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Sakem Chaker - A propos de l'Académie amazighe


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Autour de l'Académie de langue tamazight.

Ansi i d-nekka, sani nteddu ?

 

L’Académie de langue tamazight
dont la création est annoncée

depuis la révision constitutionnelle de février 2016 appartient

à la même veine et aura sans doute la même fonction.

Certes, il faut attendre de voir la forme et le contenu

qu’elle prendra avant d’émettre un avis définitif.

Mais, au vu des expériences passées et du contexte global,

on peut craindre que ce soit encore une mesure dont la finalité principale

sera de reprendre, ou d’essayer de reprendre, le contrôle d’un champ

qui a longtemps échappé, et échappe encore très largement, à l’État.

Pendant de nombreuses décennies, toutes les actions qui relèvent habituellement

d’une académie de langue ou d’institutions de ce type – la codification, l’aménagement…–,

ont été assumées, en dehors de l’État, par des universitaires, des écrivains, des associations…

Le "passage à l’écrit", notamment, a été l’œuvre d’acteurs non-institutionnels,

du pionnier Boulifa à Mammeri, en passant par la myriade d’auteurs,

d’éditeurs, de pédagogues, d’universitaires, moins connus,

qui ont longtemps travaillé dans la discrétion, voire la clandestinité et l’exil...

 

Depuis l’institutionnalisation de tamazight, on peut constater

que l’État algérien n’a pas pu faire table rase de ce travail souterrain

qui s’est fait en-dehors de lui. Jusqu’à présent, même si des ‘voix autorisées’

s’expriment très régulièrement en ce sens, on n’a pas osé s’y attaquer frontalement,

et remettre en cause ce socle d’acquis ; il a même été largement intégré par

l’Institution (graphie latine, codification graphique, néologie…),

grâce à l’engagement têtu des militants berbères, dans et hors l’Institution.

On peut craindre que la future académie ne soit "le cheval de Troie"

que l’on utilisera pour, sinon réduire à néant – ce sera difficile ! –,

du moins contrer et ralentir une dynamique socio-culturelle autonome.

 

Sur ce plan, comme sur bien d’autres d’ailleurs, il est toujours très éclairant

de comparer la situation de l’Algérie avec celle du Maroc :

dans ce pays, le mouvement berbère est à la fois beaucoup plus récent

et plus faible – idéologiquement, politiquement…– qu’en Algérie ;

et surtout il était et reste sans véritable assise populaire et sans ancrage

dans le monde rural, à quelques rares exceptions près.

Il s’agit essentiellement d’un mouvement culturaliste d’élites berbères urbanisées,

sans relais dans la société profonde, et totalement intégrées

aux courants idéologiques et politiques nationaux

(nationaliste, socialiste, communiste…) – dont la nature oppositionnelle

et critique n’est plus qu’un lointain souvenir.

En conséquence, lorsqu’elle a décidé de l’institutionnalisation de tamazight,

la monarchie marocaine n’a eu aucune peine à imposer

ses hommes et ses orientations à travers des institutions parfaitement contrôlées,

qui sont là pour mettre en œuvre la politique décidée par le Palais.

D’où, entre autres les "néo-tifinagh", alors que le monde associatif penchait clairement

pour le latin, "l’amazighe marocain standard" et autres options qui constituaient

un sabordage ab initio et ont mené "l’amazighe marocain" dans une voie de garage

et l’échec – échec publiquement reconnu par les responsables

les plus autorisés, notamment le Recteur de l’Ircam…

 

C’est sans doute le "modèle marocain" que voudraient importer

et imposer les autorités algériennes : une Académie docile,

relais zélé des choix du Pouvoir politique, qui permettront à celui-ci de reprendre

le contrôle du champ – du moins l’espère-t-il.

Et il est sûr que le Pouvoir trouvera toujours des exécutants empressés

à occuper des postes de prestige, bien rémunérés, qui se chargeront

de diffuser la « bonne parole » ; et d’intégrer tamazight dans le cadre

des « valeurs nationales » et surtout de l’enliser – alors que tamazight se portait très bien sans eux.

 

Bien entendu je n’ai pas été contacté à propos de cette Académie.

Et je serais assez surpris que je le sois.

Il n’est pas dans les pratiques des autorités algériennes

de faire appel aux esprits indépendants et critiques.

On préfère habituellement les échines souples et,

surtout l’adhésion aux "constantes de la Nation",

c’est-à-dire à tout le corpus idéologique qui permet à une oligarchie

de maintenir son contrôle sur la société et l’État depuis 1962 :

arabo-islamisme, autoritarisme, pensée unique… J’en suis trop éloigné pour qu’on me sollicite.

Et si je me trompe, je ferai un mea culpa public !

Mais je sais que je ne prends pas beaucoup de risque en prenant cet engagement.

 

Dans l’absolu, pour que cette académie soit efficace et acceptée

par les acteurs du terrain berbère, il faudrait au minimum :

a) qu’elle soit statutairement indépendante des injonctions politiques ;

b) qu’elle soit composée de personnalités dont l’engagement,

l’action et/ou la production scientifique et culturelle berbérisante soient incontestables ;

c) qu’elle reflète un équilibre entre spécialistes universitaires et producteurs culturels reconnus ;

d) enfin, qu’elle soit ouverte sur le monde berbère non-algérien,

car tamazight et l’amazighité ne concernent pas que l’Algérie et il serait aberrant,

aux plans scientifique, historique et politique, de les enfermer strictement

dans les frontières d’un État : "l’amazighe algérien" n’a pas plus de réalité et de consistance

que "l’amazighe marocain"… C’est ce qu’ont bien compris les militants et acteurs de la langue berbère

depuis les années 1940 en plaçant délibérément le travail d’aménagement

de leurs variétés régionales de langue dans une perspective "berbère".

 

Salem CHAKER,

 

Marseille, le 12/01/2018.

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