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Hakim Laalam ecrit sur le livre de Said SADI


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Actualités : AMIROUCHE, UNE VIE, DEUX MORTS, UN TESTAMENT PAR SAÏD SADI

L’heure du Colonel !

 

On pourrait penser qu’il s’agit d’un livre écrit d’un trait, produit colérique face à une injustice, recueil de témoignages pris dans l’urgence et envoyés à imprimer comme on balancerait son poing dans la figure de l’imposture. Et l’on aurait tort de le croire. Car d’emblée, l’auteur en précise la genèse. Il ne s’agit pas d’un écrit de la fulgurance.

Par Hakim Laâlam

Cet ouvrage, Sadi l’a porté en lui plus de quarante ans durant, fruit d’une longue maturation. Et de fait, les premières lignes ne sont pas des salves. Ceux qui attendent que de la plume du leader du RCD jaillisse ce qu’on lui connaît comme verve politicienne souvent acerbe et parfois dévastatrice lors de ces tribunes et de ces prises de parole publiques en seront pour leurs frais. Amirouche, une vie, deux morts, un testament est un livre écrit. Dans le sens le plus élaboré de l’expression. L’auteur part volontairement d’un postulat qu’il ne s’est pas construit tout seul, mais qu’il a eu à élaborer patiemment au fur et à mesure de sa collecte tenace des témoignages sur ce demi-siècle écoulé. Un postulat qui se résume ainsi dès l’entame, dès la préface. La forfaiture commise sur le colonel Amirouche ne concerne pas seulement le passé, n’interpelle pas exclusivement la période du combat pour la libération. Non ! Elle est aussi et surtout annonciatrice des forfaitures à venir. Elle est quasiment prémonitoire de la série de cambriolages historiques dont va être victime et est toujours victime l’Algérie d’aujourd’hui. Ainsi posée, ainsi marquetée, la charpente du livre va croître autour d’un constat terrible pour Sadi et pour celui qui le lit. Voilà un héros de la guerre qui a été privé de vie par l’armée coloniale et qui s’est vu interdit de mort par ses compagnons d’armes, ou du moins par ceux qui ont pris les rênes du commandement une fois les armes tues. Malaise. Et force surtout de ces lignes qui mettent à mal un tabou. Celui d’oser désigner les auteurs du double assassinat d’Amirouche. La France. Et l’Algérie de Boumediene.

