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Exclusif / Amazigh Kateb : « L’Algérie n’est pas un terrain vague, c’est un énorme chantier de rénovation »


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Entretien réalisé par Sofiane Baroudi

Reporters : Tu es connu pour être un artiste très engagé et tu revendiques ton implication politique dans plusieurs grandes questions. Peux-tu nous parler de tes principaux engagements du moment et de tes perspectives ?
Amazigh Kateb 
: Le moment que nous vivons est unique et révélateur de ce que nous sommes et de ce que nous pouvons devenir. Je suis, comme beaucoup, en phase d’observation et de réflexion. Je me suis penché sur un tas de sujets que je n’avais jamais effleurés. J’ai vu de mes yeux ce qu’est l’extraordinaire banalité du mal évoquée par Hannah Arendt dans «Eichmann à Jérusalem». Je n’avais pas compris à la première lecture toute la portée de ce qu’elle expliquait sur l’obéissance et la soumission à la hiérarchie comme étant les piliers plus ou moins «naïfs», mais indispensables à tout totalitarisme, jusqu’à ce que je visite l’observatoire du fascisme techno-sanitariste mondialisé, en bas de chez moi, au croisement de la rue des Contre-vérités et du chemin des Dogmes scientifiques randomisés en double aveugle.
Quant à mes perspectives, elles sont toujours d’apporter de la joie et de la couleur à travers mon travail musical et, plus que jamais, de résister à toutes les oppressions d’où qu’elles puissent venir. J’ai écrit quelques textes sur la crise actuelle, d’autres sur mes crises perpétuelles, mes obsessions, mes amours, mes chagrins… ou kes jus ! et je continue à observer et je n’en crois pas mes yeux ! Film ya ra…!

Tu as été très impliqué dans le processus révolutionnaire algérien qui a débuté en 2019. Tu as élaboré des propositions concrètes sur une assemblée constituante représentative devant s’organiser par le bas, du local au global, que tu as défendu dans l’article zerba3 yet9la3, ainsi que dans des conférences publiques organisées par des étudiants à Targa Ouzemour, Béjaïa, et à l’EPAU Alger. Peux-tu nous parler plus amplement de cette initiative citoyenne et de son contenu politique ?
C’était un humble travail de mise en forme d’ateliers constituants amorcé avec Hicham Rouibah et avec d’autres par la suite. Ce travail de débat, de collecte et de rédaction des différentes propositions, recueillies sous forme de chantier constitutionnel, a été pour nous aussi difficile et intense que nécessaire. Nous voulions mettre par écrit ce que des citoyens étaient capables d’imaginer en termes de cadre constitutionnel et montrer qu’ils pouvaient débattre de toutes les questions pour peu qu’ils en saisissent l’urgence et en aient l’envie et l’opportunité. Il est évident que beaucoup d’initiatives similaires ou différentes ont été éclipsées en 2019 par une narration bruyante et doublement polluante. Les médias aux ordres racontaient un Hirak (inexistant), sur les réseaux sociaux on en racontait un autre (exacerbé et conflictuel) et sur le terrain, il se passait ce que presque personne ne rapportait. Nous voulions qu’il reste une trace écrite exploitable par les suivants, à savoir un début de réflexion collective et de propositions concrètes. Si on remonte sur une génération, il n’y a aucun écrit, sauf a posteriori, des évènements du 5 Octobre 1988. Un mouvement qui ne laisse pas d’écrit ne condamne-t-il pas les générations suivantes à un éternel recommencement ? A-t-on aujourd’hui la mesure de ce qui a pu être accompli et de ce qui ne l’a pas été ? Ou de ce qui reste à faire comme de ce qu’il ne faudra jamais refaire ?
On dit que l’intelligence, c’est d’abord la mémoire et l’aptitude à mettre en relation logique ce qui est mémorisé. En termes pratiques, comment pourrait-on parachever ou continuer une construction sans en avoir les plans et l’état d’avancement ? L’Algérie n’est pas un terrain vague dans lequel on pourrait creuser des fondations et édifier du neuf, c’est un énorme chantier de rénovation (le plus grand d’Afrique) qui nécessite des adaptations évolutives ininterrompues, que seuls les citoyens auront la souplesse et l’énergie d’imaginer et de mettre en place. Aucun pouvoir ne voit les choses de cette façon. La gouvernance avec ou sans programme a toujours besoin d’inertie et de fixations pour se maintenir aux commandes. Personne ne peut être plus progressiste que ceux qui en ont le plus besoin.

