SOLAS 79 Posted September 16, 2022 Partager Posted September 16, 2022 DE ANIS CHOWDHURY / JOMO KWAME SUNDARAM 14 Sep 2022 La plupart des colonies françaises d’Afrique sub-saharienne ont accédé à leur indépendance formelle dans les années 1960. Leurs économies n’ont toutefois que peu progressé depuis. La majorité de leur population est abandonnée à la pauvreté et s’en sort en général moins bien que dans les autres économies de l’Afrique post-coloniale. Vous avez dit décolonisation? Les arrangements monétaires mis en place dans les colonies avant la Seconde Guerre mondiale ont été consolidés par la création de la zone du franc CFA (franc des Colonies françaises d’Afrique, FCFA) le 26 décembre 1945. Après la défaite française de Diên Biên Phu en 1954 puis le retrait de l’Algérie une décennie plus tard, le processus de décolonisation devint inévitable. La France insista sur le fait que la décolonisation devait s’accompagner d’une interdépendance – selon toute probabilité asymétrique plutôt qu’entre partenaires égaux – et non d’une vraie souveraineté. Ainsi, en échange de leur accession à l’indépendance, la France exigea des colonies leur adhésion à la Communauté française d’Afrique, créée en 1958 en remplaçant le terme colonies par celui de communauté (et en conservant le même sigle CFA). Les pays de la Communauté Française d’Afrique sont répartis aujourd’hui au sein de deux unions monétaires distinctes. Le Bénin, le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, la Guinée-Bissau, le Mali, le Niger, le Sénégal et le Togo appartiennent à l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA). La Communauté économique et monétaire d’Afrique centrale (CEMAC) regroupe pour sa part le Cameroun, la République centrafricaine, la République du Congo, le Gabon, la Guinée équatoriale et le Tchad. Seuls deux pays ne sont pas d’anciennes colonies françaises. La Guinée équatoriale, anciennement espagnole, a adhéré en 1985, et la Guinée-Bissau, ancienne colonie portugaise, en 1997. Les deux unions utilisent le franc CFA. Les conditions imposées à ces pays ont permis à la France de continuer l’exploitation de leurs ressources. Onze des quatorze anciennes colonies qui composent ces unions font toujours partie des Pays les moins avancés (PMA) et présentent le plus bas Indice de développement humain (IDH) tel que défini par le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD). Les colonies africaines de la France La Guinée a été le premier pays à se soustraire à la CFA en 1960. Devant ses concitoyens, le Président Sékou Touré a déclaré au Président français Charles de Gaulle en visite en 1958 : « Nous préférons vivre pauvres, mais libres plutôt que riches en esclavage ». La Guinée a rapidement dû faire face aux efforts de déstabilisation de la France. De faux billets furent imprimés et mis en circulation en Guinée avec des conséquences prévisibles. Cette fraude massive mit à genou d’économie guinéenne. La France retira plus de 4000 fonctionnaires, juges, enseignants, médecins et techniciens en les incitant à saboter tout ce qu’ils laissaient sur place : « un divorce sans pension alimentaire » selon un commentateur de l’époque. Le chef du Service de documentation extérieure et de contre-espionnage, ou SDECE, Maurice Robert a reconnu plus tard que « La France a lancé une série d’opérations armées, menées par des mercenaires dans le but de créer un climat d’insécurité et, si possible, de provoquer le renversement de Sékou Touré. » En 1962, le Premier ministre Georges Pompidou mit en garde les colonies africaines tentées de quitter la zone du franc CFA : « Laissons l’expérience de Sékou Touré suivre son cours. De nombreux Africains commencent à penser que la politique guinéenne est suicidaire et contraire aux intérêts de toute l’Afrique. » Le leader de l’indépendance au Togo, le Président Sylvanus Olympio a été assassiné devant l’ambassade des États-Unis le 13 janvier 1963, tout juste un mois après qu’il eut fondé une banque centrale émettant le franc togolais comme monnaie légale. Et bien sûr, le Togo resta dans la CFA. Le Mali quitta la CFA en 1962 et remplaça le franc CFA par le franc malien. Mais un coup d’État renversa son premier président, le leader radical de l’indépendance Modibo Keita. Sans surprise, le Mali finit par revenir dans la CFA en 1984. Des pays riches en ressources Les huit économies de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) reposent sur l’importation de pétrole et l’exportation d’or et de produits agricoles comme le coton ou le cacao. En revanche, les six économies de la Communauté économique et monétaire d’Afrique centrale (CEMAC), à l’exception de la République centrafricaine, reposent majoritairement sur l’exportation de pétrole. Les tenants de la CFA affirment qu’arrimer le franc CFA au franc français, puis à l’euro, a permis de maintenir l’inflation à un faible niveau. Mais une inflation faible entraîne également une croissance par tête plus lente et une moindre réduction de la pauvreté que dans les autres pays africains. Les membres de la CFA ont ainsi « échangé un faible taux d’inflation contre des contraintes fiscales et des options macro-économiques limitées ». De fait, les taux de croissance des membres de la CFA ont été en moyenne plus faibles que ceux des pays non adhérents. La Guinée équatoriale, grosse productrice de pétrole, bénéficie d’un des plus gros revenus d’Afrique ; elle est le seul pays à être sorti du statut de PMA en 2017, et encore, seulement en ce qui concerne le critère du revenu national brut par habitant. L’essor pétrolier du pays a assuré une croissance annuelle moyenne de 23,4 % entre les années 2000 et 2008. Mais cette croissance a chuté depuis, se contractant au rythme annuel de 5 % entre 2013 et 2021 ! Son indice de développement humain (IDH) était de 0,592 en 2019, le classant 145e sur un total de 189 pays, c’est-à-dire sous la moyenne (0,631) des pays de classement intermédiaire. Une population pauvre Les inégalités sont extrêmement fortes en Guinée équatoriale. Plus de 70 % de la population est pauvre, plus de 40 % extrêmement pauvre. Les 1 % les plus riches ont empoché 17 % du revenu national avant impôts en 2021, alors que les 50 % les plus pauvres ont récolté 11,5 % ! Quatre enfants de 6 à 12 ans sur dix ne sont pas allés à l’école en Guinée équatoriale en 2012, une proportion beaucoup plus élevée que dans les pays africains plus pauvres. La moitié des enfants ne terminent pas le cycle de l’école primaire et moins d’un quart accèdent au second degré. Le Gabon, également membre de la CFA, est le cinquième producteur de pétrole d’Afrique et un pays à revenu intermédiaire de tranche supérieure. Le pétrole représentant 80 % des exportations, 45 % du PIB et 60 % du revenu fiscal ; le pays est très vulnérable à la volatilité des prix du pétrole. Un Gabonais sur trois vivait dans la pauvreté en 2017 et un sur dix dans l’extrême pauvreté. Plus de la moitié des ruraux étaient pauvres, avec un niveau de pauvreté trois fois supérieur à celui observé dans les zones urbaines. La Côte d’Ivoire, un membre de la CFA qui ne fait pas partie des pays les moins avancés, bénéficiait d’une forte croissance, avec un pic à 10,8 % en 2013. La croissance chuta à 2 % en 2020 suite à la baisse des prix du cacao et à l’émergence du Covid 19. En 2019, 46 % des Ivoiriens vivaient avec moins de 750 FCFA par jour (environ $1,30) et l’indice de développement humain (IDH) du pays le classait 162e sur 189. Le rôle néocolonial de la CFA À l’évidence, la CFA « promeut l’inertie et le sous-développement au sein de ses Etats membres ». Elle limite aussi le crédit disponible pour des initiatives de politique fiscale comme la promotion de l’industrialisation. Les ratios de crédit sur PIB sont descendus jusqu’à 10 à 25 % dans les pays de la CFA, contre 60 % dans les autres pays de l’Afrique sub-saharienne ! Ces faibles ratios ne permettent pas non plus d’instaurer des services financiers et bancaires capables de financer efficacement l’investissement. En abandonnant la main sur les taux de change et la politique monétaire, les membres de la CFA disposent de moins de souplesse et de latitude pour initier des projets de développement. Ils ne peuvent pas non plus bien négocier les prix des marchandises et des ressources, ni apporter de réponses à de multiples autres questions essentielles. Les exigences institutionnelles de la CFA – en particulier l’obligation de conserver 70 % de leurs devises étrangères auprès du Trésor français – limitent la capacité des membres à utiliser leurs recettes en devises pour des projets de développement. D’autres règles fiscales plus récentes limitent les possibilités de dettes et de déficit des gouvernements des pays membres et contraignent aussi leurs marges de manœuvre, notamment en ce qui concerne les investissements publics. Ces règles s’appliquent depuis 2000 pour les gouvernements des pays de l’UEMOA et 2002 pour les pays de la CEMAC. La CFA ne promeut pas non plus les échanges entre ses membres. En six décennies, le commerce avec les autres membres de la CFA s’est élevé à une moyenne de 4,7 % du total de leur commerce pour les pays de la CEMAC et de 12 % du total de leur commerce pour les pays de l’UEMOA. Pire encore, le régime des taux de change fixes a aggravé la volatilité de la balance des paiements. La fuite des capitaux est en revanche favorisée, car aucune restriction n’encadre les transferts vers la France. La convertibilité en euro illimitée du FCFA est supposée réduire les investissements étrangers à risque dans l’espace de la CFA. Néanmoins les investissements étrangers sont moindres que dans les autres pays en voie de développement. Le total des sorties nettes de capitaux des économies de la CFA, de 1970 à 2010, s’élève à 83.5 milliards de dollars – 117% des PIB cumulés de tous ces pays ! Cette fuite de capitaux est bien supérieure à celle observée dans les autres pays africains au cours de la période allant de 1970 à 2015. ************************************************************************ Anis Chowdhury est professeur auxiliaire à l’Université Western Sydney et à l’Université de New South Wales (Australie). Il a occupé le poste de directeur de la division Politique macroéconomique et développement aux Nations-Unis (UN-ESCAP).(tiré de https://www.cetri.be/_Anis-Chowdhury_) Jomo Kwame Sundaram, ancien professeur d’économie, a été secrétaire général adjoint des Nations Unies pour le développement économique et a reçu le Prix Wassily Leontief pour l’avancement des limites de la pensée économique en 2007. (tiré de https://www.ipsnews.net/author/jomo-kwame-sundaram/) Source originale: IPS – Global Issues Traduit de l’anglais par F. Breton pour Investig’Action Citer Link to post Share on other sites
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