Clouseau 899 Posted May 11, 2007 Partager Posted May 11, 2007 Alors que le Premier ministre britannique devait annoncer cette semaine la date de son départ, l’heure est au bilan de ses dix années de pouvoir. Pour l’hebdomadaire de gauche New Statesman, il est plus que contrasté. Tony Blair n’a pas su s’arrêter à temps : il aurait dû partir fin 2003, dès que l’absence d’armes de destruction massive en Irak a été confirmée. De nombreux dirigeants ont été obligés de se retirer pour moins que cela. Tony Blair a préféré s’accrocher. Il a survécu aux rapports Hutton* et Butler**, mais dépouillé du prestige dont il jouissait en Grande-Bretagne et dans le reste du monde. Ces trois dernières années sont un gâchis, une démonstration de vanité politique. En mai 1997, pour marquer l’accession du New Labour au pouvoir, nous avions écrit : “Tony Blair sera sans doute le meilleur Premier ministre depuis Churchill.” Dans l’euphorie de cette victoire écrasante, tout semblait possible. La gauche radicale avait depuis longtemps intégré l’idée que gouverner consiste à maîtriser l’art du compromis, notamment dans un système électoral faussé par des électeurs indécis. Mais l’une des choses les plus regrettables de l’ère Blair est que notre Premier ministre considère toute personne préoccupée par les libertés civiques, l’Etat de droit, la redistribution des richesses et la pauvreté au mieux comme une gêne, au pire comme un ennemi intérieur. Certes, il y a eu de nombreuses avancées. Le salaire minimum et l’indépendance de la Banque d’Angleterre ont constitué les deux piliers de la justice sociale et de la stabilité économique. En manière de santé et d’éducation, même si les réformes ont parfois été floues et erronées, le gouvernement n’a pas lésiné sur les moyens et les améliorations sont visibles. La lutte contre la pauvreté des enfants a été engagée, même si ses objectifs ambitieux ne seront sans doute pas atteints. Nul ne peut nier que les Sure Start Centres [chargés de mettre en œuvre le programme d’aide aux enfants défavorisés] sont un succès. Les retraités les plus pauvres ont enfin pu sortir la tête de l’eau. La délinquance a baissé, même si les actes de violence, principale préoccupation de l’opinion, ont augmenté. Il n’a jamais remis en question le consensus La faiblesse principale du programme du New Labour est illustrée de manière criante par les inégalités sociales. Il est scandaleux que le fossé entre les plus riches et les plus pauvres se soit encore creusé et qu’il ait été aggravé par la spéculation immobilière. L’ascenseur social est en panne. En matière de diversité culturelle, le bilan est mitigé. Les unions civiles évoquent une plus grande tolérance, mais les relations entre les races sont devenues plus difficiles, notamment à cause de tensions avec les musulmans. Avec l’obsession du matérialisme et de la célébrité, la vie en Grande-Bretagne est aussi peu édifiante que dans les années 1980. La préférence de Blair pour les riches a été décourageante. De la saga Ecclestone [le patron de la F1 avait prêté au Labour 1 million de livres, que, face à la polémique, celui-ci a dû rendre] au scandale des ventes de pairies, il est resté sourd aux signaux d’alarme. Et avoir laissé David Cameron s’approprier l’argument selon lequel la qualité de vie vaut plus que les gains matériels est une terrible défaite pour le Labour. Dans quelle mesure nos dirigeants politiques façonnent-ils notre société ou se contentent-ils d’en être le reflet ? Blair a rarement remis en question le consensus. Sur le réchauffement climatique, par exemple, il a laissé traîner les choses et refusé d’aller à l’encontre des intérêts industriels. Fort de son succès électoral, il aurait pu faire preuve de davantage d’audace sur les questions européennes au début de son mandat ; il a préféré céder aux pressions des barons des médias. Cet homme dont l’obsession était de contrôler la presse en est devenu le vassal. Après avoir fait passer une loi sur l’accès à l’information et intégré les droits de l’homme dans le droit britannique, il a adopté une politique judiciaire dictée par le Sun et le Daily Mail. La seule fois où il a osé prendre des risques, les conséquences ont été catastrophiques. Dans son désir immodéré de soutenir le gouvernement américain le plus extrémiste que nous ayons jamais connu, Blair a trahi le peuple, mais il a de surcroît affaibli les institutions internationales et le rôle de la Grande-Bretagne dans le monde. L’Irak, cinquième guerre de Tony Blair en six ans, n’était pas une aberration. C’était le résultat d’une vision du monde définie par l’orgueil (croire en ses capacités de persuasion) et la naïveté (croire que le Royaume-Uni n’existe que par nos liens avec les Etats-Unis), mais également pétrie de bonnes intentions. L’Irak restera pour toujours accolé au nom de Blair. Tout le monde le sait – sauf le principal intéressé. Dans son discours de départ aux députés du Parti travailliste, il se contente d’évoquer “la fin de régimes répressifs en Afghanistan et en Irak”… Mais il serait trop simple et trop facile d’imputer la responsabilité de cet échec à un seul homme. Ce fut un échec collectif. Tous les membres du gouvernement 2003, y compris le chancelier de l’Echiquier [et futur Premier ministre Gordon Brown], seront jugés par l’Histoire pour le rôle qu’ils ou elles auront joué. Alors que le Parti travailliste dégringole dans les sondages et que David Cameron consolide son avantage, les deux années qui viennent s’annoncent houleuses pour Gordon Brown. L’homme qui a ressuscité le Labour, en remportant trois élections à la suite, lègue à son successeur un parti en plein désarroi. * La commission Hutton a enquêté en 2003 sur la mort de David Kelly, un scientifique qui aurait alerté la BBC sur les manipulations d’un rapport sur les armes de destruction massive. ** La commission Butler s’est penchée en 2004 sur les erreurs commises par les services de renseignements à propos des armes irakiennes. Citer Link to post Share on other sites
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