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« Là où l’on brûle les livres, on finit par brûler des hommes. » Heinrich Heine


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Bentahar-
En terre d'Islam, les livres comme les Hommes subissent la vindicte des gardiens de la foi et de la morale
 
Les livres de cette sélection ont tous subi la vindicte des gardiens de la foi et de la morale en terre d’islam. Interdits, brûlés sur la place publique, ces écrits ont parfois mis en danger de mort leurs auteurs.
Dans Fahrenheit 451, le romancier de science-fiction Ray Bradbury décrivait une société où les livres sont interdits. Une brigade spéciale avait pour mission de traquer les livres et de les brûler, devant un public en extase face à ces autodafés. Le monde musulman offre parfois une similitude troublante avec cette société qui détruit les livres et s’en prend physiquement à leurs auteurs. Bien loin de la fiction, ces dix livres ont pour point commun d’avoir fait scandale et provoqué l’ire des pouvoirs politiques et religieux :
1. « L’islam et les fondements du pouvoir » de « Ali Abderraziq »
Jacques Berque avait trouvé le mot juste en qualifiant ce livre d’attentat. En 1925, l’Orient est encore sous le choc de l’abolition du califat par Mustapha Kemal Atatürk, lorsqu’Ali Abderraziq publie L’islam et les fondements du pouvoir, un essai remettant en cause la légitimité religieuse du califat et appelant à une séparation entre le spirituel et le temporel au sein de l’islam. Pour ce jeune juge et lauréat de l’Université d’Al Azhar, le califat est le fruit de la contingence historique et ne peut être considéré comme une institution religieuse. Le califat n’est qu’une construction humaine, qui ne puise pas ses fondements dans le Coran, mais dans les théories d’oulémas musulmans comme Al Mawardi et Ibn Khaldoun. Le prophète Mohamed n’était pas un roi, et il n’avait pas prescrit de modèle politique pour les musulmans. Ces derniers ont donc toute latitude pour édifier un état et un système de gouvernement propres, sur la base “des dernières créations de la raison humaine, et des systèmes dont la solidité a été prouvée”. Les idées de l’auteur se sont fatalement heurtées à celles des oulémas d’Al Azhar et aux visées politiques de la monarchie égyptienne, qui caressait le rêve de récupérer le califat des mains des Ottomans. Premier livre dans le monde arabe à faire l’objet d’un recours devant les tribunaux, L’Islam et les fondements du pouvoir a déclenché un débat houleux entre libéraux et conservateurs. Il fut retiré des librairies, et son auteur déchu de son titre d’alem par un Conseil des grands oulémas d’Al Azhar.
2. « De la poésie antéislamique » de « Taha Hussein »
Un an après la polémique déclenchée par le livre d’Ali Abderraziq, un autre lauréat d’Al Azhar soulève le tollé. Rebelote. Si les gardiens du dogme religieux crient au scandale, c’est parce que De la poésie antéislamique provoque un véritable séisme culturel dans une Égypte en plein questionnement. Diplômé d’Al Azhar et formé à la Sorbonne par le sociologue Émile Durkheim, Taha Hussein a tenté d’appliquer à la littérature arabe les méthodes modernes de la recherche scientifique. Dans son livre, il conteste l’authenticité et l’existence même de la poésie antéislamique. Pour lui, cette poésie a été inventée et créée après l’avènement de l’islam, pour des considérations politiques, ethniques ou religieuses. Le but était d’inscrire, dans le marbre de la poésie, la supériorité d’une tribu sur les autres, de renforcer le prestige d’un clan, ou simplement de servir les intérêts du pouvoir en place. Taha Hussein juge que le seul texte qui traduit d’une façon claire et cohérente la culture et la mentalité des Arabes avant l’islam est le Coran. L’essai est iconoclaste et son mérite est d’avoir établi de nouveaux rapports avec des textes hérités du passé, auparavant érigés en monuments intouchables et sacrés. De la poésie antéislamique a été accueilli par des réactions parfois hystériques, comme celle de ce député égyptien qui avait demandé la lapidation de l’auteur. Ce dernier a d’ailleurs été jugé pour “atteinte à l’islam et outrage au Coran” avant d’être innocenté. Et à l’époque, l’Université du Caire avait racheté toutes les copies du livre.
