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Nadir Marouf, sociologue, anthropologue et fondateur du CRASC : «Il y a recul de la pensée intellectuelle au profit d’une vision mystico-religieuse»


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Par REPORTERS -22 avril 202176


Nadir Marouf, le sociologue et l’anthropologue de renommée mondiale, répond à nos questions à l’occasion d’une rencontre-dédicace, organisée récemment à la librairie Tiers-Monde d’Algérie, un mois après la sortie de son livre «De mémoire d’homme, Une vie, deux combats», où il nous livre son témoignage.

Entretien réalisé par Leila ZAIMI
Reporters : Que représente pour vous ce livre de mémoires ? Un testament ?


Nadir Marouf : Non, non, même pas. C’est un petit ouvrage, je n’ai pas investi grand-chose du point de vue intellectuel. C’est un cadeau, une réponse que j’ai faite à mes enfants qui m’ont toujours demandé d’écrire quelque chose sur ma vie antérieure. Ils ne comprenaient pas pourquoi il y a tant d’ouvrages de personnes qui ont fait des autobiographies et pourquoi pas moi. Moi, en toute modestie, ce n’est pas un concours Lépine sur le meilleur compatriote ou le meilleur guerrier. J’estime que je n’ai pas fait grand-chose par rapport aux autres, je le dis en toute humilité. Mais ce que j’ai vécu en ce temps relativement court était très intense, et cela m’a poursuivi, j’allais dire toute ma vie.

Pourquoi avez-vous hésité à l’écrire plus tôt ?


J’ai hésité parce que… j’ai écrit une trentaine de livres, mais qui sont académiques. Dès que j’ai commencé à écrire, c’était des concepts. J’ai essayé d’écrire ce récit et je me suis rendu compte qu’il n’est pas évident d’écrire dans l’ordre du récit ordinaire, disant. Vous savez, c’est difficile d’écrire simple, de faire simple…

Pourquoi avoir choisi les éditions Fanon ?
Heu… d’abord le nom Frantz Fanon est un nom très cher pour nous Algériens. C’est un nom quasiment prophétique. L’opportunité s’est faite sentir pour la maison d’édition Frantz-Fanon parce que j’ai lu quelques publications et j’ai trouvé quelque chose qui entre dans mes cordes.

Vous êtes un grand observateur de la société algérienne depuis une quarantaine d’années, voire davantage. Que remarquez-vous comme grands changements ? Et qu’en pensez-vous ?


Je trouve qu’il y a un recul au niveau du rapport à la connaissance. On entre de plus en plus dans un espace de discours normatif. Normatif, c’est-à-dire cela est bien, cela est mauvais. On privilégie des formations professionnalisantes, c’est normal, d’un côté, parce que les gens ont besoin de vivre. Mais, il y a un recul de la pensée intellectuelle au profit d’une vision mystico-religieuse. Je souligne que je ne suis pas contre le mystique ni la religion. Mais ce que nous appelons la pensée sécularisée et libre est en train de régresser et c’est peut-être la raison pour laquelle nos intellectuels préfèrent se faire éditer à l’étranger qu’en Algérie.

Quel regard portez-vous sur la recherche en anthropologie en Algérie ?


Houlà… D’abord, j’ai l’humilité de rappeler que je suis le fondateur du CRASC, en 1983. Et puis j’ai donné la main à Mme Noria Benghabrit, l’ex-ministre de l’Education nationale, qui était mon ancienne étudiante. Nous avons créé ce centre parce que nous pensions qu’à côté de la recherche utile, pragmatique qui peut servir de manière concrète, le gouvernement algérien a toujours voulu que les sciences sociales soient des disciplines permettant de répondre aux questions immédiates et pragmatiques, ce qui est tout à fait utopique. Chacun son métier, nous ne pouvons pas transformer les chercheurs en plombiers spécialisés. En France, tout ce qui est formation sur court et moyen termes, c’est-à-dire avec des options dites pragmatiques, ce sont les petites, moyennes et grandes écoles. L’Université, par contre, a toujours poursuivi sa vocation universaliste. Nous, en Algérie, nous avons tout mélangé. Chez nous, l’Université doit tout fabriquer. Ici, il y a une confusion en ce qui concerne la vocation de l’Université. Alors qu’il y a des institutions qui sont faites pour cela. Aujourd’hui, je ne suis pas bien informé sur la stratégie du gouvernement en la matière, mais je pense que nous sommes complètement à côté de la plaque.

