Zoubir8 174 Posted October 9, 2016 Partager Posted October 9, 2016 « Intifada des couteaux » : au Monde.fr, un récit partiel… et partial par Joachim Lé, Julien Salingue, vendredi 5 février 2016 Acrimed.fr Depuis le début du mois d’octobre, la situation en Israël et dans les territoires palestiniens occupés fait de nouveau « l’actualité ». L’explication ? Un nouveau « cycle de violences », pour reprendre la (maladroite) formule journalistique, avec 160 morts entre le 1er octobre et le 31 décembre. Ces récents développements, marqués notamment par des violences palestiniennes spectaculaires – et inhabituelles à cette échelle – prenant la forme « d’attaques au couteau » ou à « la voiture bélier » ont donné lieu à une large couverture médiatique. À titre d’échantillon-témoin, sinon de référence, nous nous sommes intéressés au site du Monde, sur lequel nous avons relevé, pour la période considérée, pas moins de 46 articles, dont les titres mentionnent directement les « violences » en Cisjordanie, à Jérusalem et en Israël [1]. L’analyse quantitative et qualitative de ces articles met en évidence un traitement particulièrement biaisé, pour ne pas dire partisan. Quelques chiffres (commentés) Sur les 46 articles retenus, qui sont donc censés informer sur les « violences » en cours, 31 parlent d’ « attaques » ou d’ « agressions » commises par des Palestiniens. Par exemple : Etc. Dans 67% des cas, les lecteurs du Monde.fr sont donc confrontés à des titres mentionnant le fait que des Israéliens sont victimes d’attaques. Sur les 46 mêmes titres, seulement 14 mentionnent l’existence de victimes palestiniennes. Soit 30% du total [2]. Qui plus est, sur ces 14 titres, 11 concernent des Palestiniens tués alors qu’ils commettaient (ou venaient de commettre) une attaque (réelle ou supposée). Par exemple : Etc. Seuls deux titres [3] sur 46 (4,3%) concernent des Palestiniens tués sans qu’ils aient commis d’attaques. Première conclusion : alors que sur les 160 morts décomptés entre le 1er octobre et le 31 décembre, 138 sont des Palestiniens (soit 86%), les deux tiers des titres des articles du Monde.fr donnent à voir les Palestiniens comme les agresseurs et les Israéliens comme les agressés. Et, alors que près de la moitié des victimes palestiniennes ont été tuées « hors agression » [4], 85% (11 sur 14) des titres faisant allusion à des morts palestiniennes concernent des individus tués lors d’une agression. En d’autres termes, volontairement ou non, les titres des articles du Monde.fr épousent parfaitement le récit israélien : Israël est la victime, Israël se défend, et les Palestiniens tués l’ont été car ils présentaient un danger pour la sécurité d’Israël. Certes, il ne s’agit ici que des titres, et l’on ne saurait se fonder seulement sur ces derniers pour analyser le traitement du Monde.fr. Mais on ne saurait non plus négliger le déséquilibre massif des points de vue que cette étude statistique fait apparaître. Le choix des sources Le contenu des articles rééquilibre parfois les choses, en rappelant notamment le décompte total des victimes, en précisant quand les informations sont celles de « sources » israéliennes, et en leur opposant parfois des « sources » palestiniennes. Mais de nouveau, une étude quantitative et qualitative de la construction et du contenu des articles aboutit à un résultat sans appel. Ainsi, lorsqu’il existe des versions contradictoires, c’est toujours la version israélienne qui est reprise dans le titre et/ou le chapô des articles. Et surtout, un décompte précis des sources citées montre que les articles du Monde.fr (qui s’appuient souvent sur des dépêches d’agences) sont pour le moins… déséquilibrés. Dans les 36 articles citant des sources [5], on compte 99 références à des faits rapportés par diverses institutions officielles ou par des témoins : 79 d’entre elles sont des sources israéliennes (la police israélienne est citée à 37 reprises, l’armée à 32 reprises), alors que seules 20 sources palestiniennes sont citées. En d’autres termes, 80% des sources auxquelles se réfèrent les articles du Monde.fr reflètent le point de vue israélien sur les « événements », 70% d’entre elles étant « directement » l’armée ou la police. Pourquoi un tel choix ? Nous ne le savons pas, et