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Besslama Sid-Ali.


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Ce café, vers midi. La faune habituelle. Les tables sont toutes occupées. Au comptoir, les clients sont debout sur deux rangées. Travailleurs manufacturiers du quartier, mécaniciens en tenue sale de la zone industrielle voisine enfilent leur sandwich et café d'un trait. Ça rentre : Hi Sid. Ça sort : Tchao Sid.

 

Sid-Ali salue les gens par leur prénom. Il les connaît presque tous. Mais c'est pas le moment de causer. Aux manettes de sa Cimbali, cette machine à café qui brille, Sid a l'air d'un cheminot, un chauffeur de locomotive. Mais il a surtout l'air d'un Algérien. Depuis 20 ans, Sid-Ali était le petit empereur de ce café-là, Boulevard Maurice-Duplessis, au coeur de Rivière-des-Prairies, à Montréal.

 

Était. Sid-Ali est parti hier. Où ça ? Ben tiens, il est parti chez lui, à Annaba. Mardi de la semaine dernière il avait tout envoyé par conteneurs, ses meubles, sa voiture. C'est fini pour lui le Canada. Il emporte tout, même son frère.

 

Tu l'as mis aussi dans le conteneur ?

 

Quoi ?

 

Ton frère...

 

Il m'a fait cet air exaspéré que les clients du Café connaissent bien. Sid n'avait pas besoin de parler, en bon Algérien il disait tout avec les mains, paumes vers le ciel, les doigts comme pour une pincée de sel à l'envers: non mais t'es c-o-n ou quoi ? Langage muet. Mais on comprenait.

 

Avec Sid, le client n'avait pas toujours raison. Les mauvais jours, les jours de défaite de l'équipe de hokey de Montréal, de l'USMAnnaba, ou de quelques revers plus personnels au casino, le client avait intérêt à filer doux.

 

Sid, t'as oublié mon sandwich ?

 

La chose à ne pas dire ! Ses mains s'agitent : tu me les gonfles, hein ! Tu vois mes mains ? Y'en a deux. Pas quatre. Deux. Alors fais-moi pas chier, tu veux ? Mes sandwiches, c'est les meilleurs du monde, si t'as pas deux minutes pour le meilleur sandwich du monde, tu t'en vas. Pas un mot n'était prononcé. Le regard et les mains disaient tout. Du pur Algérien.

 

La vraie façon de pomper Sid-Ali, c'était avec les journaux. Vers 6h du matin, Sid arrive avec les quotidiens du jour, le journal de Montréal, La Presse, The Gazette. Les lire n'est pas un droit, mais un privilège qu'accordait ou non Sid, selon son humeur et selon la capacité du client à prendre grand soin dudit journal. Si tu renversais une goutte de café dessus, mais surtout si tu le rendais mal plié, ton cas était réglé : plus de journaux pour les trois prochaines années.

 

Mais vous allez croire que je suis content que Sid-Ali soit parti. Vous n'avez rien compris. J'adorais qu'il m'engueule. Et d'ailleurs il ne m'engueulait pas tout le temps. L'après-midi, quand le café était presque vide, c'était un plaisir de parler football, de l'ancien joueur Attoui dont il est le plus grand fan sur terre, de l'Algérie, de rien, vous savez bien ces riens de comptoir qui sont comme la mousse sur les cappuccino, un peu de mousse sur la vie.

 

Qu'est-ce que je mets dans ton sandwich, Moh ?

 

Ce que tu veux Sid-Ali.

 

Il mettait beaucoup de piments, du rôti de boeuf, des tomates confites, avec un chouia de Harissa.

 

C'est bon ?

 

Dégueulasse, Sid-Ali, dégueulasse.

 

Il riait. Pour l'amour, Sid-Ali, qu'est-ce que tu vas faire à Annaba ? Attoui est plus là. Ton club Hamra Annaba non plus, tu vas t'ennuyer de nous !

 

Au Café, les paris sont pris: Sid-Ali sera de retour avant un an. Personnellement je gage le contraire. On ne le reverra pas. Rien à voir avec ces algériens qui rêvent du moment où ils retourneront vivre en Algérie, et rendus là-bas, se rendent compte que leur vie est au Canada. La différence c'est que Sid-Ali, lui, n'a jamais quitté l'Algérie. Il a quitté Annaba il y a 23 ans pour entrer directement au Café qu'il a fini par acheter. Où il arrive tous les jours à 6h du matin, parle algérien avec des algériens jusqu'à 18h, revient le lendemain. Depuis 23 ans comme ça. Pas marié, pas d'enfants. Du Canada il connait un peu la rue Jean-Talon où il avait son appartement, mais est-ce que Jean-Talon est au Canada ? Vous en êtes sûr ? C'est pas un peu Annaba cette rue-là ?