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On se dirige en Algérie vers des élections législatives et locales anticipées avec la volonté affichée de renouveau et de refonte institutionnelle au service d’une démocratie directe et participative, comment vois-tu cette actualité ?
Je n’ai pas entendu parler de ces options et si elles s’avèrent concrètes, c’est une bonne chose. Mais je reste convaincu que la démocratie directe ne peut pas venir des élites au pouvoir, mais doit être l’œuvre des citoyens. En réalité, si ces derniers ne sont pas impliqués en amont, les belles intentions ou les effets d’annonces ne feront pas la mobilisation. J’ajoute que les Algériens risquent de rejeter cette idée en masse juste parce qu’elle émane d’en haut.
C’est tout le sens du travail entrepris dans Mechmoul, justement. Nous voulions que les gens s’entraînent à la controverse citoyenne constituante. J’insiste sur «constituante» parce que la controverse existe, mais elle n’est pas génératrice de contenu positif au sens de résultat collectif et équilibré. On se contredit parfois avec beaucoup de pertinence, mais la joute et l’égo priment sur le sens et le but du débat, qui est de trouver une solution ensemble. Si nous nous donnions pour objectif d’extraire systématiquement un écrit consensuel à la suite de ces discussions, nous aurions sans doute des échanges plus apaisés et plus profonds, un mouvement plus solide, moins enclin aux divisions et diversions, avec une plateforme de revendications communes, longue comme l’autoroute Est-Ouest. Il est plus qu’urgent que l’aile gauche démocrate et progressiste se fonde et dépasse les clivages, sinon nous allons vers une répétition des mêmes erreurs et égarements qu’en 1990. Sans parler de décennie noire ni agiter d’épouvantail, la nature a horreur du vide et les forces obscurantistes et clientélistes sont, elles, bien en place pour peser.

Tu es le digne héritier d’un des plus grands intellectuels et militants algériens. Selon toi, quelle est la voie à suivre pour donner, à Yacine, la place qui doit être la sienne dans le paysage intellectuel et politique algériens, mais aussi international ?
Pour que Yacine retrouve sa juste place dans le paysage culturel algérien, il suffirait finalement que la culture reprenne la sienne.
Une des choses les plus simples à faire serait de le remettre au programme de l’Education nationale comme c’était le cas dans les années 1970. L’autre chose à faire, à mon sens, est d’ouvrir des bibliothèques, des structures d’apprentissage culturel multidisciplinaire, faciliter l’accès aux livres à travers tout le territoire et permettre aux troupes de théâtre amateur et professionnel de se produire régulièrement. Les artistes et auteurs, en général, devraient être mis en valeur et promus pour que leurs œuvres vivent et traversent les époques et frontières. La culture est une arme et une ressource à choyer. Une des grandes victoires des Américains sur les Soviétiques tient à leur prédominance et à leur rayonnement culturel planétaire. Au lieu de cela, elle est édulcorée, maquillée, détournée et vidée de son contenu. On ne fait que mythifier les noms pour mieux taire les propos gênants. Ce déni et ce reniement se constatent à présent à l’égard de personnalités révolutionnaires considérées comme des piliers du mythe fondateur algérien. Peu à peu, ce qui touchait les intellectuels, artistes et autres marginaux de l’Algérie indépendante finit par gagner d’autres catégories, y compris celles que le système s’était empressé de récupérer au lendemain de l’Indépendance. L’histoire n’a pas fini de rire au nez des historiens d’appareils.

