Se Nourrir Ou Conduire, Faut-il Choisir ?

[Guest anais]

2007

Nº726

 

Se nourrir ou conduire, faut-il choisir ?

 

NON

C’est une bascule historique. Pour la première fois depuis la Seconde Guerre mondiale, les prix des céréales (blé, maïs, orge, riz) et des huiles végétales (colza, soja, tournesol) devraient grimper de 13 % en 2007 selon l’Organisation des Nations unies pour l’agriculture et l’alimentation, la FAO. Pour l’institution internationale, c’est le premier signe de l’influence des biocarburants sur les prix agricoles.

L’agriculture intensive a couvert largement les besoins alimentaires de l’humanité au point que les prix agricoles mondiaux ont baissé de 75 % entre 1950 et 2000. Mais en moins de cinq ans, les agrocarburants ont inversé cette tendance lourde. Le monde a produit, en 2006, 1,666 milliard de tonnes de céréales. Et les besoins se sont élevés à 1,680 milliard tonnes. On a donc puisé dans les 240 millions de tonnes de réserves qui ont atteint leur plus bas niveau historique. L’humanité n’a plus devant elle que deux gros mois de consommation de blé. Les stocks de maïs sont passés de 131 à 85 millions de tonnes en 2005. Ce que recherchaient les producteurs agricoles et les promoteurs des agrocarburants est donc en train de se produire : les prix remontent.

C’est particulièrement le cas pour le maïs. Les Etats-Unis produisent la moitié de la récolte mondiale : 300 millions de tonnes. Traditionnellement, 150 millions de tonnes partent dans l’alimentation du bétail, 25 millions sont utilisés pour des usages alimentaires (amidon, glucose) et le reste est exporté. Mais désormais, les ventes à l’étranger ne sont plus le seul débouché des surplus et se réduisent même fortement. La filière de production de l’éthanol absorbera 85 millions de tonnes de la récolte 2007, contre 30 millions en 2003 et quasi rien en 2000. Les grandes plaines de l’Iowa, du Minnesota et de l’Illinois se couvrent de distilleries. Actuellement, 97 usines produisent de l’éthanol, mais 7 vont être agrandies et 33 sont en construction. Avec 200 millions d’hectolitres, les Etats-Unis sont devenus les premiers producteurs mondiaux devant le Brésil, au grand dam des Mexicains. Le prix de la tortilla, crêpe épaisse à base de maïs et nourriture de base des populations défavorisées, s’est en effet mis à flamber, si bien que le gouvernement a dû imposer en urgence un prix subventionné du maïs pour éviter des émeutes de la faim.

 

Cette situation alarme la FAO car ce sont les pays en voie de développement qui sont confrontés à une forte hausse du prix des denrées alimentaires : « On estime que le panier d’importations alimentaires pour les pays les moins avancés coûtera en moyenne 90 % de plus en 2007 qu’en 2000 », assure Adam Prakash, économiste à la FAO. Pour les pays développés, la hausse n’est que de 22 % parce que ce sont eux qui produisent les céréales de base. « Nous vivons dans un monde où la faim n’est pas due à un manque de produits agricoles, mais à un manque d’argent chez les plus pauvres », rappelle Josef Schmidhuber, économiste qui vient de publier une note sur le sujet *.

Les prix de la nourriture sont désormais corrélés aux errements du marché de l’énergie. Faut-il s’en inquiéter ? Peut-être pas à terme, estime Josef Schmidhuber, car « près de la moitié de l’humanité vit directement de l’agriculture. Un retour à des prix élevés des végétaux peut permettre à ces hommes de mieux gagner leur vie. Cela pourrait revitaliser les zones rurales ». Les plus pessimistes

rétorquent qu’il faudrait pour cela laisser le temps à ces populations très pauvres de s’adapter aux nouvelles réalités

 

* http://www.notre-europe.eu/uploads/tx_publication/Policypaper-Schmidhuber-EN.pdf

 

 

 

Rachel Mulot, Loïc Chauveau

Sciences et Avenir