 

Sid-Ali s'en retourne vivre dans les collines de sa ville natale. Dans son bois de châtaigniers. Petite business pour s'occuper. L'USMA qui remplace Hamra-Annaba en première division. La mer à quelques centaines de métres. Et Annaba où il y a mieux à faire que mourir, n'en déplaise aux Bônois. Annaba où tout est magnifiquement tordu, le gens, les escaliers, les draps lavés qui pendent des balcons, les petites rues qui mènent au marché, la mer au bout du jardin de la maison, ya errayah win rayah, trouh tarjaâ wa touèli...

 

Sid-Ali était arrivé à Montréal le 3 août 1984. Il est parti hier, un 3 août aussi. Il a tout emporté. Même mon amitié.

 

Il est tout simplement rentré chez lui. Besslama, Sid-Ali.

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Ce café, vers midi. La faune habituelle. Les tables sont toutes occupées. Au comptoir, les clients sont debout sur deux rangées. Travailleurs manufacturiers du quartier, mécaniciens en tenue sale de la zone industrielle voisine enfilent leur sandwich et café d'un trait. Ça rentre : Hi Sid. Ça sort : Tchao Sid.

 

Sid-Ali salue les gens par leur prénom. Il les connaît presque tous. Mais c'est pas le moment de causer. Aux manettes de sa Cimbali, cette machine à café qui brille, Sid a l'air d'un cheminot, un chauffeur de locomotive. Mais il a surtout l'air d'un Algérien. Depuis 20 ans, Sid-Ali était le petit empereur de ce café-là, Boulevard Maurice-Duplessis, au coeur de Rivière-des-Prairies, à Montréal.

 

Était. Sid-Ali est parti hier. Où ça ? Ben tiens, il est parti chez lui, à Annaba. Mardi de la semaine dernière il avait tout envoyé par conteneurs, ses meubles, sa voiture. C'est fini pour lui le Canada. Il emporte tout, même son frère.

 

Tu l'as mis aussi dans le conteneur ?

 

Quoi ?

 

Ton frère...

 

Il m'a fait cet air exaspéré que les clients du Café connaissent bien. Sid n'avait pas besoin de parler, en bon Algérien il disait tout avec les mains, paumes vers le ciel, les doigts comme pour une pincée de sel à l'envers: non mais t'es c-o-n ou quoi ? Langage muet. Mais on comprenait.

 

Avec Sid, le client n'avait pas toujours raison. Les mauvais jours, les jours de défaite de l'équipe de hokey de Montréal, de l'USMAnnaba, ou de quelques revers plus personnels au casino, le client avait intérêt à filer doux.

 

Sid, t'as oublié mon sandwich ?

 

La chose à ne pas dire ! Ses mains s'agitent : tu me les gonfles, hein ! Tu vois mes mains ? Y'en a deux. Pas quatre. Deux. Alors fais-moi pas chier, tu veux ? Mes sandwiches, c'est les meilleurs du monde, si t'as pas deux minutes pour le meilleur sandwich du monde, tu t'en vas. Pas un mot n'était prononcé. Le regard et les mains disaient tout. Du pur Algérien.

 

La vraie façon de pomper Sid-Ali, c'était avec les journaux. Vers 6h du matin, Sid arrive avec les quotidiens du jour, le journal de Montréal, La Presse, The Gazette. Les lire n'est pas un droit, mais un privilège qu'accordait ou non Sid, selon son humeur et selon la capacité du client à prendre grand soin dudit journal. Si tu renversais une goutte de café dessus, mais surtout si tu le rendais mal plié, ton cas était réglé : plus de journaux pour les trois prochaines années.

 

Mais vous allez croire que je suis content que Sid-Ali soit parti. Vous n'avez rien compris. J'adorais qu'il m'engueule. Et d'ailleurs il ne m'engueulait pas tout le temps. L'après-midi, quand le café était presque vide, c'était un plaisir de parler football, de l'ancien joueur Attoui dont il est le plus grand fan sur terre, de l'Algérie, de rien, vous savez bien ces riens de comptoir qui sont comme la mousse sur les cappuccino, un peu de mousse sur la vie.