La mort sous séquestre

Cadré avec la rigueur d’un essai scientifique d’entrée de chapitre, cet ouvrage évite cependant l’écueil rébarbatif du rigorisme sec par le savant mixage entre faits historiques et anecdotes qui viennent relayer les témoignages. Au hasard des rencontres, au fil de la macération du projet de désaliénation autour de l’image d’Amirouche fusent des phrases aux résonances assourdissantes. Comme cette conversation entre Saïd Sadi et François Léotard en 2007, échange au cours duquel l’homme politique français assène cette comparaison : «Le sort qui a été réservé à la dépouille du colonel Amirouche, c’est comme si la France avait séquestré Jean Moulin.» Et Sadi de rappeler à juste titre que Léotard a été ministre de la Défense de la République française, le saint du saint documenté. L’œuvre de «dessalissement » est commencée. D’abord par un rapport décomplexé de l’auteur avec la notion d’icône. Jean Moulin, le résistant flamboyant. Amirouche, le maquisard étincelant. Nous sommes déjà là à des niveaux historiques qui dénotent violemment, qui s’inscrivent en faux avec l’image qu’ont bien voulu distiller les deux propagandes. La coloniale. Et la postcoloniale. Sadi énumère ces portraits qui s’appesantissaient avant 1962 et bien après sur le côté «brutal» du lion du Djurdjura, sur sa nature «foncièrement sanguinaire » et suprême invention des propagandistes des deux bords, sur sa propension à un islamisme pionnier, avant l’heure. Travail de maçonnerie de la France occupante, relayée à l’indépendance par des entrepreneurs en gros œuvre de calomnie qui dressent ensemble, à des périodes certes différentes, le même portrait d’Amirouche, assemblage de clichés prêts à être ingurgités. Amirouche, le sanguinaire ? Amirouche, le liquidateur ? Sadi convoque alors la mémoire intacte, celle qui n’a pu être souillée par les deux propagandes. Nos mères, nos grands-mères et leurs chants à la gloire du fils, de leur fils, Amirouche. Qui n’a pas été bercé par ces complaintes, par ces odes au guerrier ? Qui obligerait une maman à offrir sa vie, celle des ses enfants pour garder intacte celle de l’icône ? Personne ! Car les petites gens veillent aussi jalousement sur leur réserve de farine, d’orge, d’huile et de dignité que sur celui qui s’engage à les préserver de l’agresseur extérieur. Alors, elles chantent les grands-mères, elles chantent ! Elles chantent l’épopée de l’aimé. Et Sadi fait le long chemin de découverte et de redécouverte de cet amour des petites gens pour leur rempart rugissant. Plus que cela, et au-delà de simples témoignages transmis par voie orale, l’auteur désenclave ce versant immense du massif Amirouche, longtemps enseveli lui aussi. Le colonel était un stratège. Un fin tacticien de la guerre. Et pas ce «Zapata» d’opérette, costume étroit et même ridicule dans lequel voulaient l’enfermer, le claquemurer ceux qui ne toléraient transmettre aux nouvelles générations que l’image d’un Amirouche «personnage enivré par la poudre du moindre pétard, prêt à s’emballer comme un cheval sauvage». Le cliché ne résiste pas. Il cède au bout de quelques chapitres et libère la parole. Des paroles hélas parfois anonymes, comme celles de cet ancien dirigeant du pays parmi les plus informés et qui avoue à Sadi, comme dans un souffle difficilement expurgé : «Amirouche est un être fascinant. Il y a quelque chose de Guevara chez cet homme.» Jean Moulin. Che Guevara. Les icônes se dressent, mouvement irrépressible dès l’évocation du nom d’Amirouche. Finalement, le plâtre des propagandes salissantes ne peut être béton incassable. Il craque, avant de voler en éclats et d’être écrasé en poudre fine emportée par les vents. Lorsque de bouches diverses fusent des noms aussi prestigieux, s’établissent des parallèles aussi gigantesques, on serait presque prêts à comprendre le terrible outrage fait au combattant stratège. Le séquestre de sa dépouille par le régime de Boumediene. Comment pouvait-il en être autrement à cette époque, celle du «un seul héros, le peuple !», celle du badigeonnage à la chaux collectiviste des épopées individuelles ? Vivant, Amirouche gênait. Mort, il était encore trop vivant au goût des nouveaux fossoyeurs, ses «frères».

