sauf que ceux d’entre nous qui sont contre l’ijtihad à outrance le sont parce qu’ils ont peur de perdre leur ascendant sur les esprits faibles (entre autres) ; avec ces esprits, on ne peut qu’aller vers une dictature religieuse.

 

Alors que ceux qui sont en faveur de l’ijtihad à outrance, eux aussi le sont parce qu’ils pensent que l’ijtihad leur permettra de faire des «réaménagements» susceptibles de rendre l’islam plus soft ; et avec ceux-là, on ne peut qu’aller vers une dictature libertaire avec, comme risque éventuel, l’incapacité de faire la différence entre la laïcité et l’athéisme.

 

Récemment, le ministre des Affaires religieuses a déclaré que le danger du radicalisme menace la rue plus que les mosquées. Partagez-vous cet avis ? Comment y remédier ?

Le radicalisme, quel qu’il soit, obéit à un processus de sclérose mentale via différentes phases d’endoctrinement. Il faut savoir que là où il s’installe, même s’il disparaît après avoir connu un pic d’activité (comme la décennie noire), il laisse des séquelles qui vont se transmettre de manière transgénérationnelle.

 

A partir de là, il devient évident que ce ne sont pas uniquement les mosquées qui sont touchées, mais la société dans sa globalité. Pour ce qui est du remède, il serait ubuesque de l’attendre uniquement du pôle religieux. Il doit émaner d’une assemblée collégiale regroupant toutes les disciplines et les compétences nécessaires à la résolution d’un problème de ce genre.

 

Et c’est ce que nous n’arrivons toujours pas à faire.

 

Source EL WATAN

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