Esmeralda 488 Posted December 29, 2020 Partager Posted December 29, 2020 Eddar (la maison) de Fatima El M’aakra Deux sœurs, ayant hérité ensemble d’une maison à Alger, vinrent l’habiter. L’une était connue pour sa vertu. La destinée de l’autre l’avait conduite à devenir courtisane. La plus sage habitait l’étage; la courtisane, le wast eddar (patio). Elles partageaient la terrasse avec son minzah (séjour) et la cuisine, qui se trouvait aussi tout en haut de l’escalier. Un soir de Ramadhan, la femme "légère" dépendait le linge sec tandis que la "sérieuse" faisait la cuisine. Elle préparait un tadjin au fumet vraiment étourdissant. Une voisine, pauvre et enceinte, parut au bord de la terrasse, et demanda si l’on pouvait lui donner un peu de braises pour allumer son feu. Fatima, la courtisane, vint vers sa sœur et elle prit du kanoun (foyer) quelques braises, dans une vieille tassa (récipient) à l’étain usé, et la donna à la femme qui partit après avoir remercié les yeux baissées. Le fumet du tadjin se répandait de plus en plus, propre à donner de l’appétit aux plus rassasiés. Une seconde fois, la voisine apparut au muret de séparation des terrasses et dit, d’une voix un peu altérée, que son feu ne voulait pas prendre .Voudrait-on lui accorder encore quelques braises? On les lui donna, dans la même tassa qu’elle avait rapportée, et elle disparut de nouveau dans son escalier. La sage remit des charbons dans le kanoun et éventa le feu pour qu’ils prennent. La mer, en contrebas, était d’un grand calme encore lumineux. L’heure était plutôt lointaine où il serait enfin permis de manger. Mais Salima, la petite voisine, était dispensée de jeûne puisqu’elle était enceinte. Ainsi pensa Fatima, la courtisane. "As-tu remarqué ses joues creuses? La pauvre ne mange peut être pas tous les jours", dit-elle à sa sœur. "Je n’ai entendu personne pousser son portail aujourd’hui pour lui apporter des provisions". "Allah ynoub (Dieu pourvoira)", marmonna la vertueuse. "Que je sache, je n’ai pas été spécialement désignée pour subvenir aux besoins des autres". De l’autre côté de la murette, dans l’escalier voisin, Fatima crut entendre un soupir. "Ma part d’héritage si tu donnes à Salima une portion de tadjin". La vertueuse ne dit rien. Elle regarda seulement sa sœur avec surprise. "Si celle-ci renonçait à ses droits sur la maison, il n’y avait aucune raison qu’elle y demeurât. Ainsi, la honte de son activité coupable s’effacerait avec sa présence". Elle louerait l’appartement libéré et vivrait de cette location. "Comment cette étourdie ne se rendait-elle pas compte de la sottise du marché qu’elle proposait?" A ce moment-là, la voisine apparut pour la troisième fois à la frontière des deux terrasses, la tassa vide à la main. Elle n’osait plus demander et regarda Fatima avec des yeux humbles. "Allons", dis aimablement la sœur vertueuse, "puisque ton feu est à ce point récalcitrant, je vais plutôt te donner une part de tadjin". Fatima, déjà, s’était levée, et avait pris dans la cuisine un plat qu’elle tendit à sa sœur. Celle-ci le remplit confortablement, la fixant droit dans les yeux. La courtisane donna le plat à la jeune femme enceinte qui lui rendit en échange la vieille tassa. "Oh! Sahha (merci)! Je n’ai qu’Allah et vous deux", dit-elle chaleureusement. Fatima sourit. Salima s’éloigna pour manger car il faisait clair encore, et elle savait que les deux femmes respectaient le jeûne. Fatima reporta son tranquille regard vers sa sœur. Désormais, elle n’était plus chez elle. Et elle le vit, confirmé inexorablement dans le visage fermé qui lui faisait face. Néanmoins, elle savait qu’elle n’avait tout de même pas à partir sur l’heure. Madame Vertu réclamerait sans doute auparavant que tout fut ratifié clairement chez le cadi. Or, il était tard, et cela ne pouvait se faire le soir même. La nuit vint, et le repas fut pris, sans que l’on reparlât de l’incident qui faisait l’une d’elles propriétaire unique. Le lendemain, Fatima, qui pourtant était matinale, ne se levait pas. "Tu regrettes, tu regrettes!…..", pensait sa sœur qui se préparait déjà pour la sortie importante que l’on imagine. "Il faudra bien que tu te montres!" Comme Fatima était aimée dans le quartier, et ne l’ayant pas entendu lui dire son bonjour habituel, une autre voisine envoya son garçonnet par la rue, prendre de ses nouvelles. Ce fut lui qui remarqua le prodige et se mit à appeler à grands cris. Sous la porte de Fatima (cette grande porte massive à deux battants), coulait un ruisseau d’eau claire et parfumée, qui allait se perdre, quasiment s’évaporer sur le marbre. On se rassembla, commentant ce surprenant phénomène. Et chacune se mit à appeler alors à la porte qui était fermée de l’intérieur. Aucune réponse! Les femmes se couvrirent et envoyèrent les enfants chercher quelques hommes afin de démonter la porte. Mais à l’étonnement de tous, elle résistait… et l’on n’osait piétiner cette eau parfumée qui ne cessait de chanter doucement sur les dalles hexagonales comme s’il jaillissait de cette chambre, une source magique. La porte, enfin, s’ouvrit d’elle-même. Toute grande, repoussant par son mouvement le groupe qui tentait de la manipuler. On vit alors au milieu de la pièce un catafalque dressé, entouré de cierges allumés et recouvert de fleurs .Et tous les parfums de l’Arabie, légers pourtant, formaient l’air même de la pièce. Sous les fleurs, le corps m’ghassel (lavé) de Fatima reposait. Et sur l’immobilité de son beau visage, avec les joues rougeâtres comme el aakri (le paprika), dont son appellation, El M’aakra, l’on voyait une expression de calme bonheur. On courut chercher un imam afin qu’il dise la prière, puis, on voulut soulever le corps pour l’emmener en terre au cimetière d’El Qatar. Las! Tous les efforts ne purent le déplacer d’un cheveu. Fatima fut donc enterrée dans sa chambre. On voit encore aujourd’hui sur le sol la marque de sa tombe. Et l’on dit que personne ne voulut depuis habiter cet appartement. La maison se trouve à la Casbah d'Alger, dans une ruelle qui donne sur la rue Randon vers Djamaa Lihoud. "L’éternel fait succéder la nuit au jour et le jour à la nuit. Il connait le fond des cœurs". On a souvent tendance à juger les gens, sur leurs apparences mais en réalité ce qui compte au fond c’est la pureté des sentiments. Parfois on se trouve confronté à des choix ou des situations qu’on n’a pas cherchés. Sincèrement si on se remettait plus souvent en question, si on était moins obtus, les choses évolueraient dans le bon sens. Dieu Tout Puissant pardonne, pas l’être humain, ça porte à réfléchir .... D'après Casbah d'Alger 1 Citer Link to post Share on other sites
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