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L'ARMÉE TURQUE ENGAGE LES FORCES KURDES SYRIENNES


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NOTE D'ACTUALITÉ N°422

L'ARMÉE TURQUE ENGAGE LES FORCES KURDES SYRIENNES

 

Alain Rodier 14-02-2016

 

Le 13 février 2016, la Turquie a mis une partie de ses menaces à exécution. Ayant désigné unilatéralement le Parti de l'union démocratique (PYD) kurde syrien comme un mouvement « terroriste » pour les liens qu'il entretiendrait avec le PKK, Ankara a commencé à bombarder des positions que les Unités de protection du peuple (YPG), le bras armé du PYD, venaient de conquérir dans le « corridor d'Azaz » au nord d'Alep[1]. La base aérienne de Mennagh, que le Front Al-Nosra venait d'abandonner aux forces kurdes après l'avoir occupé pendant deux ans, était plus particulièrement visée. Du temps de la présence du Front Al-Nosra - mouvement effectivement reconnu comme « terroriste » par les Nations Unies -, la Turquie s'était bien gardér de la moindre action belliqueuse à son égard. Ce pilonnage d'artillerie n'est pas un hasard car, cette base aérienne, une fois remise en état, pourrait éventuellement servir de plateforme de ravitaillement pour les forces kurdes du PYD grâce à la mise en place d'un pont aérien, option qui semble séduire les Russes. Il est évident que tant que les pistes sont sous la menace des tirs turcs, elles sont inutilisables !

 

Pour les Kurdes syriens et le pouvoir en place à Damas, il est très difficile de répondre à ces tirs délivrés depuis le territoire turc, pour deux raisons. La première est politique, car cela serait considéré comme une agression d'un pays membre de l'OTAN et cela pourrait alors provoquer un engagement de l'Alliance aux côtés d'Ankara, même si ce sont les Turcs qui ont ouvert le feu les premiers. La seconde est technique : si l'artillerie turque peut effectuer des tirs à longues distances (entre 20 et 30 kilomètres) grâce à ses obusiers de 155 mm Firtina ou M-52T, les Kurdes n'on aucune arme capable de fournir des feux de contrebatteries. La Turquie avait déjà effectué des tirs de semonces il y a quelques mois,, quand des forces du PYD avaient fait mine de traverser l'Euphrate vers l'est pour se diriger vers la ville de Jarabulus tenue par le groupe Etat islamique (GEI ou Daech).

 

Le régime turc ne veut pas que les Kurdes syriens s'emparent de la région frontalière qui s'étend de la région d'Afrin, à l'ouest, jusqu'à l'Euphrate, à l'est. En effet, cela constituerait une continuité territoriale avec les autres « cantons » déjà tenus par les Kurdes tout le long de la frontière turco-syrienne. Cela pourrait faciliter la création d'une zone autonome, voire pire, d'un « Etat » kurde, hypothèse qu'Ankara refuse d'envisager.

 

La communauté internationale attend maintenant ce que va faire Ankara dans les prochains jours. Un accord a été conclu avec Riyad pour déployer éventuellement des troupes au sol en Syrie pour « combattre Daech ». Déjà, des premiers chasseurs-bombardiers saoudiens seraient arrivés sur la base aérienne d'Inçirlik où sont stationnés des avions Américains qui interviennent quotidiennement en Syrie, dans la cadre de la coalition internationale dont font partie l'Arabie saoudite et la Turquie. Même si l'option terrestre semble actuellement relever plus du vœu pieux que de la réalité, la Turquie a les moyens militaires de déclencher une opération d'envergure depuis sa frontière pour « libérer » une « zone tampon » d'une trentaine de kilomètres de profondeur qui s'étendrait d'Azaz ,à l'ouest, à Jarabulus à l'est.

