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La double peur des musulmans de France


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ILS SONT EXPOSÉS À LA FOIS AU TERRORISME ET AUX ATTAQUES ISLAMOPHOBES

 

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Comme tous les Français, les habitants des cités de banlieue d’origine musulmane découvrent un terrorisme de masse qui les terrifie. En outre, ils craignent de devenir, à cause de leur confession, les victimes expiatoires de représailles islamophobes. Reportage

 

Les banlieues se murent. Elles ont peur. Aux Bergeries Saint Hubert, dans l’Essonne (département d’où est issu Ismaïl Omar Mostafai, un des kamikazes du Bataclan), le ciel gris projette sur le quartier un voile de tristesse.

Ce lundi matin, les mamans qui ont l’habitude de papoter un peu, à côté du groupe scolaire où elles ont déposé leurs enfants, sont vite rentrées à la maison. “Il ne fait pas bon de rester dehors”, confie Salima, croisée à la sortie de la boulangerie. C’est la première fois qu’elle met les pieds hors de chez elle depuis les attaques de vendredi. Elle est épouvantée, troublée par l’idée que tout peut arriver maintenant.

“Je ne sais plus. Ce matin, en emmenant ma cadette à la maternelle, une idée sombre a subitement traversé mon esprit. J’ai imaginé une prise d’otages qui pourrait avoir lieu dans l’école ou plus loin, dans le collège où vont mes deux garçons. J’ai également pensé à mon mari qui a pris le RER ce matin pour aller travailler à Paris, me disant que quelqu’un pourrait facilement déposer une bombe dans le train.

Que voulez-vous, nous sommes comme tout le monde, nous avons peur. Les terroristes ne font pas de différence. À Paris, ils ont tiré sur toutes les personnes qu’ils avaient en face d’eux, peu importent la couleur de leur peau ou leurs origines”, révèle-t-elle, les traits tirés.

Française de cœur et de nationalité, cette jeune femme, qui a rejoint son mari, également d’origine algérienne, en France, au début

des années 2000, dévoile une peur supplémentaire. Si les cibles, pour les kamikazes, n’avaient pas de visage, elle craint que le sien, encadré par un voile qu’elle porte depuis longtemps, la transforme, en victime expiatoire d’un déferlement islamophobe probable.

“Comme après Charlie Hebdo, certains ne vont pas hésiter à accuser les musulmans de France, surtout les gens qui habitent dans des cités de banlieue, réputées aujourd’hui être le fief des terroristes”, explique pour sa part Kader, un chauffeur de bus, qui réside aussi dans les Bergeries. Dans la nuit de dimanche, d’autres quartiers à forte concentration émigrée, dans l’Île de France, mais également à Toulouse et à Grenoble, Marseille, Lyon… ont fait l’objet de descentes de police. L’ampleur de ces opérations coup-de-poing réside dans le bilan présenté par le ministre de l’Intérieur. 104 assignations à domicile, 168 perquisitions administratives qui ont abouti à des arrestations et à la récupération d’armements et de drogue.

Ce n’est pas le cas, du moins pas encore aux Bergeries. Selon Kader, les jeunes qui avaient l’habitude d’occuper les allées et les entrées d’immeubles, ont disparu comme par enchantement. “Ils préfèrent sûrement se mettre à l’abri d’autant que leurs rapports avec la police ne sont pas vraiment cordiaux”, dit le chauffeur de bus.

Sur la façade de la boulangerie, où les clients continuent d’arriver, une fresque en mosaïque montée par les enfants du centre social du quartier, porte les prénoms de deux adolescents décédés, Eric et Gregory. Elle a été réalisée pour célébrer les valeurs du vivre ensemble dans un quartier populaire, où le mal être des plus jeunes se traduit par des actes de délinquance et des épisodes de violence comme en 2005, lorsque les Bergeries ont rejoint le tourbillon des émeutes qui avaient embrasé la France.

Pour punir les casseurs, la municipalité avait alors décidé de suspendre les allocations que percevait leur famille. Mais cela n’a servi de leçon à personne. Les actes de délinquance n’ont pas cessé. Le trafic de drogue également. “Ces jeunes sont comme des territoires en jachère. Ils ont été victimes du décrochage scolaire, n’ont pas de travail. Ils rôdent dans la cité et prennent rapidement le mauvais chemin”, explique Safia, une ex-assistante sociale en ajoutant qu’aux Bergeries comme dans les autres quartiers de banlieue, les adolescents surtout sont mal encadrés, souvent livrés à leur sort.

Ce qui exacerbe leur sentiment d’exclusion. À première vue pourtant, la cité a des allures de havre de paix. Construite sur un parc qui jouxte un château et une forêt, elle s’élève dans un écrin de verdure. Ici, point de barre d’immeubles immenses.

 

Vie en vase clos et frustrations

Les bâtiments, 29 au total, abritent un millier d’appartements d’apparence agréable. La cité est pourvue d’un groupe scolaire, d’un petit centre commercial, d’un centre social et d’un stade de football. Une piscine ainsi qu’un restaurant MacDonald se trouvent également à proximité. Mais cela ne semble pas suffire.

“Je pense que tous ces jeunes ont surtout besoin de travail”, commente Hocine, un grand-père venu d’Alger rendre visite à son fils et à sa famille.

Safia pense, quant à elle, que les habitants des Bergeries sont frustrés par la vie en vase clos, séparés des autres Français et en quelque sort rejetés. “Dans les écoles locales, la majorité des enfants sont de parents d’origine étrangère”, fait-elle remarquer, craignant que les dernières attaques terroristes isolent davantage les habitants de la cité et les exposent à une plus grande stigmatisation et éventuellement à des actes de représailles qui se multiplient ces derniers jours, ailleurs.

Dans le Morbihan (Est de la France), un homme d’origine maghrébine a été passé à tabac au cours d’une manifestation anti-immigration organisée par un groupuscule d’extrême droite.

À Evreux (dans le département de l’Eure), des tags racistes et des inscriptions du type “mort aux musulmans” ou “la valise ou le cercueil” ont été griffonnées sur la façade de la mairie et dans différents autres endroits de la ville. Dans le Val-de-Marne, près de Paris, des croix rouges dégoulinantes de peinture rouge ont été dessinées sur le mur d’une mosquée.

“Je ne comprends pas le sens de toutes ces actions. C’est comme si l’ensemble des musulmans était coupable”, déplore Hocine, le grand-père algérois. Il a été lui-même témoin, il y a 20 ans dans son pays, du déferlement d’un terrorisme aveugle où les victimes comme les coupables étaient musulmans. “Mon fils, qui a pris la nationalité française et a choisi de vivre dans ce pays, est-il moins citoyen que les autres ? Doit-il afficher un profil bas parce qu’il est de confession musulmane ?”, demande le vieil homme, révolté. Dans deux semaines, ses vacances seront finies. Il retournera en Algérie. De son côté, la cité des Bergeries attendra sûrement que la tempête passe, réfugiée dans ses murs, en proie à ses peurs… multiples.

Source: S. L.-K. liberté

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