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par Abdou B.

 

«Si jeunesse savait, si vieillesse pouvait.»

(H. -Estienne)

 

Lorsque les psychiatres nationaux se rencontrent et délivrent des informations, un diagnostic sur l'état de la jeunesse algérienne, il y a assurément de quoi alerter et alarmer n'importe quel pouvoir en Algérie. Les hommes de science, par leur pratique, sont en contact quotidien avec la jeunesse, ses angoisses et celles des parents qui se trouvent désarmés devant la perdition visible des enfants. Les services de police et la gendarmerie, sur le terrain comptabilisent les victimes et les dégâts qui ravagent la société comme un cancer sans que la société et ses gouvernants ne s'organisent pour une ripose nationale réfléchie, dotée des moyens nécessaires. La répression du trafic de drogue, de la criminalité sous toutes ses formes est certes nécessaire, mais elle n'est jamais suffisante, dans aucun pays moderne qui se soucie de ses forces vives.

 

Les chiffres qu'égrènent régulièrement la presse privée, les services compétents et le corps médical sont des plus inquiétants, à l'extrême. Les déchéances qui s'étalent à ciel ouvert, dans les rues, dans les structures psychiatriques, dans les familles, les lycées, les entreprises ne présagent que des explosions, un affaissement au plan national. La problématique devient celle de la sécurité nationale, aux plans interne et externe dans la mesure où la jeunesse se déglingue et fragilise la famille, le corps social et la nation entière.

 

Après «les années FIS», les sociologues, les médecins, les politologues, les historiens ont délivré des analyses, des études, et les économistes tout aussi talentueux ont expliqué la genèse d'un mouvement devenu rapidement populaire, au sens de l'adhésion d'un grand nombre. Le statut de la femme, entre d'autres paramètres, a lui aussi permis la mainmise d'un parti extrémiste et ses alliés sur le pays et sur la jeunesse, y compris urbaine, qui n'avait ni repères ni ancrage. Toutes les digues du parti unique étaient rompues dans le sang, les cadavres, les blessés, les disparus, les veuves et les orphelins. Avec un seul grand vaincu, l'Algérie dont les dirigeants n'ont jamais voulu un pays moderne, une démocratie vivante où se régulent les conflits et où se combattent des inégalités sociales très profondes. En 2007, une toute petite minorité de jeunes se pavanent dans des voitures hors de prix, avant l'âge de vingt-cinq ans, sans avoir jamais travaillé nulle part. Dans de somptueuses demeures avec piscine qui demandent, en Europe ou aux USA, des générations de labeur patient et producteur de richesses. En face, parce qu'il s'agit bien désormais d'un face-à-face, à peine contenu par la peur du gendarme, il y a la grande, immense majorité de l'Algérie profonde. Petits boulots, promiscuité familiale, chômage, désert sexuel et affectif, inculture, petits ou gros trafics, frustrations à tous les niveaux marquent notre jeunesse. Celle-ci désespère et ne voit aucun avenir «normal», aucune vie stable, presque confortable dans le calme, le respect, la dignité et une bonne santé éventuellement. Les appels de détresse sont quotidiens et toucheraient le roc. Jacqueries, émeutes, des journées passées à tourner en rond, la drogue, le parking hors la loi, le vol de tout ce qui peut rapporter un dinar, la malbouffe, les regards des parents, des voisins, de l'autorité, d'une petite amie virtuelle...rien n'y fait. La police, la gendarmerie, les médecins, les familles comptent les coups, les victimes et le fléau se nourrit de conditions objectives et subjectives . Une maladie en entraîne une autre. Un drame génère d'autres drames, un affrontement suscite d'autres haines, d'autres rancunes et beaucoup de désespérances. La confiance entre les individus, entre eux et le pouvoir, entre ce dernier et la société disparaît progressivement. La méfiance, la roublardise, la flagornerie, l'enrichissement ultrarapide de petites sectes de prédateurs, l'étalage d'un luxe qui pousse au crime, l'avachissement de l'Etat devant la loi des plus forts, des plus riches, l'envahissement du terrain par tous les produits douteux. Les tabacs vendus en Algérie seraient strictement interdits en Europe où l'on protège la santé des gens , y compris des fumeurs. Les médicaments interdits ailleurs se vendent tranquillement dans le pays. Les jeunes observent et ruminent. «C'est un pays pour les fils de riches» disent-ils ouvertement. Si le respect de l'uniforme relève du passé, la crainte et la défiance s'ancrent rapidement. Ayant épuisé toute sa légitimité et en l'absence d'un vrai patriotisme porteur, toutes les valeurs sont rémisées au rayon de lointains souvenirs. Ce qui fait radoter le quatrième âge que personne n'entend. Le système en place est régulièrement disqualifé, et surtout par la jeunesse qui ne croit plus en grand-chose. La destruction du champ social, des élites, des compétences qui veulent garder leur autonomie et leur liberté de penser , de critiquer par patriotisme, par propreté intellectuelle et morale, lamine chaque jour le pays qui se trouve livré aux courtisans, à une flagornerie d'un autre âge et surtout à une forme d'incompétents et de trabendistes. Les hommes de valeur se fondent dans le moule ou se mettent, à leur corps défendant, à la marge de la marche du pays. On fait sans eux et cela arrange du monde, beaucoup de monde. Les appareils partisans, tous, font semblant d'activer dans une normalité républicaine, pourtant totalement absente.

 

Les ministres, les cadres supérieurs ne peuvent même pas profiter des privilèges liés à leurs fonctions. Ils ne savent pas leur date de congé pour se reposer, jouir de leur famille, se cultiver et vivre comme les grands commis dans les démocraties qui fonctionnent. L'essentiel est de travailler dans l'urgence, la panique et la trouille d'être débarqués. Forcément, le travail est mal fait, de jour comme de nuit. Et personne n'a le recul ou le courage de remettre quoi que ce soit en cause. Toute la chaîne est prise dans un engrenage incontrôlé et incontrôlable. C'est la fuite en avant, l'à-peu-près et le bâclage tous azimuts. Les hommes qui gouvernent vivent en autarcie, dans une mécanique consanguine, avec la seule proximité du sérail, en prenant le plus grand soin d'écarter l'opposition, le libre penseur, l'homme de science et de savoir, sauf celui qui applique aveuglément. L'alerte rouge est donnée pour la jeunesse chaque jour. La police, la gendarmerie, la psychiatrie alertent sans répit. L'état de la vie en commun a perdu tous les liants basiques pour que la jeunesse devienne explosive, dangereuse pour elle-même et pour le pays dans son ensemble. Des polémiques stupides sont ouvertes régulièrement sur le...week-end.

 

Incroyable mais vrai! Qui va venir, publiquement,expliquer les avantages pour l'économie pour la connexion avec le monde, la nécessité de garder le jeudi et le vendredi? Personne, parce que la chose n'a pas de sens et ne correspond à aucun critère rationnel. Le statu quo est maintenu sans que personne ne sache pourquoi et comment on a pu tenir le pays dans une absurdité qui n'arrive pas à faire gérer les rares parkings de la ville, livrés à de minuscules réseaux délinquants et racketteurs. La jeunesse qui perd pied n'a que peu d'intérêt pour tel ou tel week-end, puisque pour elle, tous les jours se ressemblent,à part ceux réservés au stade ou à la mosquée qui,les deux,comme seuls encadrement, ne feront jamais d'eux des citoyens libres, impliqués dans l'avenir du pays et le leur. Mais comme on les canalise vers ces deux seuls refuges non productifs, les menaces s'accumulent sachant qu'une telle jeunesse, par désespoir, est capable du pire.

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