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Boualem Sansal : l’Abi, le FIS et les sains d’esprits


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Son dernier roman est un best-seller en France. Avec 2084, publié chez Gallimard, Boualem Sansal est l’un des lauréats du Grand Prix du roman de l’Académie française.

La France l’adore. En Algérie, le regard est tantôt teinté de méfiance, tantôt de fierté. Boualem Sansal, comme Kamel Daoud hier et Yasmina Khadra jadis, fait partie de ces inclassables. À Boumerdès, ses longs cheveux détonnent. Une crinière grise comme d’autres brandissent leur panache blanc. D’ailleurs, les mots de la guerre ne sont jamais bien loin. « Je me suis mis à écrire comme on enfile une tenue de combat » confie-t-il au Figaro. Un combat contre l’extrémisme. Le totalitarisme islamiste. « L’Abistan », de son dernier roman ?

 

Le discours est empreint de nostalgie quand il se remémore cette Algérie d’avant. « Jusqu’au début des années 90, l’Algérie était un pays socialiste où l’islam occupait à peu près la même place, marginale, que le christianisme en France, raconte-t-il au Monde. Nous vivions dans une religion transparente. » Puis l’islamisme s’est imposé : « Les pratiques vestimentaires se sont modifiées. Les barbes se sont mises à pousser, on se croirait en Afghanistan. »

 

À l’époque, l’homme est appelé au ministère du Commerce. Il est diplômé de l’École Polytechnique d’Alger, spécialisé en électromécanique. « Je connaissais bien les problèmes de la dette » justifie-t-il. Aux avant-postes du pouvoir, il voit s’effondrer le bloc soviétique. L’Algérie se convertit à l’économie de marché.

 

En 1996, le voilà nommé directeur général de l’Industrie. Trois ans plus tard, Abdelaziz Bouteflika entame son premier mandat. Lui publie son premier roman. Le Serment des Barbares. « À ce moment-là, les Algériens étaient fiers que l’un de leur compatriote soit publié chez Gallimard. » Le livre est sélectionné pour plusieurs prix, dont le Goncourt.

 

L’année suivante, L’Enfant fou de l’arbre creux suscite moins d’enthousiasme. « J’affirmais que nous sommes les premiers responsables de ce qui nous arrive. Nous avons laissé la dictature s’installer, nous sommes allés écouter les prêches à la mosquée. »

 

Boualem Sansal se met à dos le régime et les islamistes. Trois ans plus tard, il est limogé de son poste au ministère, « en cinq minutes et sans indemnités. » Commencent les années de galère : « Je suis resté longtemps sans salaire. Je ne pouvais travailler ni dans le public, ni dans le privé. Tout le monde m’évitait. » L’homme raconte que ses proches sont harcelés. Son frère subit des redressements fiscaux. Manque de se suicider. Sa seconde épouse est poussée à quitter son poste de professeur de mathématiques. Il hésite à émigrer. Mais « partir ce serait céder à ceux qui m’ont persécuté. C’est une question d’amour-propre. »

 

De l’amour-propre, il en faut pour accepter quelques années plus tard l’invitation du Salon du livre de Jérusalem. Plus qu’un pied de nez, un bras d’honneur. À son retour en Algérie, il est menacé, conspué, banni. « On n’est pas obligé d’aimer son pays pour y rester », philosophe-t-il.

 

Entre-temps, Boualem Sansal reçoit le prix de la paix des libraires allemands à Berlin. « Je n’ai même pas été félicité par le maire de ma petite ville de Boumerdès » regrette-il. Entre-temps aussi, Gallimard a publié son troisième roman, Le Village de l’Allemand, où l’écrivain établit un lien entre nazisme et islamisme. Il observe, à la loupe, l’évolution de certaines banlieues en France : « J’ai relevé une grande similitude dans ce travail souterrain avec ce qui est arrivé dans l’Algérie socialiste de l’après-indépendance. » Au Figaro Magazine, il décrit « l’apparition d’imams venus de l’étranger qui ont peu à peu investi le pays au point que nous en sommes arrivés à cette terrible guerre civile » et le remplacement de « l’islam traditionnel pacifique et très solidaire par un islam tout bizarre, bricolé n’importe comment, nerveux, agressif. »

 

En interview, Boualem Sansal met en garde « les intellectuels qui, tels des idiots utiles, marchent dans ce système de victimisation de l’islam et de l’émigré. » Il se définit volontiers comme « islamistophobe » et rejette le concept même d’ « islamophobie. » « Les musulmans, qui ont leur fierté, ne supportent pas d’être considérés comme des handicapés, des victimes éternelles, des quémandeurs de je ne sais quelle justice. »

 

D’ « islam », il n’est officiellement pas question dans son dernier livre, 2084 – toujours chez Gallimard. Dans cette magistrale réinterprétation de George Orwell, le mot n’apparaît pas. Le romancier décrit un empire, l’Abistan, où le peuple est soumis à une dictature religieuse. Il ne lui est pas permis de douter. Avec sa « vision tragique de l’avenir », Boualem Sansal, lui, doute. Tout le temps. « L’humanité me désespère, lâche-t-il. Dès que les humains sont plus de trois, ils deviennent des moutons. »

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