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Une révolution des sourires commémorée dans la peur et la désillusion en Algérie


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Fabien Deglise

16 février 2022

Afrique

C'est une tournure bien sombre que vient de prendre le Hirak, la révolution du sourire en Algérie qui appelle à la refondation démocratique du pays. À l'approche de son troisième anniversaire, ce mouvement populaire fait face depuis plusieurs mois à une répression sans précédent de la part du régime en place et à une explosion sévère des arrestations pour délit d'opinion.

 

Mais ce durcissement face à cet appel inédit pour une modernisation politique du pays et pour la construction d'un réel État de droit n'arrivera pas à faire taire cette opposition, estiment plusieurs militants du Hirak, dont le mouvement a été coupé court par la pandémie en 2020. Ils attendent désormais la fin des restrictions sanitaires pour porter à nouveau leurs revendications dans les rues.

 

« Aujourd'hui, la situation des droits de la personne, des libertés civiques et des droits démocratiques est pire en Algérie, et de loin, par rapport à février 2019 », soit le début du mouvement, résume à l'autre bout du fil le militant politique et fondateur du Rassemblement actions jeunesse (RAJ), Hakim Addad, joint par Le Devoir en France, où il s'est réfugié sous la menace d'un emprisonnement en Algérie.

 Le régime essaie par tous les moyens de faire taire cette opposition. Mais le problème, c'est que le Hirak n'est pas l'émanation de partis politiques. Il vient du peuple. Et une fois la pandémie terminée, ce mouvement citoyen va retrouver une manière de manifester pacifiquement pour exiger les transformations politiques, constitutionnelles et sociales qu'il n'a toujours pas obtenues », ajoute-t-il.

 

C'est le 16 février 2019 que cette révolution dite du sourire — en raison du caractère festif et familial des marches hebdomadaires qu'il a fait naître dans les rues des villes d'Algérie — s'est amorcée dans la ville de Kherrata, en Kabylie, portée par une indignation soudaine que la jeunesse du pays a commencé à faire résonner dans les tribunes de stade de soccer du pays.

 

La perspective d'un cinquième mandat de l'ex-président Abdelaziz Bouteflika, affaibli par la maladie, silencieux et absent, a déclenché ce vent de colère.

 

Six jours plus tard, le 22 février, il soufflait sur Alger pour s'y maintenir chaque vendredi et sans relâche, jusqu'au début de la crise sanitaire liée à la COVID-19.

 

Après avoir obtenu la démission de Bouteflika, en avril de cette année-là, le mouvement a maintenu sa pression sur le régime, réclamant la fin du pouvoir des militaires et l'entrée de l'Algérie dans une réelle ère démocratique. Il a également rejeté massivement les rendez-vous électoraux orchestrés par le pouvoir en place, les jugeant non conformes à ses aspirations.

 

En décembre 2019, l'actuel président, Abdelmadjid Tebboune, a donc été élu alors que plus de 60 % de la population ne s'est pas présentée devant les urnes. Un an plus tard, le référendum sur la réforme de la Constitution du pays a été boycotté par plus de 76 % des électeurs, le taux de participation le plus bas dans l'histoire électorale du pays.

 

Des droits attaqués

 

 

« Le pouvoir a promis une Algérie du changement et une Algérie des libertés, laisse tomber, au téléphone, Saïd Salhi, vice-président de la Ligue algérienne pour la défense des droits de l'homme (LADDH). Mais tout ça n'était qu'un mensonge. Nous assistons plutôt à des attaques contre les droits de base, comme le droit d'expression, de réunion, d'association, acquis » depuis les révoltes de 1988 qui ont appelé à la libéralisation du régime.

 

« Les présidents de partis d'opposition font l'objet d'arrestation, d'emprisonnement, de menace, de harcèlement, ajoute-t-il. Pour la première fois, depuis le début du Hirak, nous avons dépassé le nombre des 300 prisonniers politiques. C'est un véritable régime de peur qui s'est installé. »

Fin janvier, 40 de ces prisonniers détenus dans la prison d'El-Harrach à Alger ont d'ailleurs déclenché une grève de la faim pour dénoncer la violence de leur détention provisoire, qui s'étire dans l'attente de leur procès, et surtout l'absurdité des accusations auxquelles ils font face.

