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Mohamed Hennad : "Le Hirak n’est nullement le résultat d’un effet de foule"


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L'interdiction  des marches  du  mouvement  populaire  depuis  quelques semaines, la répression, les arrestations ne  sauraient signer la  fin de la protestation. C'est ce que le politologue Mohamed Hennad explique dans cet entretien. Il  analyse  le mouvement  et  la  manière  avec  laquelle les autorités gèrent la persistance du Hirark.

Liberté : Les marches du mouvement populaire ont été empêchées, notamment dans la capitale pour la troisième fois. Quel commentaire vous inspire cette décision ?

Mohamed Hennad : C’est une incohérence politique manifeste, voire de la hogra tout simplement ! Car la Constitution qu’ils ont imposée au pays reconnaît, elle-même, le droit à la manifestation d’autant que les marches ont toujours tenu à être pacifiques si bien que j’ai vu des gens se faire arrêter et violenter par des policiers en civil sans opposer la moindre résistance. En fait, les tentatives de faire avorter les marches du Hirak ont commencé depuis bien longtemps. Elles sont allées crescendo au fur et à mesure que le mouvement populaire s’opposait à l’agenda des nouveaux maîtres du pays, lesquels escomptaient profiter de l’occasion pour remplacer l’ancienne îssaba.
D’ailleurs, cela est dans l’ordre des choses dans la mesure où tout pouvoir corrompu est constitué de clans qui guerroient continuellement les uns contre les autres pour s’emparer des rouages de l’État, notamment quand le pouvoir politique est plus ou moins diffus à cause de l’absence d’un chef tellement fort qu’il est en mesure de tenir tout le monde en laisse ! 

Force est de constater que les nouveaux dirigeants du pays ont d’abord commencé par imposer des restrictions et opérer des arrestations de plus en plus musclées à la périphérie avant d’arriver au centre que constitue la capitale. Ensuite vint le rôle de la capitale où la “mère des batailles” est à engager tant le sort des marches dans le reste du pays en dépend. Mais il s’agit-là d’un mauvais calcul dans la mesure où le pouvoir, en désespoir de cause, au lieu de changer d’attitude, se fourvoie dans une impasse qui le décrédibilise davantage aux yeux de l’opinion publique aussi bien nationale qu’internationale au moment où il prétend vouloir construire une “Algérie nouvelle” ! Et puis il y a toute une région du pays, la Kabylie laquelle continue, fièrement, à faire entendre la voix du Hirak ! Et l’on ne voit pas comment le pouvoir pourra y mettre fin vu la détermination toute particulière de cette région.

Cet empêchement est suivi de dizaines d’arrestations parmi les manifestants. Cela exprime-t-il une volonté du pouvoir d’en finir avec la protestation ?

Mais combien faudrait-il de prisonniers au pouvoir pour mettre fin au Hirak ? En fait, le pouvoir s’empêtre davantage à cause de son entêtement qui l’empêche de réaliser que le Hirak n’est nullement une saute d’humeur ou le résultat d’un effet de foule ; il est un mouvement qui s’inscrit dans la durée. Les formes peuvent changer, mais il sera toujours là tant que les fondamentaux de la politique ne seront pas satisfaits. Les manifestants sont bien conscients – et ils l’ont exprimé à travers un slogan dès le début du Hirak – que celui qui fait sa révolution à moitié ne fait que creuser sa propre tombe !

Des partis et associations sont également dans le viseur des autorités. Quelles conséquences auront ces attaques sur l’action politique ?
Il semble qu’on est en présence d’une équation incroyable qui consiste pour les chefs actuels du pays à considérer que celui qui n’est pas avec eux est systématiquement contre eux ! C’est évident, il y aura un coût politique énorme à cela : plus d’appauvrissement de la vie politique nationale laquelle est déjà en état de déliquescence, voire de délinquance. Si le pouvoir actuel voulait vraiment du bien au pays, c’est à ces partis qu’il aurait dû faire confiance et faire appel pour construire quelque chose ensemble. Étant illégitime et donnant l’impression de se plaire dans cette situation, ce pouvoir mise sur de simples supplétifs afin de parasiter la vie politique nationale et l’empêcher d’évoluer vers un système de bonne gouvernance.

La stratégie du pouvoir est-elle, selon vous, liée aux élections, ou s’inscrit-elle dans une autre vision à terme ?

Non ! La stratégie du pouvoir – si tant est que l’on puisse parler de stratégie – n’est pas liée aux seules élections, bien que celles-ci soient, à chaque fois, un épisode important dans son agenda. 

En fait, l’importance de ces élections, sans fin, réside moins dans leur occurrence que dans l’usage tout à fait particulier que le pouvoir en fait, celui d’empêcher les forces politiques du pays et les citoyens de se concentrer sur l’essentiel ! Bien que les prochaines élections, législatives puis locales, soient un enjeu, elles ne le seront que conjoncturellement. Car l’enjeu fondamental est la perpétuation d’un régime politique de fait qui fait fi des deux conditions essentielles de la gouvernance politique : la légitimité et la capacité de bien faire.

Comment voyez-vous l’évolution de la situation ?  

Les responsables politiques du pays jubilaient au Hirak, pensant que celui-ci allait s’arrêter dès la démission du président déchu, leur ouvrant, ainsi, la voie royale à un État en “bien vacant”. Au début, ils comptèrent sur le phénomène de l’usure en faisant valoir la bonne disposition de l’armée qui n’a pas eu recours aux armes (sic !) contre des manifestants pacifiques ! Mais voyant les choses empirer, ils commencèrent à recourir, crescendo et en fonction de l’évolution de la situation, à un cocktail de mesures plus ou moins violentes, accompagnées d’un travail de propagande tous azimuts pour manipuler, parfois honteusement, l’opinion publique à travers, notamment, l’atteinte à la réputation des figures connues au sein du Hirak. Les jeunes, surtout, qui pensent qu’ils n’ont de choix qu’entre continuer le Hirak ou subir le sort de la harga, vont sûrement s’adapter à la nouvelle situation en optant pour la dispersion, par des marches improvisées là où il n’y aura pas de présence policière. Et puis, il y a l’exemple de la Kabylie qui va faire réfléchir ces jeunes et les rendre plus déterminés encore. 

Ils vont se dire pourquoi pas nous ? Ne sommes-nous pas aussi dignes que les Kabyles ? Aussi, et nonobstant tout leur cocktail de mesures, les autorités actuelles réalisent parfaitement que le Hirak ne va pas s’arrêter en si bon chemin ; son but ultime étant la refondation totale de notre régime de gouvernance. 
C’est ainsi que ces autorités se dirigeront vers plus de “fermeté” en essayant de “pousser à la faute”, en passant de la répression à la persécution, c’est-à-dire en utilisant une violence qui puisse susciter des cas de contre-violence de la part des manifestants. De la sorte, ils escomptent réussir à transformer “facilement” la crise politique en crise sécuritaire. Par ailleurs, pour se maintenir, les autorités actuelles seront d’autant plus obligées de recourir à la répression qu’une crise économique sans précédent est en train de grossir, accompagnée d’une crise socioculturelle profonde dont on parle rarement mais qui risque de conduire notre si fragile société à l’anomie. C’est dire que le pays court vers l’inconnu !

Entretien réalisé par : MOHAMED MOULOUDJ
Liberté,
le 31-05-2021

Edited by shadok
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