3. « Les fils de notre quartier » de « Naguib Mahfouz »
Le 14 octobre 1994, un jeune intégriste égyptien poignarde au cou le vénérable Naguib Mahfouz, premier prix Nobel arabe de littérature. Justifiant son geste devant le tribunal, le fanatique explique que son mentor lui avait dit que Mahfouz était un apostat, qui méritait la mort pour son roman Awlad haretna (Les fils de notre quartier ), avouant au passage avoir agi sans lire une seule ligne du livre. L’histoire de l’ouvrage est riche en rebondissements, à l’image du récit publié pour la première fois sous forme de feuilleton dans le quotidien Al Ahram, dirigé à l’époque par Mohammed Hassanine Haykal. Les fils de la médina a déclenché l’ire des oulémas d’Al Azhar, qui ont vu dans ce roman une imitation, à peine dissimulée, de l’histoire de la création. Haykal refuse d’interrompre la publication de ce roman dans le journal officiel du régime et décide même de le publier intégralement dans un supplément. Il a fallu une intervention personnelle de Nasser pour en autoriser la publication, tout en demandant à Naguib Mahfouz de ne pas l’éditer en Egypte. Une demande que l’écrivain a respectée jusqu’à l’année 2006. Quelques mois avant le décès de l’écrivain, le roman a été publié pour la première fois en Egypte, avec la bénédiction de l’Université d’Al Azhar. Les fils de la médina est une épopée dont les faits se déroulent dans un quartier populaire du Caire, comme la plupart des romans de Mahfouz. La nature dramatique, tragique même, des personnages de ce roman symbolise l’éternel combat entre le bien et le mal, la quête de la liberté et la volonté d’asservir, toutes deux inhérentes à l’être humain.
4. «Critique de la pensée religieuse» de «Jalal Sadiq al Adm»
La défaite de juin 1967, consécutive à la Guerre des 6 jours, fut une catastrophe, un traumatisme collectif dans le monde arabe. De cette “Naksa”, la région continue de panser les plaies. Que s’est-il-passé ? Comment penser cette défaite ? Qui en a été responsable intellectuellement ? L’humiliation appelait ces questions. Avec La critique de la pensée religieuse, le philosophe syrien Jalal Sadiq Al Adm voulait apporter des réponses. Dans ce livre, l’auteur pointe du doigt la religion et son rôle dans la défaite. Dans une optique marxiste pure et sans compromis, Al Adm défend avec courage une opinion radicale. La religion a servi d’instrument aux régimes en place pour endormir leurs peuples et les maintenir dans la léthargie. Et c’est cette même apathie qui explique les échecs et le retard accumulés par les sociétés arabes. Selon cette logique, la religion n’est pas seulement l’opium des peuples, mais aussi le poison que ces peuples acceptent volontairement des mains de leurs maîtres pour périr. Pour le philosophe, la pensée religieuse, basée sur le mystère et l’intervention de forces occultes, empêche les Arabes d’avoir une analyse rationnelle et éclairée de leur situation et de leur environnement. Le livre de Jalal Sadiq Al Adhm a suscité la colère des autorités religieuses musulmanes et chrétiennes au Liban, où il a été, fait unique, poursuivi pour outrage aux deux religions. La justice libanaise se prononça pour un non-lieu en faveur d’Al Adm et de son éditeur. Pourtant, La critique de la pensée religieuse demeure, jusqu’à aujourd’hui, interdit de diffusion dans la plupart des pays arabes.
5. « Les cités de sel » De « Abderrahman Mounif »
Beaucoup pensent que le plus grand romancier arabe n’est pas Naguib Mahfouz, mais plutôt « Abderrahman Mounif ». Ce romancier irako-saoudien occupe une place particulière dans le panthéon de la littérature arabe, en raison du caractère imposant de ses œuvres, et notamment de son chef d’œuvre Les cités de sel. Cette série de cinq tomes, dont le premier a été publié en 1984, retrace le lent processus de transformation des sociétés de la péninsule arabique. Du temps où elle n’était qu’un archipel de tribus bédouines, jusqu’à l’ère de l’opulence qui suivit la découverte du pétrole. Dans Les cités de sel, Mounif décrit à la manière d’un historien ou d’un sociologue, et à travers les personnages de son roman, les effets de cette transformation : l’Etat moderne greffé sur un corps social traditionnel, les conflits sourds et impitoyables pour conquérir le pouvoir, le rôle des puissances étrangères dans cette partie du monde. La lucidité de Mounif frôle parfois la prophétie et la prédiction, quand il décrit par exemple l’installation d’un prince au pouvoir, à la place de son père qui était en voyage à l’étranger… comme cela s’est réellement passé au Qatar. Abderrahman Mounif a payé un très lourd tribut pour son franc-parler : il est mort loin de ses deux pays d’origine. Très jeune, Mounif est obligé de quitter l’Irak en raison de ses positions politiques, et ses romans sont mal perçus par le pouvoir saoudien qui le déchoit de sa nationalité saoudienne, avant de le réintégrer quelques années avant son décès à Damas. Ses œuvres demeurent encore interdites dans la plupart des pays du Golfe.
