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de Le Quotidien d'Algérie Les chefs

 

Saïd Radjef

Ce n’était jamais encore arrivé. Ce matin, tôt au café qui fait le coin de la rue, le chef est venu me saluer. Mais la manière peu habituelle avec laquelle il m’a regardé me fit comprendre qu’il voulait me parler en tête à tête, sur un sujet important. A la vérité, cette visite qui a mis dans tous ses états la petite ville et qui a mobilisé toutes les forces de sécurité, ne m’a pas surpris . Car, la veille, j’ai trop parlé ; j’ai été particulièrement bavard devant les amis. J’ai dit à l’assistance ce n’est pas parce que le pouvoir militaire est pourri jusqu’à la moelle épinière, que nous autres on n’a rien a se reprocher. On est coupable par nos ambitions démesurées. Ensuite, calmement, j’ai expliqué la chose suivante aux amis : dévoiler les tares et les crimes abominables de la junte au reste de l’humanité, sans proposer de solutions aux attentes légitimes du peuple, sans rassembler nos forces bêtement dispersées par les malentendus et la ruse des adversaires, cela ne sert à rien. La nature a horreur du vide. Si nous refusons d’occuper le terrain, d’autres, probablement des extrémistes, viendront l’occuper.

La dénonciation s’est épanouie durant la guerre d’indépendance. La France coloniale et les militants indépendantistes de l’ALN obligeaient par la violence les populations à la dénonciation et à la délation. Les premiers pour ne pas perdre l’Algérie, les seconds pour restaurer l’Etat algérien indépendant. En 1962, au lendemain des Accords d’Evian, la dénonciation est devenue l’un des moyens les plus importants de contrôle du pays. Pour ne pas perdre le pouvoir qu’elle détient par l’usurpation, le crime et la ruse, l’ANP joue sur l’ignorance du peuple en l’incitant à la trahison et à la délation. Le peuple a cru naïvement que dénoncer Hocine Ait Ahmed, Krim Belkacem, Ferhat Abbas et les adversaires de la junte, est un acte de bravoure, un devoir patriotique sacré. Depuis l’épidémie de la délation s’est généralisée pour n’épargner aucune structure sociale, insignifiante soit elle. Dénoncer l’autre, celui qui remet tout en cause, celui qui incite à la résistance et au courage contre la résignation et la fatalité, celui qui refuse de baisser l’échine devant le chef, c’est accéder à un statut social enviable ou vous n’aurez plus à vous confronter à des situations pénibles et invivables , c’est s’assurer un logement confortable, un 4×4 dernier cri et des invitations avec toute la famille aux grandes cérémonies…

 

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Il n’y a pas de doute, j’ai trop bavardé hier et quelqu’un parmi l’assistance a du me dénoncer auprès du chef. Quelqu’un a du révéler la gravité et l’ampleur de mes propos. Sans cela le chef ne se serait jamais donné la peine de venir jusqu’à moi dans cette ville sans âme ou les jours se suivent et se ressemblent. Ce dernier avant même de s’asseoir pour entamer son réquisitoire, me fait comprendre en filigrane que des militants ambitieux et courageux m’ont dénoncé. La délation, ce n’est pas un fait propre à la junte. Les camarades de la base sont vigilants et veillent scrupuleusement au respect de la ligne et au maintien de la direction actuelle.

« Voila, après consultation des membres de la direction, on a décidé à l’unanimité de vous exclure du parti », me dit le chef avec un sourire ou j’ai de la peine a distinguer entre la délivrance et l’amitié. « Il ne faut pas semer le trouble parmi les rangs du parti. Il ne faut pas jouer aux( eveilleurs) de conscience. Ce n’est pas le moment », me dit-il encore calmement.

J’ai de la peine a cacher ma surprise. Non pas par les propos qui m’ont été tenus par le chef, mais par le fait que ce dernier ignore la vérité à mon sujet : je ne suis pas militant de son parti. Certainement, ses militants l’ont mal renseigné à mon sujet. Certes, j’ai une grande gueule, mais je ne suis pas militant du parti duquel le chef m’a exclu sans le moindre procès.

« Monsieur, je ne suis pas militant de votre parti ; je suis un électron libre. Vos militants qui m’ont dénoncé et calomnié ne savent pas qui sont leurs camarades et qui sont leurs ennemis », lui dis je en guise de réponse. En définitif, le chef qui a peur de perdre sa place, s’est déplacé pour rien dans ma ville.

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