ne pouvons dès lors qu’émettre des hypothèses, et tenter d’évaluer leur pertinence. - Les Palestiniens ne communiqueraient-ils pas ? Un simple coup d’œil au site de la principale agence de presse indépendante palestinienne, Ma’an News, confirme l’inverse : les déclarations des officiels palestiniens et des services de secours sont nombreuses, et il suffit de venir les chercher pour les trouver. - Les déclarations palestiniennes seraient-elles identiques à celles des officiels israéliens, ce qui justifierait de ne pas les mentionner ? Là encore, l’hypothèse ne tient pas, car les exemples où la version israélienne a été contestée par des sources palestiniennes (ou d’autre sources) sont nombreux, comme le rapporte... le Monde.fr, dans un article publié le 14 octobre (« L’escalade de la violence en Israël provoque un usage excessif de la force »), qui semble même apporter du crédit à celles et ceux qui contestent les récits israéliens. Dommage que cet article ait été aussi vite oublié qu’il a été publié… - Les déclarations palestiniennes seraient-elles alors sujettes à caution ? Dans ce cas, il faudrait le dire, le démontrer, et expliciter, en outre, pourquoi elles devraient susciter davantage de méfiance que celles des autorités israéliennes. Rien n’empêcherait, par ailleurs, de les rapporter en précisant qu’elles émanent de sources palestiniennes ou, pourquoi pas, en usant du conditionnel. En résumé, rien ne justifie de se fier davantage aux sources israéliennes qu’aux sources palestiniennes, et rien ne justifie, dès lors, de donner la priorité, dans 80% des cas, aux premières sur les secondes. C’est pourtant ce que fait le Monde.fr qui, dès lors, consciemment ou non, épouse la version israélienne des « événements », une tendance confirmée par un examen plus attentif de la chronologie des articles, ainsi que de la définition toute particulière de ce que seraient des « violences ». « Un nouveau cycle de violence » : quelle violence ? La formule revient à de multiples reprises dans les articles étudiés : Israël et les territoires palestiniens seraient en proie à un « nouveau cycle de violence » [6]. Exemple parmi bien d’autres le 6 novembre 2015 : « De nouvelles violences ont secoué vendredi 6 novembre la bande de Gaza et la Cisjordanie, plus d’un mois après le début d’un cycle de violence qui a déjà fait 73 morts palestiniens et 9 dans le camp israélien ». Le « cycle de violence » aurait donc commencé au début du mois d’octobre. Plus précisément, toujours d’après Le Monde, « l’enchaînement de violences a suivi le mitraillage, jeudi [1er octobre], d’un couple de colons dans leur voiture, sous les yeux de leur quatre enfants ». Le « cycle de violence » se serait donc ouvert avec le « mitraillage d’un couple de colons » le 1er octobre 2015. Est-ce à dire qu’il n’y aurait pas eu de violences dans les jours et les semaines précédents ? Rien n’est moins sûr, comme le montrent les chiffres de l’ONU [7] en ce qui concerne les victimes palestiniennes pour les mois d’août et de septembre : 15-28 septembre : 2 morts, 157 blessés 8-14 septembre : 81 blessés 1-7 septembre : 1 mort, 30 blessés 25-31 août : 32 blessés 18-24 août : 54 blessés 11-17 août : 3 morts, 27 blessés 4-10 août : 2 morts, 21 blessés 1-3 août : 2 morts, 106 blessés Soit, pour le mois d’août, 7 morts et 240 blessés et, pour le mois de septembre, 3 morts et 268 blessés. Une période que l’on ne peut donc guère considérer comme exempte de « violences », mais qui ne fait toutefois pas partie du « cycle de violence » évoqué par le Monde.fr : on en déduira que cette appellation ne concerne que les phases où des Israéliens sont blessés ou tués. Mais dans ce cas, comment le Monde.fr – qui n’est ici, rappelons-le, qu’un exemple de réflexes médiatiques bien partagés – définit-il les périodes où les victimes sont exclusivement palestiniennes ? La réponse est malheureusement simple : il ne les définit pas et, le plus souvent, n’en parle pas, ou alors très peu. Ainsi, si l’on en revient à la période du 1er octobre au 31 décembre 2015, le constat est sans appel. Des articles ont été régulièrement publiés tout au long de cette période, mais l’on ne peut s’empêcher de relever des « trous » dans la chronologie. C’est ainsi qu’entre le 13 et