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Tu résides à Grenoble depuis un moment déjà, qu’est-ce que tu peux nous dire sur la situation actuelle en Europe, en général, et en France, en particulier ?
La situation en Europe est au déferlement totalitaire quasi généralisé. Cette pandémie, plus médiatique et politique que sanitaire, est un formidable prétexte pour passer à une gouvernance mondiale techno-sanitariste sans réelle résistance ni opposition des peuples concernés. Lorsqu’on fait croire aux gens qu’ils risquent de mourir, on peut en faire ce que l’on veut, surtout si une pléthore de scientifiques, plus lobbyistes que cliniciens ou chercheurs, viennent appuyer cette idée, en bénéficiant d’une rotation médiatique prédominante quasi permanente.
C’est aussi une belle occasion de faire beaucoup de profit en vendant des tests, des masques, des médicaments hors de prix et des vaccins par milliards, avant l’écroulement d’un système financier devenu virtuel, algorithmique et déconnecté de l’économie réelle. Comme prévu depuis Marx, le capitalisme – libéral ou pas – arrive à son troisième âge. Cette pandémie tombe à pic pour changer de système d’exploitation et sauver les élites pour qui l’humanité coûte trop cher. Elles doivent, pour pérenniser leurs profits, éliminer tout ce qui entrave leurs élans expansionnistes et monopolistiques, en achetant les personnalités politiques les plus influentes pour en faire des lobbyistes à leur solde. Ces élites mondialistes savent pertinemment qu’il faut changer de cap et sont conscientes qu’une grande ré-initialisation (great reset) n’est possible que par le choc (le coronavirus), pour pouvoir plonger les sujets dans la torpeur et la sidération et les manipuler à souhait, par «des mesures exceptionnelles dictées par l’urgence sanitaire» à travers des médias qui leur appartiennent, des journalistes à leur service, etc. Au nom du virus, on nous enferme, on nous prive de circuler librement, de nous réunir, de nous divertir, de travailler, d’être scolarisé… C’est une pressurisation nécessaire pour mieux nous exploiter et nous contrôler par la suite. L’impact sanitaire de ce virus est sans commune mesure avec la destruction méthodique de l’économie réelle et la suppression des libertés qu’il a pu et va encore occasionner. Aujourd’hui, on entend «Je vais me faire vacciner pour aller en vacances.» Ce n’est plus un acte médical libre et consenti, c’est une piqûre administrative obligatoire. Certains doivent se vacciner pour travailler ou tout simplement aller au restaurant, comme c’est déjà le cas en Israël. Le vaccin devient donc une sorte de forfait-vie-sociale-autorisée-renouvelable pour cause de variants. Cela rappelle étrangement un business-model connu de tous, la téléphonie et l’obsolescence programmée (ils voudraient que nous nous fassions piquer tous les ans, ce qui est déjà le cas avec la grippe, le pass sanitaire en moins).
Bientôt, on entendra «tu as le dernier Iphone?» «non, j’ai le dernier pfizer».
Par ailleurs, les libéraux, dont il est urgent de se libérer, travaillent depuis des décennies à la disparition progressive des prestations et acquis sociaux (retraites, salaires en baisse, hôpitaux publics appauvris et prolétarisés, éducation en sous-effectif, et maintenant, économie d’énergie, de transports publics, de main-d’oeuvre et de locaux dans le cadre du télétravail généralisé…). Le all-low-cost ou «politique du moindre coût» est un holocauste des travailleurs du Sud d’abord, et du Nord ensuite. Car si le consommateur-travailleur (Nord) cherche le moins cher, c’est sur le travailleur-consommateur (Sud) qu’on fait des économies de production et de coût du travail. Il est également évident que si le premier accepte que la misère de son semblable d’un autre continent, lui permette de consommer plus, il ne trouvera sûrement pas anormal que son patron fasse des économies sur son dos pour gagner davantage. La lutte des classes, qui n’a jamais cessé d’exister, a été remplacée dans l’imaginaire collectif par un déclassement des luttes et une ringardisation de leurs composantes politiques et philosophiques. Ceci est palpable dans l’essoufflement notamment syndical et la militance ouvrière en baisse d’intensité, qu’on peut constater sur le Vieux continent. C’est une logique individualiste de masse, renforcée par l’entertainment (industrie du divertissement), à l’œuvre depuis bientôt 40 ans, qui s’est évertuée à dépolitiser la vie sociale et à aliéner des générations entières en les conditionnant par le travail, la consommation et le divertissement. Avec l’apport des technologies et des applications actuelles de plus en plus onaniques et addictives, elle a fini par enfanter d’une double dépendance sans précédent, celle des citoyens vis-à-vis des pouvoirs (les peuples ne savent plus vivre sans cadre imposé), mais aussi de ces derniers vis-à-vis des plus grandes multinationales. Ce que les sociétés occidentales ont perdu en droits et en liberté est proportionnel à ce que les Etats ont perdu en autonomie et en souveraineté.

