Jump to content

Tebboune : Entretien exclusif au journal l'Opinion


Recommended Posts

201007024400722362.jpg

 

 

Vous avez été élu moins d’un an après le début des plus grandes manifestations populaires de l’histoire de l’Algérie indépendante. Quelles ont été, dans ce climat particulier, les premières décisions que vous avez prises pour restaurer l’autorité de l’Etat ?

Le 22 février 2019, pratiquement toute la population est sortie dans la rue pour exprimer son ras-le-bol par rapport à tout ce qui s’était passé les deux à trois années précédentes et s’était achevé par une comédie de préparation d’une élection pour un cinquième mandat, sachant que le président Bouteflika était devenu impotent… Le hirak « béni » a mis fin à cette comédie. Protégé par l’armée et les services de sécurité, ce mouvement populaire et civilisé s’est exprimé de façon très politique et très pacifique. Ses représentants avaient plusieurs doléances : l’arrêt du processus électoral, la fin du quatrième mandat, un changement radical de la gouvernance… Ce furent les premières élections propres et transparentes. Le plus difficile fut de regagner la confiance de ce peuple désabusé par des années de gestion folklorique qui tenait de la république bananière. Il fallait montrer que le changement était radical au niveau de la gestion locale, régionale, nationale. Nous avons procédé à des changements dans tous les corps de l’Etat et nous nous sommes attelés à fournir les efforts pour que l’avant-projet de Constitution soit le reflet réel de la demande populaire de changement, comme je m’y étais engagé durant la campagne… La paix et la sérénité sont revenues. Nous sommes sur le bon chemin du retour de la confiance des Algériens envers leur Etat et leurs responsables et, à leur tête, leur président de la République.

Des ONG et des personnalités algériennes dénoncent une répression à l’égard de journalistes et des militants du hirak. Quelle est votre ligne de conduite ?

Nous avons dépassé depuis longtemps la période de l’unanimité et de l’unanimisme. Il y aura toujours des voix discordantes. Chacun voit les choses à sa manière. Une République qui cherche à entamer une vraie démocratisation de la vie publique tient compte de l’avis de la majorité tout en respectant les avis minoritaires. Il y a des ONG qui sont stigmatisées pour leur accointance, leur manière de voir les choses, leur négativisme. D’autres sont très respectables et nous comptons sur leur avis. Il n’y aura pas de répression mais de la protection de l’ordre public… Quand il y a violation du droit du citoyen à la sérénité et à la vie paisible, l’Etat doit intervenir. Les arrestations ne sont pas faites sur la base des idées, des slogans ou le fait d’être opposant… Aucun journaliste n’a été arrêté pour le fait d’être journaliste. Depuis le temps où j’étais ministre de la Communication et de la Culture, j’ai toujours voué le plus grand respect à la presse et n’ai pas fait de différence entre la presse publique et privée… Seulement, le fait d’être journaliste ne donne aucune immunité concernant l’atteinte à l’ordre public.

Lors de votre campagne présidentielle, vous vous êtes présenté comme le candidat des jeunes. Comment comptez-vous promouvoir le renouvellement générationnel ?

C’est l’un de mes engagements essentiels. 75 % de la population a moins de 35 ans. Samedi, j’ai commencé à concrétiser ce changement afin de créer une nouvelle génération d’entrepreneurs, de permettre aux jeunes de s’émanciper économiquement, de ne pas être obligé de montrer patte blanche à tel ou tel oligarque… L’Etat va les aider à émerger en tant que force économique. Les start-up algériennes deviennent une réalité. Sur le plan politique, je me suis engagé à introduire le maximum de jeunes au niveau des instances élus, y compris au sein de l’Assemblée nationale. Ils seront là pour représenter le peuple de manière plus moderne… Les jeunes sont restés honnêtes, propres et n’ont pas répondu aux sirènes des oligarques. A ce titre, ils méritent de gérer le pays avec l’aide et les conseils de leurs aînés. J’espère avoir une majorité de jeunes aux assemblées nationale, régionales, au niveau des wilayas [préfectures] et des municipalités. Si les partis présentent des jeunes, c’est une excellente chose. La société civile peut aussi présenter des jeunes : enseignants, magistrats, avocats, universitaires. Nous sortons 250 000 universitaires par an. L’université ne doit pas être un seul distributeur de diplômes…

De nombreux bouleversements politiques ont eu lieu en Afrique depuis 2011. Voyez-vous des similitudes avec ce qui s’est passé en Algérie ?