6. « La vérité absente » De « Faraj Fouda »
Le cas de l’écrivain égyptien Faraj Fouda est un exemple tragique des limites du droit à une expression différente dans le monde arabe et musulman. Cet homme avait l’audace de déclarer ouvertement et sans ambiguïté, dans le pays d’Ayman Zawahiri et de Omar Abderrahman, son attachement à la laïcité. La vérité absente condense l’essentiel des idées de Faraj Fouda et de sa lecture de l’histoire politique de l’islam, en utilisant les mêmes sources historiques que ses adversaires. Pour lui, l’idée d’une cité musulmane idéale, qui aurait existé au temps des premiers califes de l’islam, et que les musulmans pourraient reproduire en appliquant des lois d’inspiration religieuse, est au mieux une utopie, au pire une immense tromperie intellectuelle. L’auteur passe au crible l’histoire du premier siècle de l’islam, pour démontrer que les intérêts politiques ont toujours primé sur les considérations religieuses. La piété et les vertus personnelles des compagnons du prophète ne les ont pas empêchés de se livrer à des luttes sanglantes pour la conquête du pouvoir. En s’appuyant sur les récits des historiens comme Al Tabari, l’auteur cite les assassinats de trois califes (Omar, Othman et Ali) et les guerres entre les compagnons du prophète (la bataille du chameau, la bataille de Safaïn) pour démonter le mythe de cette histoire idéalisée, présentée par les islamistes comme un modèle et un horizon ultime à atteindre.
Faraj Fouda fut assassiné en juin 1992 par des membres du groupe radical Al Jamaâ Al Islamya, à la sortie de son bureau et sous les yeux de son fils, qui fut blessé dans l’agression. Son assassin reconnut n’avoir jamais lu le moindre des écrits de sa victime.
7. « Le pain nu » De « Mohamed Choukry »
Il fut un temps où avoir Le pain nu entre les mains, au Maroc, semblait un acte téméraire de sédition, une entrée en rébellion politique et culturelle. Comme si on allait grossir les rangs de la bande de Cheikh Al Arab au simple contact de sa couverture. Le pain nu circulait sous le manteau et se lisait à l’abri, chez soi, loin des regards indiscrets. On se demande même si Mohamed Choukry a écrit son roman, ou si c’est le roman qui a créé son auteur dans sa splendide marginalité, son caractère entier. Les deux se mêlent et se confondent pour former le même mythe littéraire. Mohamed Choukry aimait d’ailleurs répéter : “Dans la rue, les enfants ne m’appellent pas Mohammed Choukry, mais Le pain nu”. Roman autobiographique, le livre est à l’image de l’enfance et l’adolescence de son auteur : cru, violent, exsudant la vie et la révolte contre toutes les formes d’injustice. Cette dernière est au cœur du récit et semble avoir alimenté le désir de Choukry d’écrire une œuvre radicale. Il y a l’injustice du père violent et impitoyable, celle de la nature qui fait des pauvres et des riches, l’injustice des hommes qui ôtent à un enfant son innocence et l’arriment à la chaîne d’exploitation qui les relient. Le pain nu a été traduit en anglais par Paul Bowles et en français par Tahar Ben Jelloun, mais le lecteur marocain a dû attendre jusqu’en 2000 pour pouvoir le lire en version originale. Plus de 17 ans après une interdiction décidée par un certain Driss Basri. Un autre mythe marocain, qui aurait bien trouvé sa place dans l’univers de l’auteur.