 

Qu'est-ce que je mets dans ton sandwich, Moh ?

 

Ce que tu veux Sid-Ali.

 

Il mettait beaucoup de piments, du rôti de boeuf, des tomates confites, avec un chouia de Harissa.

 

C'est bon ?

 

Dégueulasse, Sid-Ali, dégueulasse.

 

Il riait. Pour l'amour, Sid-Ali, qu'est-ce que tu vas faire à Annaba ? Attoui est plus là. Ton club Hamra Annaba non plus, tu vas t'ennuyer de nous !

 

Au Café, les paris sont pris: Sid-Ali sera de retour avant un an. Personnellement je gage le contraire. On ne le reverra pas. Rien à voir avec ces algériens qui rêvent du moment où ils retourneront vivre en Algérie, et rendus là-bas, se rendent compte que leur vie est au Canada. La différence c'est que Sid-Ali, lui, n'a jamais quitté l'Algérie. Il a quitté Annaba il y a 23 ans pour entrer directement au Café qu'il a fini par acheter. Où il arrive tous les jours à 6h du matin, parle algérien avec des algériens jusqu'à 18h, revient le lendemain. Depuis 23 ans comme ça. Pas marié, pas d'enfants. Du Canada il connait un peu la rue Jean-Talon où il avait son appartement, mais est-ce que Jean-Talon est au Canada ? Vous en êtes sûr ? C'est pas un peu Annaba cette rue-là ?

 

Sid-Ali s'en retourne vivre dans les collines de sa ville natale. Dans son bois de châtaigniers. Petite business pour s'occuper. L'USMA qui remplace Hamra-Annaba en première division. La mer à quelques centaines de métres. Et Annaba où il y a mieux à faire que mourir, n'en déplaise aux Bônois. Annaba où tout est magnifiquement tordu, le gens, les escaliers, les draps lavés qui pendent des balcons, les petites rues qui mènent au marché, la mer au bout du jardin de la maison, ya errayah win rayah, trouh tarjaâ wa touèli...

 

Sid-Ali était arrivé à Montréal le 3 août 1984. Il est parti hier, un 3 août aussi. Il a tout emporté. Même mon amitié.

 

Il est tout simplement rentré chez lui. Besslama, Sid-Ali.

 

bonjour bloum

 

bon retour enfin a sid-ali

 

 

et a tous ceux parti un jour

qui va retrouvé chapuis et sa plage rempli comme une fourmiliere el-hamra rempli de vouvelles construction annaba n'est plus annaba

 

ils l'on assasiné les faisseur d'affaire

les affairiste et l'etat complice

car pas de loi ni reglementation

sans coeurs ni ame

ils detruise les visages des regions

 

qu'elle malheure

 

 

ou est l'arbitre

est il en vacance surement la ba a mont-real en vacance

 

amitié bloum et mes salutations a tous les freres

dis leurs qu'on pense a eux

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Ce café, vers midi. La faune habituelle. Les tables sont toutes occupées. Au comptoir, les clients sont debout sur deux rangées. Travailleurs manufacturiers du quartier, mécaniciens en tenue sale de la zone industrielle voisine enfilent leur sandwich et café d'un trait. Ça rentre : Hi Sid. Ça sort : Tchao Sid.

 

Sid-Ali salue les gens par leur prénom. Il les connaît presque tous. Mais c'est pas le moment de causer. Aux manettes de sa Cimbali, cette machine à café qui brille, Sid a l'air d'un cheminot, un chauffeur de locomotive. Mais il a surtout l'air d'un Algérien. Depuis 20 ans, Sid-Ali était le petit empereur de ce café-là, Boulevard Maurice-Duplessis, au coeur de Rivière-des-Prairies, à Montréal.

 

Était. Sid-Ali est parti hier. Où ça ? Ben tiens, il est parti chez lui, à Annaba. Mardi de la semaine dernière il avait tout envoyé par conteneurs, ses meubles, sa voiture. C'est fini pour lui le Canada. Il emporte tout, même son frère.

 

Tu l'as mis aussi dans le conteneur ?

 

Quoi ?

 

Ton frère...