Nous nous prévalons de l’exception au Maghreb, en Afrique et dans le monde arabe. Nous sommes le seul pays qui s’est libéré au prix d’une guerre très longue et très coûteuse puis d’une révolution qui a rejeté presque toute l’organisation laissée par l’ex-colonisateur… Cela ne diminue en rien ce que les jeunes Tunisiens ont fait, le rejet de l’héritage politique qu’ils ont eu depuis l’indépendance. On leur souhaite la plus grande réussite. L’Algérie a connu une voie différente. Elle n’a pas subi le Printemps arabe. Le 5 octobre 1988, nous avions déjà eu notre propre « printemps algérien ». Nous sommes passés du parti unique à presque 70 partis en quelques mois, et de 4 ou 5 journaux publics à une centaine de journaux privés, tous aussi caustiques les uns que les autres. La société s’est métamorphosée, le pouvoir aussi. Le multipartisme a aidé à l’introduction de nouvelles idées politiques et économiques. Le pays a commencé à entrer dans le libéralisme pour sortir de l’économie socialiste et administrée… Malheureusement, il y a eu un dérapage en 1992. Cette démocratie débutante, auquel tout le monde aspirait, a été « squattée » par un mouvement islamiste. Nous sommes entrés dans les ténèbres de la transition qui a duré une dizaine d’années avec un nombre de victimes incalculables, des pertes économiques estimées à plusieurs dizaines milliards de dollars. On a essayé ensuite de reprendre le cours normal de choses. A la fin des années 2012-2014, on a revécu les mêmes déviations avec un pouvoir personnel adossé à la kleptocratie qui s’est emparée des richesses du pays. Cela a donné le « hirak béni » du 22 février. Les pays maghrébins ont fait leur mue, le reste de l’Afrique est resté malheureusement sur l’héritage colonial. La misère aidant, la pauvreté, la non-structuration de l’Etat ont engendré une certaine fragilité dans la gouvernance. Je souhaite que ce qui s’est passé au Mali ne soit pas le début d’un « Printemps africain ».

Dans un tweet récent, vous avez affirmé que la solution malienne serait à 90 % algérienne…

La crise malienne est triple. Il y a une crise politique, de remise en cause presque générale de la gouvernance – telle qu’elle était exercée par le président Ibrahim Boubacar Keita – doublée par une fragilité économique et sociale extrême. C’est d’ailleurs le terreau de toutes les menaces qui guettent le Mali comme les autres pays africains... De manière générale, la démocratie est le seul terreau favorable a tout développement humain et économique. La solution malienne est à 90 % algérienne. C’est une vérité géographique et historique. Depuis leur indépendance et la nôtre, il n’y a pas un trimestre où l’Algérie ne s’est pas occupée à régler des contentieux ethniques et géographiques. Lorsque j’étais préfet dans une région limitrophe du Mali, j’avais des contacts et des déplacements fréquents avec le gouverneur de Gao et de Tombouctou. On a aidé à faire des forages, à construire des écoles. Autre problème qui se pose : je n’ose pas dire le séparatisme mais cette dichotomie entre le sud et le nord. Le nord du Mali est plus sous-développé que le sud qui a lui-même besoin de développement. Ce problème a été mal géré au début. Tous les antagonistes se sont retrouvés à Alger et ont accepté un mode d’emploi pour régler cette question et reprendre une intégration réelle du nord et du sud à travers des actions sociales, politiques, économiques, organisationnelles, d’intégration… La solution réside dans les accords d’Alger.

