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Figure mythique de l’amazighité dans les Aurès, Ammar Neggadi retrouve les ancêtres


Guest ratatouille

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Ammar des Aurès, Ammar Chawi est parti. Il l’a fait un jour d’hiver, en terre d’exil. Discrètement. Sur la pointe des pieds. A la manière de l’humble parmi les humbles qu’il fut 65 ans durant. Décédé le 2 décembre dernier à Paris des suites d’une longue maladie, Ammar Neggadi a rejoint lejdoudh. A sa façon, comme toutes les âmes pures qui iront à leur tour féconder les cieux, terre de prédilection des ancêtres chaouis. Clin d’œil malicieux de la vie ou coup de pouce du destin, le Chaoui a été enterré un 11 décembre, jour de la dignité algérienne et journée durant laquelle un grand du monde, Martin Luther King, a reçu son prix Nobel à Oslo.

 

Ammar, ce digne fils de Tmerwanth, Massyle Lamasba des Romains et Merouana des Arabes, a été inhumé chez lui. En présence des siens, notamment de sa fille et de son fils Daris. Aussi, de militants du mouvement culturel amazigh, encadrés par l’association culturelle Belezma, nombreux venus des quatre coins du quadrilatère auressien. Il y avait aussi d’autres Chaouis anonymes, en plus grand nombre. Alors, bienheureux comme il peut l’être au royaume des braves et des justes, Ammar ne se retournera pas dans sa tombe car les officiels ont eu le bon goût de ne pas effectuer le déplacement.

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Exilé en France où il était allé voir en 1974 si l’herbe culturelle amazighe y était plus verte, Ammar Neggadi est à la revendication identitaire berbère ce que le Kabyle Mohand Aarav Bessaoud fut à la question culturelle de même essence. D’ailleurs, les deux hommes qui s’appréciaient avaient travaillé ensemble. Ils avaient porté alors à bout de bras l’Agraw Imazighen, l’Académie berbère créée à Paris en 1965, sous l’impulsion du chantre culturaliste kabyle. Ammar des Aurès, qui quittera l’Académie en 1975, le jour où la confusion et la suspicion étaient devenues le moteur de fonctionnement de l’Académie, avait dirigé le Comité Paris-région Ile-de-France de l’Agraw Imazighen.

 

Noyautée en profondeur par l’ancienne Amicale des Algériens en Europe, l’Académie entrera alors en crise, entraînant son implosion et le départ forcé de Mohand Aarav Bessaoud en Grande-Bretagne. Victime lui-même des malentendus que la défiance et le soupçon génèrent parfois dans le cœur des hommes, Mohand Aarav Bessaoud finira par accuser son camarade de lutte d’être un agent infiltré de la police politique. Digne et sobre, Ammar Neggadi n’en fera jamais grief à son compagnon. Il dira à ce propos que la rupture avec l’Académie fut provoquée par «les infiltrations de tous genres où chacun menait rumeurs et surenchères. Les agitateurs finiront par prendre le dessus en amenant Agraw Imazighen à commettre des actes répréhensibles par la loi (racket), actes qui le feraient dissoudre et amener Mohand Aarav Bessaoud à s’exiler». Pour disculper l’auteur de Heureux les martyrs qui n’ont rien vu, il affirmera que «la crise de 1978 […] n’était en réalité qu’une machination ourdie par les amicalistes FLN contre Mohand Aarav Bessaoud qui dérangeait à l’époque de par son statut d’ancien maquisard et surtout son dévouement irréprochable pour la cause amazighe».

 

Esprit cartésien et plume alerte particulièrement déliée, Ammar Chawi irriguera de ses écrits denses sur l’histoire, la géographie et la culture des Aurès le champ de la revendication amazighe. Guide autant que repère, sa vulgate constitue à ce jour le socle de la réflexion et de l’action du Mouvement culturel amazigh dans les Aurès. Aujourd’hui, une cinquantaine d’associations militantes activent dans les Aurès. Des noms de militants dévoués de la revendication culturelle et identitaire, «fils» d’Ammar Chawi, comme Messaoud Nedjjari, Cherif Merzougui, Saci Abdi et Salim Yezza, constellent le ciel de la cause culturaliste amazighe auressienne. A Ammar Neggadi, auteur d’une géographie de l’Aurès consultable sur l’encyclopédie en ligne Wikipedia, on doit notamment la création du calendrier berbère.