8. « Le passé simple » De « Driss Chraïbi »
Paru en 1954, soit deux ans avant l’indépendance, Le passé simple fait, à Paris, où il fut publié aux éditions Denoël, et au Maroc, l’effet d’une déflagration. La vieille garde nationaliste reprochera à l’auteur de trahir son pays, de faire le “jeu des ennemis du Maroc”, avant de le féliciter quelques années plus tard pour Les Boucs, dénonciation implacable de la condition immigrée. Driss Chraïbi n’aimait pas qu’on lui tresse des lauriers, mais dans l’espace littéraire marocain, Le passé simple signe une rupture fondamentale avec tous les écrits qui l’ont précédé, comme Le chapelet de l’ombre d’Ahmed Sefrioui. Par sa langue rêche, avec fracas, humour et talent, Driss Chraïbi attaque les pesanteurs de la société traditionnelle, la dictature d’un père féodal et le carcan de la religion, en assumant pleinement sa double culture. Des thèmes qui firent alors scandale et qui continuent d’animer, aujourd’hui, la société marocaine. Le récit est émaillé de scènes violentes, qui racontent le désir du jeune Driss Ferdi d’arracher sa liberté à ceux qu’il connaît et qu’il survole en quittant son pays. De longues introspections succèdent aux proclamations fougueuses. Un autre écrivain révolté, le Turc Nedim Gürse disait : “Je pense peu de bien des jeunes gens qui n'entrent pas dans la vie l'injure à la bouche. Beaucoup nier à vingt ans, c'est signe de fécondité”. C’est sûr, le narrateur aime son pays bien plus qu’il ne le laisse paraître. Mis sur liste noire par les nationalistes, Le Passé simple est reconnu aujourd’hui comme l’un des ouvrages majeurs de la littérature maghrébine. Mieux, un classique lu à l’école.
9. « Les versets sataniques » De « Salman Rushdie»
Ce livre est une exception dans cette sélection. C’est le seul à n’avoir pas été écrit par un auteur arabe. Salman Rushdie, d’origine indienne, est un sujet de Sa Majesté britannique. Pourtant, par l’incroyable histoire de sa réception dans le monde musulman et arabe, ce livre est peut-être le plus maudit d’entre tous. Qui n’a pas donné son avis sur l’auteur des Versets sataniques, mais combien sont-ils à l’avoir vraiment lu ? Il est faux de croire que l’auteur ne doit sa notoriété qu’à l’imbécile fatwa d’un Khomeiny grabataire. Avant cela, Salman Rushdie avait publié l’excellent : « Les enfants de minuit », sans doute l’un des plus grands romans de langue anglaise, publié en 1980. La polémique autour des Versets sataniques, paru à l’automne 1988, a été la répétition générale de la crise des caricatures danoises, à une époque pas si lointaine où la télévision satellitaire et Internet n’exerçaient pas le même pouvoir de mobilisation. Jugé irrévérencieux à l’égard du prophète Mohamed, le livre est brûlé en autodafé au pays de la liberté d’expression (et de résidence de l’auteur) en janvier 1989. Totalement inimaginable, un mois plus tard, Radio Téhéran diffuse l’appel au meurtre de l’Ayatollah Khomeiny. Des attentats ont visé les librairies qui le distribuaient et les maisons d’édition qui le traduisirent partout dans le monde. La folie a failli reprendre l’été dernier, lorsque des manifestants pakistanais protestèrent contre le titre de chevalier accordé à l’auteur par la reine d'Angleterre. Au final, on n’a jamais aussi peu parlé de littérature. Qui est le Mahound du récit et que veut dire finalement échanger des vers avec le diable ? Désespérant !
10. « Saison de la migration vers le Nord » De « Taieb Salih »
Dans un Soudan sortant de la colonisation, un jeune auteur, diplômé de l’Université de Londres, rentre dans son pays pour construire un avenir meilleur. Tayeb Salih enseigne, fait de la radio, bien avant d’entamer une carrière diplomatique. Dans Saison de la migration vers le Nord, le narrateur Effendi, de retour dans son village natal du Soudan, après sept ans d’études en Angleterre, rencontre un nouvel arrivant, un paysan adulé par ses voisins pour son travail. Mais lorsqu’un soir, le mystérieux Mustafa Saïd se trahit en récitant des vers dans un anglais parfait, le narrateur décide de percer le mystère. Le paysan a eu une première vie, de laquelle rejaillissent une violente haine des femmes et un rejet de sa culture occidentale. Le récit de la relation tumultueuse de Mustafa Saïd avec une amante anglaise occupe l’essentiel du récit, qui voit son héros sombrer, en fin de parcours, dans une folie destructrice, à l’image du narrateur pris dans le Nil. Cette fin annonce l’émancipation du narrateur, qui prend conscience de son individualité. Élu “Roman arabe le plus important du 20ème siècle” par l’Académie littéraire arabe de Damas, Saison de la migration vers le Nord n’en a pas moins été interdit dans de nombreux pays arabes. La raison : avoir décrit, dans une langue accessible, un itinéraire de libération sexuelle, de la découverte de soi, et peut-être aussi du choc des civilisations. Tayeb Salih vit, depuis quarante ans, en exil, à Londres. Le Soudan qu’il a rêvé est bien loin de la réalité. Mais son livre suffira à porter l’espérance. ✍🏻 Bentahar / Mediapart
 
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