Et sur l’évolution politique du pays…


Je pense qu’à propos de la question de la sécularité, c’est-à-dire poser le problème du politique et de la culture, il faudrait qu’il y ait une séparation entre les deux. Et éviter que tout avis personnel qui n’engage que celui qui le produit soit automatiquement considéré comme une hérésie. Il faut cesser de créer «le terrorisme de la pensée» et que les gens puissent réfléchir librement, comme cela se fait chez nos voisins, tout simplement. Il y a un manque de tolérance, à mon avis, que je trouve regrettable. Je cite l’exemple de Saïd Djabelkheir, l’islamologue qui, actuellement, doit se justifier devant les tribunaux parce que quelqu’un a porté plainte contre lui. Et le tribunal a accepté la plainte. Où est-ce que nous avons vu cela ? Même au Moyen-Age, dans la longue histoire du Monde musulman, il y a toujours eu des penseurs qui avaient des idées qui n’étaient pas forcément celles de la Oumma, de la majorité. C’est grave ce qui se passe.

Lire : «De mémoire d’homme, une vie, deux combats» aux éditions Frantz Fanon : Récit de vie et de combat de Nadir Marouf

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«De mémoire d’homme, une vie, deux combats» aux éditions Frantz Fanon : Récit de vie et de combat de Nadir Marouf

Par
 REPORTERS
 -
22 avril 2021
38
 
 
 
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Par Leila ZAIMI
«De mémoire d’homme, une vie, deux combats» est le dernier ouvrage-récit qu’a publié, en février dernier, Nadir Marouf, le sociologue et l’anthropologue algérien aux éditions Frantz Fanon.
C’est à la demande de mes enfants que le présent ouvrage a pu voir le jour, en février dernier, après plusieurs tentatives avortées, dit et écrit Nadir Marouf. Pour raconter son récit de vie, notre auteur s’est choisi le nom de Mohamed. L’arabe algérien. L’écrivain, qui a connu plusieurs Algéries -commençant par l’Algérie française quelques années avant la guerre de libération, l’Algérie indépendante ou post-indépendante et l’Algérie contemporaine ou actuelle – raconte les détails marquants de son enfance et sa jeunesse. Il décrypte sa société, les comportements de ses proches avec une approche sociologique. Mohamed alors enfant a été agressé par ses copains qui l’ont traité de «Nedromi», une insulte. Cette appellation l’avait marquée et stigmatisée. Le présent récit traduit le vécu et l’expérience de l’auteur très jeune. Une fois chercheur, Nadir Marouf essaie d’interpréter et de comprendre les événements qu’il a vécus, souvent intenses et plus forts par rapport à son âge. Il essaie d’apporter, par ses écrits, des réponses aux questions relatives à la vie de l’homme dans une société. Le sociologue et anthropologue faisait partie des Algériens qui ont occupé les administrations du pays alors vides après le départ des Français en 1962. Il a porté, avec d’autres, le pays et ses problèmes sur ses épaules, alors qu’il n’avait que 22 ans à la veille de l’indépendance.
Le récit est accompagné, dans le même ouvrage, d’une petite partie dédiée à «la grande interview», où l’auteur du livre, qualifié de doyen des sociologues algériens, répond aux questions de deux universitaires. Une partie substantielle de cet entretien constitue la suite logique de la première partie du présent ouvrage. L’entretien portait notamment sur la vie académique dédiée à la pensée sociologique.

Passé et présent de l’Algérie indépendante
Les dernières pages du récit ont été consacrées à l’opinion du grand sociologue sur l’Algérie depuis 1962. Il parle de la gestion et la maîtrise du groupe dans une ville, du voisinage et des mutations sociales que connaissent les Algériens. Il cite, entre autres, les fruits du système en place en matière sociologique, à savoir le mal-être, le handicap du vivre-ensemble et le déficit de citoyenneté, selon ses dires. «La mosquée est là pour servir de thérapie de groupe, mais son effet s’arrête bien souvent à la sortie», a-t-il écrit en page 161. Dans un style et un vocabulaire académiques, il souligne le fossé séparant l’Etat et la société, et ce, depuis l’Indépendance. Il dit : «Contrairement aux sociétés occidentales, c’est l’Etat qui a fabriqué la société, la réduisant au rôle de consommatrice des normes venues d’en haut, et lui enjoignant de les respecter sous peine d’être mise hors-la-loi».
Les dernières lignes de cet ouvrage sont dédiées aux propositions pour réordonner la société algérienne. L’anthropologue et sociologue propose la réinstauration d’un organe de planification dans le but de localiser les opérations d’investissement en fonction des spécificités régionales. Son deuxième vœu, dit-il, concerne la politique de régionalisation en Algérie. Il suggère que l’action du Plan, couplée à la politique de régionalisation (régions regroupant plusieurs wilayas sous un conseil régional à la française), serait un garde-fou indispensable contre l’improvisation et le court-termisme. La troisième et dernière proposition est dédiée à la politique d’enseignement supérieur et de la recherche. C’est-à-dire, retrouver la vraie vocation de l’Université, qui est la recherche. n

Nadir Marouf, «De mémoire d’homme,
Une vie, deux combats», Préface de Karima Lazali – Editions Frantz Fanon, Boumerdes, 2020.
600 dinars.

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