 

En effet, cette zone est placée sous le commandement de la 2e Armée (la Turquie en a trois), dont l'état major est situé à Malatya. Elle comprend le 6e corps d'armée, basé à Adana (à côté de la base aérienne d'Inçirlik) et le 7e corps d'armée de Diyarbakir. Ce dernier a plutôt en charge la lutte engagée contre le PKK dans le sud-est du pays, le long des frontières irakienne et iranienne, et à l'intérieur du pays jusqu'à la région du lac de Van. Ce sont donc les 5e et 20e brigades blindées et la 39e brigade mécanisée du 6e corps d'armée qui pourraient être engagées, en recevant des renforts de brigades commando et d'artillerie. Le total atteindrait entre 15 000 et 20 000 hommes, des centaines de chars de bataille M-60T et M-60 ATT, des transports de troupes FNSS ACV-15 et des MRAP, que la Turquie possède en nombre. A noter qu'il ne devrait pas y avoir de matériels allemands comme les chars Léopard 2A4 dont la Turquie possède 354 exemplaires. En effet, Berlin a toujours interdit l'emploi de ses matériels militaires livrés à la Turquie dans la lutte contre les séparatistes kurdes. Mais la 2e Armée n'en n'est donc pas dôtée. Bien sûr, l'opération terrestre serait appuyée par les chasseurs bombardiers et des voilures tournantes.

 

La participation saoudienne se limiterait sans doute à l'envoi de quelques forces spéciales, toute son armée étant actuellement monopolisée par la guerre menée au Yémen et à la protection de sa frontière avec l'Irak.

 

Plusieurs questions se posent :

 

Erdogan est-il assez fou pour passer à l'action ?

Quelles vont être les réactions des Russes et dans une moindre mesure de l'armée syrienne ?

Quelle pourrait être la réaction de la communauté internationale ?

Et la principale : ne serait-ce pas le début de la Troisième Guerre mondiale ?

 

 

[1] Cf. Note d'Actualité n°421, « Turquie. Le président Erdogan se fâche », février 2016, http://www.cf2r.org.

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TURQUIE : LE PRÉSIDENT ERDOGAN SE FâCHE

 

Alain Rodier 12-02-2016

 

 

 

 

 

En février 2016, le président Reccep Tayyip Erdogan a fait part de sa colère vis-à-vis de Washington, accusé de soutenir les « terroristes » kurdes pour lutter contre Daech. Il a notamment déclaré : « depuis que vous refusez de les reconnaître [comme une organisation terroriste, ndla], la région s'est transformée en une mare de sang (...). Hey, l'Amérique ! Vous ne pouvez pas nous forcer à reconnaître le PYD (Parti de l'union démocratique) ou les YPG (Unités de protection du peuple, la milice du PYD). Nous les connaissons très bien, autant que nous connaissons Daech ».

 

 

 

Mardi 9 février, John Bass, l'ambassadeur des Etats-Unis en Turquie était convoqué au ministère turc des Affaires étrangères, suite aux déclarations, la veille, du porte-parole du département d'Etat américain affirmant que le PYD n'était pas un mouvement terroriste. Le lendemain, le président Erdogan s'interrogeait une nouvelle fois sur la réalité du partenariat entre la Turquie et les Etats-Unis.

Le soutien des Etats-Unis aux Kurdes de Syrie

 

Les Etats-Unis mettent beaucoup d'espoir sur la coalition des Forces démocratiques syriennes (FDS) qui regroupe : les unités de l'YPG[1] et de l'YPJ (branche féminine du YPG) -et des forces arabes et Syriaques. Le YPG avait publié en septembre 2015 la déclaration suivante : « Les rapides développements dans les domaines politiques et militaires [en Syrie] nécessitent la constitution d'une force militaire nationale unie pour tous les Syriens, incluant des Kurdes, des Arabes, des Syriaques et tous les autres ». Cette coalition est officiellement composée du YPG/YPJ, du Jaysh al-Thuwar (Armée des rebelles), des milices tribales Al-Sanadid, de la brigade des groupes d'Al-Jazira et de l'état-major Bourkan al-Firat. Elle est loin d'être une nouveauté car ces mouvements coordonnaient déjà leurs actions au sein d'un état-major commun pour combattre Daech lors de la défense de Kobané, puis à l'occasion de la prise de Tall Abyad[2],, au printemps 2015. Il est important de souligner que ces forces ne se sont jamais opposées à celles de Bachar el-Assad, ce dernier ayant évacué les zones kurdes en 2011-2012[3].