le 19 novembre, aucun article concernant les « violences » en Israël et dans les territoires palestiniens n’a été publié sur le site du Monde. Or, le 13 et le 19 novembre sont précisément des jours où des Israéliens ont été tués. Est-ce à dire qu’il ne s’est rien passé entre ces deux dates ? Si l’on en croit l’ONU, ce n’est pas le cas : 17 morts et 2311 blessés côté palestinien entre le 10 et le 23 novembre, sans aucun « ralentissement » notable entre le 13 et le 19… [8] En accréditant la thèse apolitique et anhistorique du « cycle de violence », le Monde.fr ne nous informe donc que très partiellement, pour ne pas dire partialement – avec parfois de véritables « accidents industriels » : c’est ainsi que le 10 octobre 2015, on apprenait ceci : En réalité, l’événement que ce titre est censé évoquer est une manifestation à Gaza où six Palestiniens ont été tués, et soixante blessés (sans aucune victime israélienne) : pas de « vague de violence », donc, mais un rassemblement réprimé dans le sang. *** Ce que donne à voir le Monde.fr des récents développements en Israël et dans les territoires palestiniens est une image profondément déformée de la réalité. En surexposant la « violence » palestinienne et en reprenant presque toujours la version israélienne des « événements » – que les raisons en soient idéologiques, liées au conditions de travail ou… à l’incompétence – le Monde.fr donne à voir les Palestiniens comme des agresseurs et les Israéliens comme victimes, alors que la réalité est bien différente, comme en témoignent nombre de témoignages et de rapports de l’ONU et d’ONG diverses. Nous sommes donc ici bien loin d’un véritable travail journalistique, qui devrait permettre aux lecteurs de se forger une image la plus juste possible des dynamiques sur le terrain et des enjeux réels. Certes, informer sur le conflit opposant Israël aux Palestiniens n’est pas chose aisée. Mais il est regrettable de constater que, le temps passant, les mêmes biais demeurent et ont tendance à se renforcer : ici pour le Monde.fr, qui n’est, rappelons-le qu’un exemple parmi bien d’autres « grands médias ». Nous avons déjà eu l’occasion, dans plusieurs articles [9], d’étudier ces biais, dont cette injonction permanente à « l’équilibre » qui , loin de garantir une information de qualité, conduit à établir de fausses équivalences et à négliger une large partie de la réalité : S’il existe bien un « conflit » opposant deux « parties », nul ne doit oublier que ses acteurs sont, d’une part, un État indépendant et souverain, reconnu internationalement, doté d’institutions stables, d’une armée moderne et suréquipée et, de l’autre, un peuple vivant sous occupation et/ou en exil, sans souveraineté et sans institutions réellement stables et autonomes. Adopter une démarche qui se veut équilibrée conduit donc nécessairement à occulter certains aspects de la réalité, tout simplement parce qu’ils n’ont pas d’équivalent dans l’autre « camp ». C’est ainsi que les grands médias privilégieront les moments de tension visible, en d’autres termes militaires, les « échanges de tirs », les « victimes à déplorer dans les deux camps » ou, dans un cas récent, les « échanges de prisonniers ». Il s’agit de montrer que la souffrance des uns ne va pas sans la souffrance des autres, et que les moments de tension ou d’apaisement sont liés à des décisions ponctuelles prises par l’un ou l’autre des deux « camps », ou par les deux conjointement. Un tel traitement médiatique occulte presque totalement ce qui est pourtant l’essentiel de la vie quotidienne des Palestiniens et l’un des nœuds du « conflit » : l’occupation civile (colonies) et militaire (armée) des territoires palestiniens. Si les violences commises par l’armée israélienne font – malheureusement – partie de la vie quotidienne des Palestiniens, doit-on pour autant considérer qu’elles sont « normales », et que ce n’est que lorsque les violences atteignent également des Israéliens qu’il convient de s’y intéresser et d’en faire un « sujet d’actualité » ? La réponse semble être dans la question. Malheureusement, au Monde.fr, on ne se l’est manifestement pas posée. Joachim Lé et Julien Salingue Citer Link to post Share on other sites
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