Guest elkhamass Posted August 18, 2007 Partager Posted August 18, 2007 A la mort de Tonda l'agnelle, l'âne Nio décida de quitter la ferme. Il n'en fit part à aucun des animaux. Pas même à Gaïna la poule. La nuit tombée, lorsque tous dormaient, il se leva et partit sans faire de bruit. Quand les autres se rendirent compte de son absence, il était déjà loin, très loin. A l'ombre d'un grand arbre, Nio s'assit se reposer. Il était triste et affecté. La triste fin de Tonda l'avait terriblement secoué. Ce n'est pas possible que nous en soyons là, soupira-t-il avant de s'allonger sur l'herbe grasse. Un loup, qui passait par là, reconnut Nio pour avoir reçu son sabot dans la gueule une fois lorsqu'il avait tenté de voler une poule dans la ferme. Il en gardait d'ailleurs toujours la trace sur le museau. Qu'est-ce qu'il fait là ? Se demanda le loup. S'est-il égaré ou a-t-il pris la fuite ? Mais le loup savait que Nio était trop sage pour se perdre et il conclut vite à une fuite de la ferme. La curiosité était si forte qu'il ne résista pas à l'idée d'aller lui poser la question. - Ne t'approche pas trop, chien sauvage, fit Nio sans ouvrir les yeux. Je t'en ferais prendre plus que l'autre fois ! - Je viens en ami, n'aie crainte...j'ai cru comprendre que tu pourrais avoir besoin d'un coup de main. - Et depuis quand les loups sont-ils les amis des ânes ? Fit Nio en se relevant. - Depuis que les ânes ont décidé de fuir les fermes, répondit le loup en souriant. - Les fermes ne ressemblent plus aux fermes, dit Nio, parce que les lois qui les régissent ont changé. Les fermiers ont cessé d'être des fermiers depuis qu'ils n'ont plus de considération que pour les cochons et même les cochons ne sont plus les mêmes depuis qu'ils veulent imposer au reste des animaux leur bain de boue. En un mot, dorénavant, il faudrait être aussi puant qu'un cochon pour être accepté dans la ferme... - Mais c'est grave, ce que tu dis là, sage âne ! Fit le loup qui éprouva une certaine sympathie pour Nio. - Bien sûr que c'est grave, sinon je n'aurais jamais abandonné cette ferme où mes ancêtres sont nés... Je ne veux pas être nostalgique mais, avant, le monde était meilleur... Autrefois, les fermiers savaient reconnaître le mérite des uns et des autres et ils n'osaient jamais mélanger les ânes avec les porcs ou les poules avec les chiens, mais depuis quelque temps, enivrés par le gain et ensorcelés par le son de l'argent, ils passent tout le monde par la bascule des prix. - C'est quoi une bascule des prix ? Interrogea le loup. - C'est une expression « ânesque » qui signifie estimation des bénéfices. - Et c'est quoi une expression « ânesque » ? - Euh...disons une expression qui tient des ânes mais qui, surtout, fait âne ! - Je ne savais pas que les ânes étaient aussi cultivés, s'exclama le loup. - Il n'y a que devant l'ignorance que l'ânerie se transforme en culture et c'est seulement en face de la bêtise que les discours creux prennent la forme d'une philosophie profonde... Mais partons, enchaîna Nio, ne restons pas ici, on est encore trop près de la ferme. Ils marchèrent côte à côte pendant un long moment sans échanger un seul mot. Arrivés près d'une petite rivière, ils s'arrêtèrent pour se désaltérer. - Et où vas-tu ainsi Nio ? demanda le loup en se léchant les pattes pour en enlever la boue. - Peu importe où je vais, pourvu que je ne reste pas là...j'ai trop attendu dans cette ferme avec l'espoir, chaque jour renouvelé, que les choses s'améliorent et j'ai prié, chaque nuit, pour que les fermiers se rendent compte enfin à quel point ils ont tout détruit dans cette belle