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La dernière bombe de zohra drif


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Guest elkhamass

Depuis lundi après-midi, dit-on, les bombes qui ont explosé au Sénat, à la face de Abdelaziz Belkhadem, résonnent encore. Qui pouvait bien les lancer avec une si frappante résolution ? J'ai pensé un instant à une sénatrice respectable, mais indignée, réveillée en 2007 aux obligations éthiques de l'âge et qui retrouvait dans la colère le courage impulsif du coup de gueule. Puis, je me suis rappelé l'insurgée de 1956.

La fille de Vialar, Zohra la rebelle, l'étudiante qui séchait les cours de la faculté de droit d'Alger pour les réunions clandestines du FLN, la tigresse de la bataille d'Alger, condamnée à mort à l'âge de vingt ans pour une bombe justement, placée avec audace au milieu d'un restaurant de pied-noir... Oui, c'était bien l'insoumise de la Casbah qui, ce lundi après-midi au Sénat, semblait rejaillir d'un temps oublié, les bombes à la main, pour se venger des injustices faites à ce peuple damné. Le Gouverneur avait changé de nom, de Lacoste en Belkhadem. Mais l'injustice elle, était restée la même : population dépenaillée, asservie, dépouillée de son avenir et de ses rêves... Alors, avec une âme intacte de fellagha, Zohra la rebelle place une première bombe : «M. le Chef du gouvernement, je suis navrée de vous dire que, hélas, le citoyen ne croit pas en vous, en vos institutions, en votre politique... En plus des difficultés de la vie quotidienne, les citoyens ressentent des signes de frustration, d’extrémisme et de dérive. Ils font face à la violence, au gaspillage flagrant des deniers publics, à l’absence de gestion, au vol et à la corruption, à l'immigration illégale (harraga), à la fraude aux examens, notamment au baccalauréat. Voilà la réalité aujourd'hui, M. le Chef du gouvernement.» Puis une seconde : «Votre programme ne sera pas réalisé parce que la situation n’est pas bonne dans le pays et parce que le citoyen, qui est le premier concerné, se considère comme non concerné. Ce sont des réalités qu'il faut regarder en face.» Puis une troisième : «Aux dernières élections législatives, le peuple, par son boycott, nous a transmis un message clair : il ne se sent pas concerné. Ecoutons-le.» Epuisée, elle éclate en sanglots. Qui pleurait, de la sénatrice aux cheveux blancs ou de l'insoumise guérillera ? La première, d'impuissance, au souvenir d'une jeunesse sacrifiée pour si peu de lumières ou la seconde, de dépit, à l'idée qu'un tel don de soi pouvait se marchander un demi-siècle plus tard et se dissoudre dans les amnésies ? Allez savoir... Ou peut-être, après tout, n'étaient-ce que des larmes de joie, celle, indéfinissable, de la résistante qui venait de réussir son dernier attentat contre l'injustice et le mensonge. Je préfère me ranger, pour ma part, à cette hypothèse-là : la sénatrice Bitat pleurait du bonheur d'avoir redonné une seconde vie à la combattante Zohra Drif. Oui, contre les supputations politiciennes, je préfère finalement cette version. Elle confirme la cicatrice salutaire de Barberousse : on ne peut y avoir séjourné dans ses geôles macabres, dans ses couloirs de la mort à attendre son tour pour la guillotine qui décapita Zabana et Yveton, on ne peut avoir compté les nuits de Barberousse sans se rappeler à jamais les raisons pour lesquelles on y était entré. Quelque chose me dit qu'à l'heure d'applaudir Belkhadem, la sénatrice Bitat, de son pupitre, a vu monter les cris de la population dépenaillée, ces cris qui, un demi-siècle plus tôt, à l'époque du twist, lui ont fait sécher les cours de la fac d'Alger et préférer la compagnie de Ali la Pointe à celle des damoiseaux twisters. Oui, je préfère croire que ces cris des humiliés, parce qu'ils persistent toujours sur cette terre malmenée, sont plus puissants que le chant des sirènes, plus forts que l'amitié de Bouteflika, et qu'ils finissent toujours, par un heureux postulat de l'histoire, à terrasser les tentations renégates. Et qu'après tout, ainsi est notre pays, toujours à nous rappeler qu'il y a un temps pour le mensonge et une vie pour la vérité. La sénatrice Bitat agissant pour le compte de Bouteflika ou pour celui d'un clan opposé ? Non, je n'ai entendu que l'étudiante Zohra Drif interpeller le Palais pour avoir si atrocement mutilé les rêves d'indépendance.

MOHAMED BENCHICOU( le soir d’algerie 05/05/2007 )

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