 

Il m'a fait cet air exaspéré que les clients du Café connaissent bien. Sid n'avait pas besoin de parler, en bon Algérien il disait tout avec les mains, paumes vers le ciel, les doigts comme pour une pincée de sel à l'envers: non mais t'es c-o-n ou quoi ? Langage muet. Mais on comprenait.

 

Avec Sid, le client n'avait pas toujours raison. Les mauvais jours, les jours de défaite de l'équipe de hokey de Montréal, de l'USMAnnaba, ou de quelques revers plus personnels au casino, le client avait intérêt à filer doux.

 

Sid, t'as oublié mon sandwich ?

 

La chose à ne pas dire ! Ses mains s'agitent : tu me les gonfles, hein ! Tu vois mes mains ? Y'en a deux. Pas quatre. Deux. Alors fais-moi pas chier, tu veux ? Mes sandwiches, c'est les meilleurs du monde, si t'as pas deux minutes pour le meilleur sandwich du monde, tu t'en vas. Pas un mot n'était prononcé. Le regard et les mains disaient tout. Du pur Algérien.

 

La vraie façon de pomper Sid-Ali, c'était avec les journaux. Vers 6h du matin, Sid arrive avec les quotidiens du jour, le journal de Montréal, La Presse, The Gazette. Les lire n'est pas un droit, mais un privilège qu'accordait ou non Sid, selon son humeur et selon la capacité du client à prendre grand soin dudit journal. Si tu renversais une goutte de café dessus, mais surtout si tu le rendais mal plié, ton cas était réglé : plus de journaux pour les trois prochaines années.

 

Mais vous allez croire que je suis content que Sid-Ali soit parti. Vous n'avez rien compris. J'adorais qu'il m'engueule. Et d'ailleurs il ne m'engueulait pas tout le temps. L'après-midi, quand le café était presque vide, c'était un plaisir de parler football, de l'ancien joueur Attoui dont il est le plus grand fan sur terre, de l'Algérie, de rien, vous savez bien ces riens de comptoir qui sont comme la mousse sur les cappuccino, un peu de mousse sur la vie.

 

Qu'est-ce que je mets dans ton sandwich, Moh ?

 

Ce que tu veux Sid-Ali.

 

Il mettait beaucoup de piments, du rôti de boeuf, des tomates confites, avec un chouia de Harissa.

 

C'est bon ?

 

Dégueulasse, Sid-Ali, dégueulasse.

 

Il riait. Pour l'amour, Sid-Ali, qu'est-ce que tu vas faire à Annaba ? Attoui est plus là. Ton club Hamra Annaba non plus, tu vas t'ennuyer de nous !

 

Au Café, les paris sont pris: Sid-Ali sera de retour avant un an. Personnellement je gage le contraire. On ne le reverra pas. Rien à voir avec ces algériens qui rêvent du moment où ils retourneront vivre en Algérie, et rendus là-bas, se rendent compte que leur vie est au Canada. La différence c'est que Sid-Ali, lui, n'a jamais quitté l'Algérie. Il a quitté Annaba il y a 23 ans pour entrer directement au Café qu'il a fini par acheter. Où il arrive tous les jours à 6h du matin, parle algérien avec des algériens jusqu'à 18h, revient le lendemain. Depuis 23 ans comme ça. Pas marié, pas d'enfants. Du Canada il connait un peu la rue Jean-Talon où il avait son appartement, mais est-ce que Jean-Talon est au Canada ? Vous en êtes sûr ? C'est pas un peu Annaba cette rue-là ?

 

Sid-Ali s'en retourne vivre dans les collines de sa ville natale. Dans son bois de châtaigniers. Petite business pour s'occuper. L'USMA qui remplace Hamra-Annaba en première division. La mer à quelques centaines de métres. Et Annaba où il y a mieux à faire que mourir, n'en déplaise aux Bônois. Annaba où tout est magnifiquement tordu, le gens, les escaliers, les draps lavés qui pendent des balcons, les petites rues qui mènent au marché, la mer au bout du jardin de la maison, ya errayah win rayah, trouh tarjaâ wa touèli...

 

Sid-Ali était arrivé à Montréal le 3 août 1984. Il est parti hier, un 3 août aussi. Il a tout emporté. Même mon amitié.

 

Il est tout simplement rentré chez lui. Besslama, Sid-Ali.

 

ça m'a rendu triste,j'ai pas compris pourquoi,peutetre parceque c'est profond.

ciao

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