ferme. L'injustice y est érigée comme valeur suprême et l'arrogance des animaux devient insupportable. Les porcs tutoient les paons et les rats s'offrent des plats de chats. Les chevaux se prosternent devant les chiens et les fourmis effraient les lapins. Même les pucerons engagent des épagneuls pour leur grattouiller la tête. Lorsqu'on est garrotté par l'infernal et l'insoutenable, on finit bien par suffoquer ou par changer de lieu. Les paons, dégoûtés par la boue, sont partis les premiers. Les chevaux n'ont pas trop attendu après eux. Ils ont pris la fuite, une nuit d'hiver pour que nul ne retrouve leurs traces. Les coqs, tellement frustrés, ont fini par voler, contre toute attente, de leurs propres ailes. Il n'existe plus un seul chat dans la ferme. Les oiseaux n'y gazouillent plus. Tonda l'agnelle, n'a pu se relever de la honte dans laquelle l'avaient traînée les cochons. Il ne reste plus que quelques poules trop vieilles, comme Gaïna, pour tenter leur chance ailleurs et quelques brebis scrofuleuses dans ce royaume de la boue. Le loup écoutait. Il revit, un instant, avec beaucoup de tristesse, les jolis paons, les chevaux orgueilleux, les coqs fiers... - Et dire, fit-il à haute voix, que tout ce monde est parti ailleurs ! - Oui, soupira Nio, tout ce beau monde est parti ailleurs, sous d'autres cieux, faire les beaux jours d'autres fermes. - Cela a dû être triste pour toi. - J'ai combattu la tristesse avec l'espoir et j'ai su vaincre la déprime grâce au report des attentes, mais il y a toujours une fin à tout. La patience a des limites et la vie est si courte et si précieuse qu'il serait dommage de la gaspiller entièrement dans l'attente vaine de Godot qui ne viendra jamais. - C'est qui encore celui-là ? - Ce n'est pas important...laisse tomber !.........../SUITE Citer Link to post Share on other sites
Guest elkhamass Posted August 18, 2007 Partager Posted August 18, 2007 Le loup et l'âne Nio ........suite Un long moment passa sans que l'un des deux ne prononçât un seul mot. Etendu sur l'herbe grasse, l'âne regardait les légers nuages passer et le loup, accroupi, le dos contre un arbrisseau, se demandait où pourrait bien partir Nio. - Tu sais ce qui me triture dans tout cela ? Demanda Nio les yeux embués...c'est que j'ai toujours donné le meilleur de moi-même dans cette ferme. Je l'aime parce que j'y retrouve l'odeur de mon père, de ma mère, de mes ancêtres qui y ont tous passé leur vie. Je ne l'aurais jamais quittée, pour rien au monde, si ma dignité n'était bafouée par des porcs insensés et débiles. J'aime cette ferme aussi parce que j'y ai grandi, j'y ai poussé mon premier cri, j'y ai respiré ma première bouffée d'air, j'y ai bu ma première goutte de lait, j'y ai brouté ma première bouchée, j'y ai fait mes premiers bonds et j'y ai éprouvé mon premier plaisir. C'est là que j'ai senti respirer mon âme et c'est là que j'ai dessiné mes premiers rêves. Pour moi et pour les miens ! Aujourd'hui, et alors même que je pars en colère et furieux, je ne peux m'empêcher de ressentir une douleur atroce...comme une déchirure dans l'âme...comme le cri d'une partie de moi-même que je laisse, contraint et impuissant. Où que je parte, la terre ne sera jamais aussi vaste pour moi que ma ferme et où que j'aille je ne pourrai plus retrouver cette tendresse de ma ferme. - Mais tu n'as qu'à rester, Nio...tu n'as qu'à ne pas partir. - Oh, non ! Je ne sais plus qui l'a dit, mais il faut savoir quand se lever de table ! Il faut savoir quand rester devient inutile et gênant. Et puis...le peu de dignité qui me reste, je ne vais pas le laisser à portée de pattes de