Les frères déterreurs de tombes

Comment, par quel mécanisme foncièrement pervers un duo, Boumediene-Boussouf, a-t-il pu procéder à l’exhumation de la dépouille du Chahid Colonel Amirouche et à sa séquestration dans les caves humides et sales de la Gendarmerie nationale jusqu’au décès du principal commanditaire de cet acte contre nature, Boumediene ? Cette question est fondatrice de l’ouvrage de Sadi dans son ensemble. Car à travers les réponses qui sont apportées au fil des pages, des témoignages et des documents reproduits, on comprend beaucoup mieux que cet acharnement, ce processus de gommage systématique renseigne sur toutes les dérives du moment et celles futures, édifie sur la nature du régime qui a remplacé l’occupant. Une nature de l’asservissement, de l’occultation, de la falsification et de la liquidation physique. Et Sadi de citer cet opuscule de Saâd Dahlab Pour l’indépendance de l’Algérie, mission accomplie : «Nous sommes allés jusqu’à tricher sur la date de l’indépendance qui fut proclamée le 3 juillet 1962 et non le 5 comme l’a décidé Ben Bella pour effacer, paraît-il, la date du 5 juillet 1830. Preuve de l’ambition démesurée de ce dernier. Comme si l’on pouvait gommer l’histoire d’un trait de plume (…)». L’auteur enregistre, répertorie, cartographie cette ligne franchie, cette ligne pourtant clairement rouge, celle des repères historiques. A partir de cette manipulation, tout devient possible pour les nouveaux maîtres faussaires. Qu’est-ce finalement que l’exhumation de restes et leur entreposage dans une cave pourrie au regard du séquestre et du viol commis sur la date d’indépendance ? Que peut-on construire sur de tels reniements ? En vérité, et Sadi n’hésite pas à l’écrire comme pour mieux ébruiter les secrets des caves humides et plombées, «le traitement réservé au combat et à la mémoire du colonel Amirouche illustre, jusqu’à la caricature, cette propension quelque peu morbide à nier la réalité, la déformer pour la mettre en conformité avec les fantasmes des maîtres du moment». En vérité, les réponses pour hier donnent le ton d’aujourd’hui. Le voilà aussi le message s’il fallait faire insulte à Sadi de lui infliger ce rôle de délivreur de messages. Ceux qui ont séquestré la dépouille d’Amirouche l’ont privé de mort, ceux-là ont ouvert la voie aux forfaitures futures. Celles commises par un régime qui a construit son «pouvoir sur les assassinats, la censure, les fraudes électorales et la corruption». Plus grave encore, l’entreprise de désinformation post-indépendance qui s’est acharnée à construire une contre-légende à l’icône Amirouche, souvent dans la violence, a introduit justement la violence comme segment à part entière dans la gestion de la cité. «Comment, ajoute Saïd Sadi, demeurer silencieux devant une telle violence qui, de surcroît, est commise par le premier responsable du pays et s’étonner ou se plaindre qu’une génération plus tard, des hommes éventrent des femmes enceintes au motif qu’elles n’appartiennent pas à leur secte».

Amirouche, une épopée en cours

C’est en cela que réside la modernité de cet ouvrage. Le mot modernité étant ici à prendre dans son acception actualisante. Les meurtres passés ne sont jamais tout à fait passés. Les assassinats politiques ne sont jamais définitivement commis, car ils engendrent au fil du temps des descendants à la lignée des assassins, des rejetons eux-mêmes serial tueurs et faussaires à l’envi. Avec, en toile de fond, comme un suaire accroché en rappel par-dessus nos têtes cette évidence : on ne peut rien construire sur la falsification et sur l’assassinat. On ne peut rien bâtir sur le mensonge. Tous ces agrégats d’infra-humanité que combattait justement le colonel au franc-parler. Sadi recentre volontairement le débat hors des sentiers en jachère de la simple dénonciation, exercice certes nécessaire, mais partiel dans la reconstitution de l’acte de forfaiture majeure qu’a constitué la séquestration de la dépouille, et corollairement, du combat d’Amirouche : «Au regard de notre avenir collectif, le problème n’est plus de juger l’homme qui a fauté, mais de trouver le courage moral de répondre à la question de savoir pourquoi, hormis des amis de la famille du martyr, pas un politique, pas un homme de religion, pas un artiste, pas un universitaire n’a osé, à ce jour, se prononcer sur ce qui relève du crime contre l’Homme. Il ne s’agit donc pas pour l’intellectuel de compatir avec ceux que l’horreur a frappés dans le sang, mais de contribuer en tant que témoin privilégié à racheter notre dignité collective.» Lire, écouter, s’écouter lire ces mots de Sadi, c’est tout simplement admettre comme en résonance que l’épopée de vérité entamée par le colonel Amirouche ne s’est pas arrêtée avec les balles de l’armée française, moins encore avec les tourments barbares imposés à ses restes par les déterreurs de tombes, les profanateurs de mémoire, les fossoyeurs d’avenir pour les enfants, tous les enfants d’Amirouche. Le testament est là, tout entier. Enorme. Enorme de responsabilité collective.

H. L.

Amirouche, une vie, deux morts, un testament de Saïd Sadi.

Source:http://www.lesoirdalgerie.com

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