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L'avis d'une sociologues sur les élites algériennes.


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Amel Boubekeur. Sociologue au centre Carnegie du Moyen-Orient (Beyrouth)

« Les élites économiques algériennes sont en panne de relais politiques »

 

Interrogée en marge d’une rencontre scientifique sur les expériences comparatives de réformes au Maghreb et au Moyen-Orient, organisée le 4 mars par le CREAD, Amel Boubekeur, chercheuse au Carnegie Middle Est Center de Beyrouth, a bien voulu répondre à nos nombreuses questions portant sur les élites économiques algériennes auxquelles elle a consacré un important travail d’investigation.

 

 

- Les ouvertures politiques et économiques mises en œuvre juste après les émeutes d’octobre 1988 ont élargi le champ des élites, parmi lesquelles les élites économiques (patrons d’entreprise) figurent en bonne place. Comment expliquez-vous qu’après les avoir longtemps marginalisées, l’Etat algérien soit aujourd’hui favorable à l’émergence en nombre et en qualité de chefs d’entreprise privée ? Quel intérêt y trouve-t-il ?

- Je pense que l’intérêt de l’Etat consiste surtout en l’intégration de ces élites à ses structures beaucoup plus qu’à créer un secteur autonome susceptible d’échapper à son contrôle. Les entreprises privées doivent toutefois être appréciées dans leur diversité. Leur histoire n’est pas la même, l’importance des capitaux varie d’une entreprise à une autre et la proximité des patrons avec les tenants du pouvoir politique n’est pas la même pour tous. Il y a eu, de surcroît, diverses formes d’accumulation du capital. Il y a ceux qui, durant les toutes premières années d’ouverture, ont accumulé des capitaux dans des activités d’importation, qu’elles ont investis dans des sociétés industrielles. Il y a également un phénomène très intéressant apparu depuis une dizaine d’années, à la faveur de projets mis en place par le gouvernement algérien ; il s’agit de l’émergence de jeunes entrepreneurs. En dépit de nombreux obstacles administratifs, financiers et autres, les réussites sont nombreuses et porteuses d’espoir.

- On relève tout de même une contradiction dans la politique des pouvoirs publics à l’égard des élites économiques. L’Etat travaille d’un côté, officiellement et concrètement, par la législation et ses aides multiformes à l’émergence du secteur privé et, de l’autre, à le maintenir sous son giron en l’empêchant, notamment, de devenir autonome…

- Effectivement, il y a chez nos gouvernants la crainte que l’ambition politique des élites économiques ébranle un jour le pouvoir, ce qui est, à mon avis, totalement faux. Il faut en effet savoir que la rente financière aux mains de l’Etat est nettement plus importante que l’ensemble des capitaux que pourraient détenir les entreprises privées. On perçoit, toutefois, une crainte, sans doute d’origine historique, que ces entreprises accaparent une partie de cette rente. C’est sans doute pour cela que nos gouvernants ne conçoivent pas une évolution libre du secteur privé.

- Pas même quand la rente pétrolière est, comme c’est actuellement le cas, si importante que nos gouvernants peuvent se permettre quelques ouvertures ?

- Je pense qu’on ne peut pas du jour au lendemain remplacer une catégorie d’acteurs par une autre. Il faut un travail commun avec des objectifs communs. Aujourd’hui, tout l’enjeu consiste en la définition de ce qu’on va faire de cette rente, comment ceux qui sont au pouvoir peuvent garantir leurs intérêts tout en permettant des changements. Et au regard de la crise financière internationale, il est fort possible que cette rente ne soit pas aussi importante pour être protégée de la même manière qu’aujourd’hui. Il faudrait commencer à y réfléchir, car le cas s’est déjà produit en 1988, contraignant le pouvoir à s’élargir en incluant de nouvelles forces.

- Est-ce à dire que le pouvoir en place peut du jour au lendemain remettre en cause l’émergence de ces élites ?

- L’émergence en nombre d’élites économiques est, à n’en pas douter, un phénomène irréversible. Elles sont déjà fort nombreuses et elles le seront encore davantage à l’avenir. Ce sont des forces émergentes avec lesquelles il faudra nécessairement composer. Le grand défi est de savoir comment travailler avec elles pour promouvoir des pratiques de gestions saines.

- Les autorités politiques en place ne redouteraient-elles pas plutôt que ces élites économiques constituent les élites politiques de demain, avec tous les risques de remise en cause du système actuel ?

- Les élites économiques algériennes sont en panne de relais politiques. Or, pour qu’elles aient quelques chances d’avoir un destin politique, il faudrait absolument qu’elles aient des relais dans les partis de l’opposition et constituent leur base dans la société civile. Or, l’opposition ne semble pas, du moins pour l’instant, voir l’intérêt de travailler avec les élites économiques qui, à leur tour, ne font pas grand-chose pour avoir un ancrage dans la société civile. Les oligarques proches du pouvoir ont, quant à eux, peur de perdre leurs privilèges s’ils venaient à changer d’alliance politique, d’autant plus qu’ils savent que la relève politique, comprise dans le sens de la continuité du système en place, semble déjà engagée en leur faveur. C’est pour cela qu’il faut absolument que les partis de l’opposition engagent, notamment à la faveur d’événements électoraux majeurs, un travail de rapprochement plus intense avec ces élites.

 

 

Par Nordine Grim

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