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Lorsque Fellag répond á ses détracteurs


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L’humoriste Mohamed Fellag parle de son dernier spectacle à Liberté

“L’Algérie est un moteur qui ne tombe pas en panne”

 

 

“Tous les Algériens sont des mécaniciens”, le dernier spectacle de Fellag, continue sa tournée des théâtres français avec un succès qui ne se dément pas. Dans cet entretien, le comédien revient sur sa carrière, ses relations avec l'Algérie et sur la polémique déclenchée par le spectacle.

 

Liberté : As-tu un compte à régler avec les mécaniciens en intitulant ainsi ton spectacle ?

Mohamed-Saïd Fellag : Au contraire, j'en garde un souvenir émerveillé. J'ai roulé en Algérie pendant 18 mois grâce à un ressort de stylo qu'un mécanicien amateur a recyclé dans ma voiture. À travers eux, c'est un hommage que je rends à l'ingéniosité des Algériens et à leur génie d'invention et d'adaptation. Dans mon spectacle, tous les personnages qui participent à la réparation d'un moteur forment une galerie de portraits, tous très attachants. Il y a un prof de philo francophone au chômage, un retraité de la Sécurité sociale, un musulman rigoriste, et bien d’autres. Même quand ils ne partagent pas les mêmes idées, ils ne s'entretuent pas. Ils confrontent leurs points de vue de façon paisible et rigolote. En aucun cas, je ne les juge. Tous ces personnages, je les aime. J'essaie de montrer comment ils arrivent à communiquer, à être en symbiose. Telles des pièces d’un moteur, ils agencent leurs personnalités respectives pour mieux vivre ensemble. Même si c’est avec des bouts de ficelle.

 

Les Algériens sont tous des mécaniciens, est-ce que cela veut dire que l'Algérie est un moteur qui tombe tout le temps en panne ou au contraire qui ne risque rien avec tous ces mécaniciens qui veillent sur lui ?

Les deux, mon général. C'est un moteur qui a des ratés mais qui, en même temps, tourne grâce au génie de ces mécaniciens pour qui j'ai beaucoup de tendresse. À vrai dire, je n'en ai pas autant pour les gens du pouvoir, en tout cas pas assez pour les mettre en scène. J'ai vécu dans un milieu populaire, c'est mon humus, mon bocal. Je me sens comme un poisson dans ce “qazane”. Les travers, les trategs, les défauts, voire les tares de mes personnages sont le produit d'une situation sociale. Quand je parle de la “saleté” de Monsieur Saïd, par exemple, les spectateurs tels des convives intelligents comprennent. Ils savent que c'est une caricature. C’est un prétexte pour parler des pénuries d’eau qui furent chroniques. Le taux démographique très élevé chez Saïd rend aléatoire et difficile le bonheur de prendre une douche. Je ne me moque pas. Je pastiche. Je grossis les traits pour mettre le doigt sur une situation sociale pénible, précisément là où ça fait mal. Mes personnages sont issus des classes populaires. Ils retournent les choses avec humour pour prendre des revanches sur des situations contre lesquelles ils ne peuvent souvent rien dans la réalité. Les propos des personnages n'expriment pas l'opinion de l'auteur. En inventant un monde imaginaire, l’artiste donne l’illusion de la réalité. Des personnages de différents caractères se conduisent et pensent en fonction de leur philosophie propre. Le créateur de cet univers fait faire des choses méchantes aux méchants, des choses perverses aux pervers... C’est le propre même de notre métier. Afin de répondre à la censure, mieux, aux anathèmes, prononcés par certains de ses compatriotes à cause d’un personnage de son dernier roman proférant des choses supposées abominables sur l’Égypte et les Égyptiens, l’écrivain Alaâ El-Aswani évoque le danger consistant à croire que les propos tenus par les personnages d’un roman, un film ou encore une pièce de théâtre, sont ceux de l’auteur. Extrait : “L’homme de lettres n’est pas un chercheur scientifique. C’est un artiste marqué dans sa sensibilité par des personnages de la vie quotidienne et qui essaie de les faire passer dans son œuvre. Ces personnages traduisent une vérité humaine mais pas obligatoirement sociologique. Le travail littéraire peut nous donner des indications utiles sur une société donnée, mais il ne peut pas présenter une vérité au sens scientifique du mot.”

 

Pour la première fois, des personnages ne sont pas joués par Fellag seul. Cette fois-ci, tu es en compagnie d’une femme, une comédienne française. Changement de forme important dans l’évolution de ton écriture et dans ton style de mise en scène ?