 

Dès octobre 2015, les Américains approvisionnaient en armes et en munitions cette coalition dans la région d'al-Hasakah située au nord-est de la Syrie. Ankara s'était déjà montré hostile à cette aide américaine aux Kurdes syriens. C'est d'ailleurs pour cette raison que Washington ne désigne généralement pas le PYD comme son interlocuteur, mais les FDS. Une exception de taille est survenue lors de la visite rendue par Brett McGurk, un émissaire du président Obama, qui a visité Kobané début février 2016.

 

Des membres des forces spéciales américaines ont été dépêchées auprès des FDS, officiellement pour les conseiller. L'objectif est de mener à bien une offensive vers la ville de Raqqa qui, début 2016, ne se trouvait plus qu'à une vingtaine de kilomètres de l'avant-garde des FDS. Une victoire importante a été la reprise du barrage de Tichrine sur l'Euphrate, près de la localité de Manbij, le 26 décembre 2015, ce qui a compliqué considérablement la liaison Raqqa-Alep. Or cet axe est vital pour les forces de Daech qui participent actuellement à la bataille d'Alep. Des avions américains - dont des A-C10C Thunderbolt II - déployés en Turquie appuient directement les FDS.

 

Mais cette offensive se heurte à de nombreuses difficultés. La majorité des combattants non kurdes qui sont présents aux côtés du YPG commandé par Sipan Hemo, font partie de groupuscules constitués de villageois arabes ou syriaques qui n'appartiennent à aucune structure, mais qui sont animés du refus de subir le joug de l'État islamique (EI). Leur importance tactique est minime car limitée à la défense des portions de terrain dont ils sont originaires.

 

Si depuis le début de l'offensive en octobre 2015, la progression des forces du FDS a été relativement rapide, cela est dû au fait que Daech n'a pas opposé de résistance ferme en raison de la nature du terrain, peu propice au combat défensif. La chose va être autrement compliquée lorsque les faubourgs de Raqqa seront été atteints, d'autant qu'il ne fait pas de doute que l'EI va défendre bec et ongles sa « capitale », question de prestige. D'ailleurs, depuis plusieurs semaines, les forces du FDS semblent être bien statiques.

L'objectif des Kurdes syriens qui irrite Ankara

 

L'objectif des Kurdes syriens n'est pas de conquérir Raqqa - ville à majorité sunnite-, dont ils n'ont que faire, mais de tenter d'unifier toutes les zones qu'ils contrôlent déjà le long de la frontière turque, d'Al-Malikiyah à l'extrême est, jusqu'à Afrin à l'ouest (zones en jaune sur la carte). Cela leur permettrait de fonder leur Etat qu'ils baptisent le Rojava. Pour cela, il faut qu'ils s'emparent de la région de Jarabulus - à l'ouest de l'Euphrate -, tenue par Daech, ce qu'Ankara refuse obstinément. C'est pour cette raison que l'armée turque est prête à bombarder, comme elle l'a fait fin octobre, des unités du YPG qui feraient mine de traverser l'Euphrate vers l'ouest.

 

Ne pouvant progresser depuis l'est, le YPG bénéficie toutefois d'un événement favorable intervenu début 2016 : l'offensive déclenchée par les forces légalistes syriennes pour encercler la ville l'Alep et la couper de tout approvisionnement venant de Turquie à hauteur des villages de Nubi et Zaahra. Cela permet aux Kurdes de grignoter du terrain vers l'est, en attaquant directement les rebelles syriens qui sont acculés dans ce que l'on appelle le « corridor d'Azaz » (zone en vert en haut à gauche de la carte) qui relie Alep à la Turquie, à hauteur du poste frontière de Bab al-Salam.

 

 

 

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Certes, ils avancent lentement, depuis la région d'Afrin. Dans cette zone, le PYD est présent en force car la population y est majoritairement kurde. Mais les habitants qui vivent le long de la frontière au nord d'Avaz sont turkmènes et Ankara s'est engagé à les défendre. Autre fait préoccupant, les forces de l'EI tentent également de s'emparer du corridor d'Azaz depuis leurs positions situées l'est (en gris sur la carte).