Certains dirigeants africains (Guinée, Côte d’Ivoire) ont fait réviser leur Constitution pour se présenter à un troisième mandat. Y voyez-vous un danger dans l’édification de la démocratie ?

Je m’interdis de juger mes pairs et ne jette la pierre à personne. Mais on a vu les conséquences de ces prolongements successifs. Le président Zeroual avait fixé une limite à deux mandats. Moi j’y tiens personnellement, aussi bien pour la présidence que pour le Parlement. Dix ans, c’est suffisant pour exprimer ses idées, développer son schéma de développement politique… La Constitution est un document sacré. Si le peuple la respecte, les dirigeants doivent la respecter encore plus. C’est peut-être philosophique pour certains. En Algérie, plus personne ne pourra toucher la Constitution pour [réaliser] un troisième mandat. S’agissant des révolutions récentes, les pays maghrébins comme la Tunisie ont fait leur mue. Nous avons fait la nôtre. Le reste de l’Afrique est malheureusement resté sur l’héritage colonial. La misère, la pauvreté, la non-structuration réelle des Etats s’est traduit par une certaine fragilité dans la gouvernance. Je souhaite personnellement que ce qui s’est passé au Mali ne soit pas le début d’un Printemps africain.

Comment aider à la résolution de la crise libyenne ?

La crise libyenne se traduit par un Etat en dehors de ses limites territoriales où il n’y a pratiquement plus d’institutions, dans un pays sans réel héritage institutionnel avant la révolution. Faire de l’agitation diplomatique, essayer de donner de l’aspirine a un corps complètement métastasé... tout le monde sait que ça ne sert absolument a rien. Pour reconstruire la Libye, il faut commencer par bâtir la légitimité populaire. Il faut donc organiser des élections, quitte à le faire d’abord région par région. Mais il faut une émanation populaire légitime, élue par tout le peuple. Ensuite, la démarche consistera à reconstruire toutes les institutions : Assemblée nationale, élection d’un Premier ministre, peut-être même d’un président de la République. Il faudra aussi revoir la base de la Constitution et l’équilibre des forces politiques pour asseoir de bonnes relations et le respect entre les institutions de l’Etat. Ça prendra peut-être trois ou quatre ans mais cela fait neuf ans que ceux qui s’intéressent à la Libye pataugent dans de petites solutions qui n’ont rien donné et ne donneront absolument rien.

Souhaitez-vous travailler de concert avec le président Macron pour faciliter la résolution de ces crises ?

J’ai confiance en le président Macron, en son raisonnement, en sa probité, sa manière de voir les choses. Nous nous entendons très bien sur beaucoup de sujets même s’il y a des lourdeurs qui le freinent, de temps en temps. En ce qui concerne nos relations bilatérales, il est allé assez loin. Par rapport à la gestion de la Libye et du Mali, les visions sont assez proches. Nous, notre vision est purement fraternelle. Nous n’avons aucune ambition géopolitique ou économique mais de sauvetage de nos pays frères. La vision, qui ne tient pas uniquement au président de la République française, est peut-être une vision de puissance, d’ex-puissance coloniale. Il peut y avoir aussi des visions différentes, selon un état-major ou un autre. Mais l’objectif est le même : c’est de stabiliser le Mali, de l’aider à éradiquer le terrorisme. On peut travailler ensemble sans que les actions des uns soient antonymiques à celle des autres. En partenaires égaux – et je maintiens égaux.

Link to post
Share on other sites

Join the conversation

You can post now and register later. If you have an account, sign in now to post with your account.

Guest
Répondre

×   Pasted as rich text.   Paste as plain text instead

  Only 75 emoji are allowed.

×   Your link has been automatically embedded.   Display as a link instead

×   Your previous content has been restored.   Clear editor

×   You cannot paste images directly. Upload or insert images from URL.

×
×
  • Create New...