J’étais comédien au TNA et dans différents théâtres régionaux de notre pays. Précisément trois ans au théâtre de Annaba, deux ans à la Maison de la culture de Tizi Ouzou et pendant deux ans au théâtre de Bougie. J’y étais vraiment heureux. J’ai toujours eu le goût du partage. Ce fut un bonheur de travailler en troupe. Le faire avec mes copains comédiens, frères d’art, compagnons de misère, fut un régal, une véritable jubilation. C’était nos années superbes. On avait foi en l’avenir. On croyait même qu’il allait être radieux. On jouait des pièces légères, chaleureuses, rigolotes même quand elles ne pointaient pas au registre de la perfection. Elles étaient tout simplement humaines. On s’amusait beaucoup. J’en garde des souvenirs émus. Magnifiques. Le manque d’auteurs de théâtre était un problème très crucial. Le grand problème. L’inertie et la léthargie de notre théâtre en proviennent. D’ailleurs, c’est ce qui m’avait fortement incité à écrire. À raconter des histoires, les nôtres propres. Le besoin était grand d’exprimer ma vision personnelle du monde et du tintamarre algérien. Le one man show n'était donc pas réellement un choix, c’était une urgence. Octobre 88 en fut l’acte fondateur. C’est le mythe théâtral fondateur de Mohand-Saïd Fellag. Cocktail Khorotov en fut le détonateur. La situation politique s’est alors emballée. La crise sociale s’est aggravée et les prix du pétrole se sont effondrés. Photographie triste et inquiétante de la fin des années 80. Tels des cumulonimbus, des jours sombres s’annonçaient. Le théâtre qui devait être le pain quotidien du peuple ne portait pas ses rêves, ses idéaux. Notamment en raison du déficit chronique d’auteurs. Les gens du peuple, eux, bien en avance, avaient plus de lucidité et d’humour pour mieux raconter les événements. J'ai écouté les gens, j’ai cultivé leur langue, j’ai adopté leur langage et j’ai épousé leur style. Et le premier mixage fut Cocktail Khorotov que mes compatriotes ont savouré telle une délicieuse garantita bel kemmoun accompagnée d’un leben pure bagra, non pasteurisé. Comme ça a fermenté tout de suite, j'ai continué à brasser mon “yaourt” théâtral. Quelques années plus tard, contraint à l'exil, je suis parti en France avec des valises pleines d’histoires destinées initialement à être jouées au pays. J’ai déballé mes valises et déroulé les pages de mes histoires algériennes. Aujourd'hui que mon pays est plus calme et plus stable, et moi-même plus apaisé, j’ai senti le besoin de m’éloigner de l’espace du one man show et revenir à mes premières amours, ma vraie raison d’être, le théâtre. Le désir des planches est revenu, irrésistible. Entre Marianne Epin, grande comédienne de théâtre qui a notamment joué Feydeau, Tchekhov, Molière, Shakespeare, notre vénérable cheikh Zoubir national et moi-même, il y a une rare connivence théâtrale. De même une grande complicité artistique et intellectuelle. Dans Tous les Algériens sont des mécaniciens, Shéhérazade et Salim forment un couple connivent, complice, visiblement heureux. Ce duo n'est pas dans le conflit. Salim-Fellag n'est pas macho comme on imagine qu’il aurait pu l’être. Shéhérazade-Epin n'est pas une femme soumise. J'avais envie de montrer un couple algérien dans le bonheur et la sérénité. Une femme et un homme qui racontent leur quartier de manière poétique, fantaisiste, avec beaucoup d’amour, mais d’une façon forcément caricaturale car ne l’oublions pas, nous sommes au théâtre. Au second degré, les ondes que la doublette transmet à un public heureux lui aussi par effet d’identification sont autant de messages pour une Algérie heureuse.

 

Justement, tu es suspecté de vouloir dégrader l'image de l'Algérie, qui plus est devant le public français et sur la plus belle avenue du monde ?

Quel est l’intérêt pour moi de dégrader l’image de mon pays ? Ce serait scier la branche sur laquelle je suis assis. Vraiment, on nage dans l’absurde, en apnée, jusqu’à la noyade. Si le ridicule pouvait tuer, il y aurait sur le trottoir nombre de ces procureurs qui s’érigent en dispensateurs de brevet de bon patriotisme et de parfait nationalisme. Le cimetière de la bêtise serait surpeuplé de ces “khorotos”. Ces zigotos feignent d’oublier que je suis l’un des meilleurs contributeurs à l’amélioration de l’indice I.B.B.N., l’indice de bonheur brut national. Au Théâtre du Rond-Point, il y avait tous les soirs huit cents personnes dont la moitié étaient des compatriotes d’ici et de là-bas. Ces Algériens spectateurs et néanmoins mes frères et sœurs ont avec l’artiste l’Algérie en partage. Ils avaient le rire du bonheur éclatant. Après chaque représentation, ils repartaient chez eux plus légers en traversant la plus belle avenue du monde qui soudain leur semblait plus accueillante, plus familière. N’est-ce pas là une belle victoire du théâtre, du rire qui abolit toutes les frontières ? Preuve que

l’humoriste est un jeteur de passerelles.

 

 

 

Après quinze ans d’exil, est-ce que tu ne penses pas qu’il est temps d’aller recharger tes batteries en Algérie ?

J’ai des batteries “high life”, longue durée, pour moteur (à rire) turbocompresseur. Je l’ai déjà dit ailleurs, l’Algérie, notre pays, est mon logiciel. Il est régulièrement mis à jour. Thamurth est l’ADN de mon inspiration permanente. Je suis toujours en immersion dans l’humus et le tumulte algériens. C’est ma gazouze Hamoud Boualem, ma loubia harrra de la rue Tanger, mon seksu s-ivawen, ma musique chaâbi. Mon Algérie, d’Alger à Bordj Badji Mokhtar, d’Oum-Etteboul à Zoudj Bghal, c’est mon mazout, mon azote, mon oxygène.

 

A. O.

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