 

En juin dernier, une réforme du Code pénal algérien a permis en effet au pouvoir en place d'assimiler à du « terrorisme » et à du « sabotage » tout appel à « changer le système de gouvernance par des moyens non conventionnels ». La mesure a été suivie par l'intensification de la répression des militants du Hirak, des membres d'associations politiques ou sociales, des journalistes — 14 poursuivis et 4 détenus à ce jour — ou encore de simples citoyens.

 

« Nous avons perdu notre capacité à nous exprimer, dit Hakim Addad. Un simple post sur Instagram peut vous conduire en prison. » Lui a passé trois mois et demi en prison, après avoir été arrêté en octobre 2019 pour avoir milité au sein du RAJ en faveur du Hirak. Un geste qualifié « d'atteinte à la sûreté de l'État » par les autorités. En 2021, il a quitté le pays pour la France, afin d'éviter un autre emprisonnement.

 

Confirmées par les avocats et les familles de détenus, ces grèves de la faim n'ont toutefois pas été « reconnues » par les autorités, qui en ont nié l'existence le 29 janvier dernier. Le régime a également menacé de poursuites toutes les personnes qui feraient circuler des informations allant à l'encontre de cette version des faits. « Le pouvoir et le système n'ont pas changé, assure Saïd Salhi. Il n'y a eu qu'un recyclage qui a maintenu le verrouillage du processus démocratique et la fermeture des espaces publics d'expression ». 

 

L'opposition muselée

 

La semaine dernière, Amnesty International a vertement dénoncé ce nouveau cycle de la répression en Algérie qui a conduit à la suspension « temporaire » du Parti socialiste des travailleurs (PST), un parti d'opposition soutenant le Hirak, mais également à la condamnation de Fethi Ghares, coordinateur du Mouvement démocratique et social (MDS), une institution dans le paysage politique algérien. Il doit purger deux ans de prison pour « outrage à corps constitué » et diffusion d'informations pouvant « porter atteinte à l'intérêt national ». Son crime : avoir critiqué les autorités sur les réseaux sociaux, mais aussi lors d'une réunion politique au siège du parti en juin 2021.

 

« Notre travail [à la Ligue algérienne pour la défense des droits de l'homme] devient de plus en plus difficile et même dangereux, assure Saïd Salhi. J'ai été interpellé à deux reprises. On nous empêche de tenir des réunions dans nos bureaux. Nous vivons une pression continue et vivons dans l'incertitude et l'inquiétude à cause de notre travail et de nos idées. » Une pression qui s'accentue d'ailleurs à l'approche du 22 février, grande journée commémorative de la toute première marche du Hirak à Alger.

 

Le gouvernement Tebboune cherche ainsi à réduire le potentiel de résurgence du mouvement, lors de cette journée qu'il a paradoxalement décrétée « journée nationale » en 2020 — à la veille de son premier anniversaire — dans une tentative d'asseoir son autorité et sa légitimité sur la base de ce mouvement. Sans succès.

 

« Ce troisième anniversaire va se faire dans la peur, la déception et la désillusion, pas dans la fête, dit M. Salhi, car nous sommes toujours devant un mouvement inachevé qui n'a pas atteint ses objectifs. Mais le pouvoir n'a pas le droit de l'empêcher, car c'est un jour qui fait partie de l'histoire contemporaine de l'Algérie. »

 

« Ce qui se passe actuellement est très inquiétant, mais il reste encore du positif », assure toutefois Hakim Addad, qui n'appelle à rien de moins qu'une mobilisation nationale et internationale pour obtenir la libération de détenus d'opinion en Algérie et réaffirmer les objectifs du Hirak face à un pouvoir qui tente de criminaliser ses aspirations

 

Il salue au passage les militants de la diaspora algérienne, qui portent plus librement les revendications du mouvement, « particulièrement à Montréal », souligne-t-il.

 

« Je sens que les Algériens croient encore très fort à la reprise du Hirak. Ils continuent à s'accrocher à leur rêve de liberté et de droit que des mois de prison et la répression n'arriveront jamais à effacer de la conscience collective. »

 

Source : Le Devoir

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