 

Il fut publié en l’an amazigh 2930, correspondant à l’année grégorienne 1980, justement l’année du Printemps berbère. Il fut alors l’œuvre de l’association Tediut n’Aghrif Amazigh, l’Union du peuple amazigh, lancée en 1978. Le point de départ de ce calendrier simple est l’an 950 av.J.-C. L’année correspond à l’accession au statut de pharaon d’Egypte d’un Berbère qui fonda la XXIIe dynastie sous le nom de Chéchonq 1er, roi à la déclinaison phonétique multiple. Les dates retenues pour son règne sont 945-924. Les mois berbères tels que retenus par Ammar Neggadi sont : yannayer, furar, meghres, yebrir, mayyu, yunyu, yulyuz, ghucht, chtember, tuber, nwamber et dujember.

 

Ce calendrier est orienté vers l’activité agricole. Ce qui fait que tagrest (l’hiver) débute le 17 novembre alors que tafsut (printemps) commence le 14 février. Tandis qu’awil (l’été) pointe avec ses premières chaleurs le 17 mai avant amiwan (l’automne) dont le point de départ est le 18 août. Il y a aussi les nuits noires et les nuits blanches de l’hiver berbère qui renvoient aux jours fastes et aux journées néfastes. Il existe aussi dans ce calendrier Tawurt n usegwan, les «portes de l’année», prélude à ixfu segwas, l’anezwar u segwas, le nouvel an berbère qui donne lieu le soir à imensi u menzu n yennayer, le dîner du premier jour de l’année berbère, le 12 janvier.

 

Ammar Neggadi, qui sera également à l’origine de la publication des premières listes de prénoms amazighs, ouvrira Adlis Amazigh, la première librairie berbère, rue Léon Frot, dans le 11ème arrondissement parisien. Il créera aussi Asaghen/le Lien. Mais il se distinguera surtout par la passion, la fougue et la constance mises à défendre la graphie tifinagh. Il croisera à ce propos le fer avec l’écrivain kabyle Mouloud Mammeri qui a systématiquement contesté les choix de Neggadi et de l’Académie berbère de transcrire en tifinagh innovés Tamazgha. Face à son détracteur, «défenseur zélé des caractères latins», Ammar des Aurès avancera cet argument : «D’autres peuples, d’autres langues nous ont administré la preuve que des alphabets prétendument inaptes peuvent, au contraire, se moderniser, s’adapter et constituer le meilleur support. Pour mémoire, l’hébreu. D’ailleurs, pourquoi irait-on chercher ailleurs ce que l’on a chez soi ? Les tifinagh existent, cet alphabet est notre création depuis des millénaires, il n’y a rien à envier à des écritures qui ne sont que l’adaptation d’un phénicien récent». A propos des Chaouis, Ammar Neggadi, qui aimait les siens comme il adulait Belezma, son terroir chaoui, disait d’eux qu’ils «sont les dindons de la force». Mais qu’ils sont légalistes et unitaires.

 

Leur façon d’être algériens et chaouis «s’explique par l’histoire et la sociologie particulières de la région». Pour lui, «le Chaoui est par ‘‘essence’’ légitimiste, unioniste : il rejette tout ce qui peut lui paraître diviseur, séparatiste, régionaliste. Il préfère s’effacer, se fondre, plutôt que nuire à l’unité» nationale. C’est en ce sens qu’ils seraient «les dindons de la force» au pouvoir, celle qu’on leur impute inconsidérément et qu’on avait résumée par la formule BTS, à savoir le triangle géographique Batna-Tebessa-Souk Ahras.

Le Chaoui a donc tiré sa révérence. Il aurait finalement tant aimé chanter avec Markunda Awres, une dernière fois, l’olivier sacré de Belezma ou de Taxlent. La chanteuse aux cordes vocales exhalant les parfums de Markanda, d’Arris et de Narteth célébrait ainsi cet olivier qui porte l’âme chaouie :

 

"Emmenez-moi au pays de l’olivier

Emmenez-moi au pays du soleil

Là-bas à Taxlent

Auprès du vieil olivier

L’olivier sacré

L’arbre des origines

L’arbre des racines

Je viendrai près de toi mon olivier

Je viendrai, je le promets

Jeter mon souffle à tes pieds."

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