 

Si aucun accord officiel n'a été conclu entre le PYD et Damas, il semble qu'il y ait au moins, sur le terrain, un pacte de non agression mutuel, si ce n'est même une véritable coordination entre les différentes forces, comme cela est déjà le cas dans le quartier de Cheikh Maqsoud, dans le district nord d'Alep où les Kurdes sont aussi majoritaires. C'est ainsi qu'après avoir pris possession d'une dizaine de villages situés au nord-ouest d'Alep, le YPG et ses alliés « arabes » (il convient de préserver les apparences) se sont emparés de la base aérienne de Menagh, située à six kilomètres au sud d'Azaz. Elle était tombée aux mains du Front Al-Nosra et d'Ahrar Al-Sham en août 2013. Si les Kurdes parviennent à résister aux violentes contre-attaques actuellement lancées par les rebelles, cette base pourrait constituer une excellente plateforme à partir de laquelle l'offensive vers l'est pourrait se poursuivre, cette fois contre Daesh. Cela ne sera pas une tâche aisée car la ville de Dabiq, le symbole même de l'idéologie salafiste-djihadiste, n'est située qu'à quelques dizaines de kilomètres. Il est légitime de penser que l'EI fera tout pour la défendre.

 

Les Russes se montrent très intéressés par l'objectif kurde qui consiste à fermer la frontière Turque par laquelle armes et combattants rejoignent la région d'Idlib, aux mains de l'Armée de la conquête, une coalition de mouvements dépendant plus ou moins d'Al-Qaida « canal historique ». Ensuite, il s'agira de s'emparer de la dernière portion de frontière tenue par l'EI jusqu'à l'Euphrate. A cette fin, des approvisionnements pourraient être envoyés aux Kurdes par voie aérienne jusqu'à Menagh. A noter que les Russes ont appuyé la reconquête de cette base par des frappes aériennes, cette action ne pouvant leur être reprochée dans la mesure où le Front Al-Nosra est reconnu aussi comme « mouvement terroriste » par les Américains, du fait de son appartenance à Al-Qaida « canal historique ».

 

Enfin, pour irriter un peu plus Ankara, la Russie a autorisé l'ouverture d'un bureau de représentation du PYD à Moscou.

 

 

 

 

 

*

 

 

 

 

 

Les combats qui durent depuis des semaines auraient poussé plus de 50 000 réfugiés sur les routes, 35 000 étant accueillis dans neuf camps créés en territoire syrien, à proximité du poste frontière de Bab al-Salam, par le Croissant rouge turc et l'Agence des situations d'urgence et des catastrophes (AFAD).

 

Les combats se poursuivent dans Alep même, opposant les forces syriennes au mouvements Nur al-Din al-Zanki, Liwa Suqour al Jabal et à la « Brigade du Nord » (tous trois se disant membres de l'ASL), ainsi qu'au Front Al-Nosra. Une coopération étroite de tous ces mouvements est en œuvre si bien que l'on retrouve des missiles TOW fournis par les Américains dans tous les camps[4].

 

Désormas, la plus grande incertitude règne quant à l'attitude que va adopter le président Erdogan dans les prochaines semaiens. Il est capable de tout, même de déclencher une opération militaire sur le territoire syrien pour y créer la « zone tampon[5] » qu'il appelle de ses vœux depuis des années, dans le but d'empêcher la fondation du Rojava qui est sa hantise principale. Or, le prétexte est tout trouvé : la défense des « frères » turkmènes. Nul doute que les Russes ont dans leurs cartons des plans afin de répondre à cette éventualité !

 

 

 

 

 

[1] Le bras armé du PYD, dont les thèses sont effectivement proches de celles du PKK, le mouvement kurde séparatiste turc.

[2] Il s'agit d'un poste frontière avec la Turquie qui contrôle une importante route rejoignant Raqqa, la « capitale » de l'État islamique (EI)

[3] Il y a bien une unité kurde, dirigée par Abou Abdallah le Kurde, au sein d'Ahrar Ash-Sham, une formation membre du Front Islamique (FI), une coalition sponsorisée officiellement par Riyad. Elle s'appelle le Front islamique kurde.

[4] Y compris au sein de l'EI qui en a probablement « acheté » sur le marché noir, très actif sur le front syro-irakien.

[5] Allant du corridor d'Azaz inclus jusqu'à l'Euphrate, sur une profondeur d'une trentaine de kilomètres.

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