cochons ! Jamais ! - Mais as-tu au moins une idée sur le lieu où tu vas partir ? Demanda le loup à deux doigt d'éclater en sanglot. - J'ai plutôt une idée sur le lieu où je ne resterai plus. Pour le reste, tu sais, un âne comme moi, à un âge aussi avancé que le mien, ça ne peut pas être très exigeant. Je me contenterais bien d'un litre de dignité et de deux pincées de reconnaissance. Je me contenterais de voir le soleil se lever sans insulter mes semblables et je serais heureux de constater que l'échelle de valeur est dans la position correcte. Le reste...pouf...cela ne compte que sur le moment et encore ! - Pourquoi ne contactes-tu pas les autres ânes pour voir ensemble si vous pouvez faire quelque chose ? - Faire quoi, gentil loup ? Les ânes n'ont jamais rien fait ensemble et puis n'es-tu pas au courant que tous les ânes sont partis... - Aussi ? - Oui...je suis le dernier ici...nous sommes devenus une espèce en voie d'extinction rapide... Mais continuons notre chemin. Ils se levèrent et se mirent marcher. Le loup était silencieux et l'âne chantonnait une chanson. Ils ont volé l'arc-en-ciel Et l'abeille et son doux miel Ils ont peint de noir le ciel Pour que tout leur ressemble. A ce moment, un homme passait par là. - Il m'a l'air d'un fermier, chuchota l'âne. - Tu crois ? - Oui, oui ! Fit l'âne avec une certaine assurance. - Eh vous là ! hurla l'homme, attendez un instant ! - Que nous veut-il d'après toi ? Demanda le loup - Ce n'est pas toi qu'il cherche, mais un âne. - J'ai besoin d'un âne, fit l'homme en s'approchant des animaux. J'en ai vraiment besoin. Je suis si heureux de tomber sur vous...je ne savais pas quoi faire... - Et d'où est-ce qu'on va te dénicher un âne ? Fit Nio. - Mais tu feras bien l'affaire, toi... Je te gâterai, tu verras... - Mon cher monsieur, fit Nio d'un air très sérieux, si j'étais un âne, je ne serais pas là à rôder alors que les fermes sont en manque. - Tu veux me faire croire que tu n'en es pas un, fit l'homme scandalisé ? - Oserais-tu mettre en doute la parole de mon ami ? Fit le loup menaçant. - Pardonnez-moi, messieurs, je crois que je me suis trompé. Lorsqu'il fut loin, le loup éclata de rire. - Pourquoi as-tu réagi comme tu l'as fait ? - Parce que cela ne m'intéresse plus d'être un âne. Le suis-je d'ailleurs depuis que j'ai quitté ma ferme ? Ne sais-tu pas que l'on n'est que par ce qui nous permet d'être ? Ne sais-tu pas que sans les siens on n'est plus rien ?...je ne saurais aller dans une autre ferme sans me sentir diminué. Sans me sentir perdre ce qui me reste de dignité. - Là, je partage entièrement ton avis. Lorsque la nuit tomba, le loup ressentit un creux au ventre. J'ai oublié de manger, se dit-il. Mais comment y aurais-je pensé avec ce qui se passe. C'est tellement malheureux ce qui arrive qu'on y perd même la faim. Harassés par une journée entière de marche, le loup et l'âne Nio s'affaissèrent et s'endormirent rapidement. Toute la nuit, le loup faisait des cauchemars. A la levée du jour, il constata que Nio n'était plus là. Il le chercha dans les alentours pendant une demi-journée avec l'espoir de l'accompagner encore pour quelque temps, mais en vain. Il baissa la tête et, sans savoir pourquoi, il se mit à chantonner. Ils ont volé l'arc-en-ciel Et l'abeille et son doux miel Ils ont peint de noir le ciel Pour que tout leur ressemble. Citer Link to post Share on other sites
sindbad 10 Posted August 18, 2007 Partager Posted August 18, 2007 Tres belle histoire El Khamass.....Vraiment a notre image helas Citer Link to post Share on other sites
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