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Les marionnettes qui gouvernent en apparence ne font qu’appliquer l’agenda dicté par les plus riches. Ils endettent les Etats et permettent ainsi des profits encore plus importants aux big techs, aux big pharmas et aux plus grandes banques et entreprises, qui sont toutes actionnaires les unes des autres, et qui useront de toute leur influence et de leurs ressources pour faire réélire ces mêmes marionnettes. Cette crise sert aussi, au passage, à considérablement contrôler et diminuer les flux migratoires, les mouvements sociaux, les rassemblements à caractères politiques et culturels et les interactions citoyennes.
L’Occident a perdu la face en acceptant le masque obligatoire, ensuite, le masque a perdu la tête, la tête a perdu le nord et le nord ses glaciers… Seuls les Gafam y gagnent et ce n’est que le début si on ne se réveille pas. La seule bonne nouvelle, c’est que la révolution est plus inéluctable que jamais !

La situation sanitaire ne semble pas s’améliorer, la crise sociale et économique prend des tournures graves et les mesures répressives se multiplient, à l’instar de la loi sécurité globale ou de celle sur le séparatisme. Comment vis-tu cette situation et quel est l’impact sur ton travail artistique ?
L’impact est réel et direct sur mes concerts et mes représentations, puisque toutes les salles sont fermées et beaucoup de festivals ont déposé le bilan. J’en profite pour écrire et composer de nouvelles chansons, réfléchir à d’autres formes de résistance, donner du courage à mes enfants, et les faire autant que possible sortir de la psychose ambiante en allant au bord des rivières, à la montagne et ailleurs dans la nature. C’est une résistance de tous les jours, car ils sont les premières cibles de cette grande escroquerie. Ils sont pour le patronat international mondialisé, les futurs esclaves potentiels.
L’humain est fait d’habitudes et vit en groupe. Le mimétisme normatif induit par les masques et autres gesticulations obligatoires est flagrant. Les enfants le ressentent très fortement et en seront victimes si on ne les met pas en garde. Régulièrement, nous évoquons les propos qu’ils entendent à l’école et ailleurs pour les analyser ensemble et les désamorcer. Il ne faut pas oublier que pour un enfant de 10 ans, une année avec masques représente le dixième de sa vie, quand pour un quinquagénaire, ce n’est que le cinquantième.
Pour ce qui est des lois sur le séparatisme ou de sécurité globale, il faut rappeler ici que ce n’est que parce que Macron gouverne par ordonnance depuis le début de cette crise que ces propositions ont pu être posées sur la table et imposées à l’opinion. Ces textes auraient peu de chance de passer par un vote classique du Parlement ou des deux chambres. Elles sont autant d’os à ronger que des éléments constitutifs de la dictature à venir qu’on administre de façon sournoise et subliminale. La loi contre les séparatismes sert clairement à ostraciser tout groupe qui contreviendrait aux «principes de la République», concept fourre-tout qui permet de criminaliser les courants gênants et de les manipuler. Quant à la loi de sécurité globale, elle est clairement annonciatrice de la dystopie qu’on nous réserve. C’est une sorte d’ode au sécuratarisme, et pour cause ! Le pouvoir a plus que jamais besoin de réprimer. Il sait que s’il ne courtise pas la police qui, elle aussi, a subi les frasques du All-Low-Cost avec d’importantes coupes budgétaires, il risque le pire. C’est frappant de voir la rapidité avec laquelle des dépenses en armes non-létales et autres LBD ont été engagées dès le premier confinement, au lieu de commander des masques, des gants et des charlottes pour les personnels de santé qui en manquaient cruellement.
Pour résumer, gouverner par ordonnance est aussi dévastateur et absurde que de soigner par décret.

Peux-tu nous parler de ton actualité, de tes projets et de tes projections d’avenir, que ce soit sur le terrain artistique, politique ou autre ?
J’ai commencé un album avec Gnawa Diffusion qu’on va essayer de finaliser avant la fin de l’année et un projet d’album solo sur le feu. Les titres sur lesquels je travaille sont presque tous d’ordre socio-politique. C’est d’ailleurs impossible de faire autrement, à moins de se confiner encore plus que les confinés. Cela étant dit, il est fort possible que toutes les données changent et que je sois amené à faire d’autres choses. L’époque n’est pas aux projections sauf pour ceux qui profitent de cette situation ou qui ont la chance de ne pas en être impacté. Qui vivra verra !

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