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Le guide de l'Algérie par un ambassadeur US


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Kamel Daoud dans le quotidien d'Oran du mardi 7 décembre 2010

 

Un article a accrocher sur tous les murs. D'un redoutable réalisme .... :(

 

Le guide de l'Algérie par un ambassadeur US

par Kamel Daoud

 

L'une des formules les plus saisissantes sur l'Algérie ramassée dans les

débris de l'explosion WikiLeaks est celle utilisée par l'ambassadeur US en

Algérie : « Un pays malheureux ». Pas un pays pauvre, pas une dictature

standard, pas un pays en guerre, pas un pays tout court. Non : un pays

malheureux, c'est-à-dire triste, souffrant de lui-même, sans amour pour sa

propre personne et où les gens, la terre et les murs sont la moitié d'une

chose qu'ils n'ont jamais eue et dont ils désespèrent dans l'enfermement et

l'immobilité du coeur.

 

De mémoire de chroniqueur, c'est la biographie la

plus courte et la plus poignante d'une nation. Les raisons ? On les connaît

toutes. Un analyste a très bien résumé l'effet WikiLeaks en écrivant que ce

site ne révèle rien mais confirme presque tout.

 

Et pour revenir au télégramme de l'ambassadeur US sur l'Algérie vue comme

veuve d'elle-même, les raisons sont admirablement résumées.

 

1°- Le décalage entre la terre et ceux qui lui marchent dessus : ici,

dira-t-il, les gens s'occupent à longueur de journée de votes, constitution,

mandats, dissidences et il n'y a rien qui est dit sur le pays, la peuplade,

l'émeute, c'est-à-dire le réel. Tout le monde veut Alger, personne ne veut

s'occuper du reste de l'Algérie, pourrait-on résumer.

 

2° - La seconde raison est la mentalité pipe-line : la seule politique

économique connue est celle de la dépense, du ciment, de la rente. Le

capitalisme y est sauvage mais le socialisme encore étatique. Les projets ne

mènent à rien car le centre de la réflexion économique n'est pas

l'entreprise mais le budget de soutien. La richesse n'est pas créée mais

distribuée par un réseau sur-bureaucratisé d'administrations et avec la

psychologie profonde de la méfiance, mère naturelle de la centralisation

excessive. Le pétrole n'y est pas une richesse mais un argent de poche.

 

3° - L'hésitation systématique : cela tout le monde le sait quand il veut

savoir au moins une chose sur l'Algérie : ce pays ne sait pas ce qu'il veut.

On a eu droit au socialisme spécifique, puis au capitalisme socialisant,

puis à l'économie de marché contrôlée, puis au néo-socialisme de

souveraineté nationale. Il y a «un manque de vision au sommet», aurait écrit

l'ambassadeur US, expliquant que « Bouteflika et son équipe ne savent pas

s'ils veulent que l'Algérie intègre l'économie de marché mondiale ou si le

gouvernement doit perdurer dans le contrat social des années 1960-1970».

 

4° - La méfiance. La base du système politique et social de l'Algérie est «

la psychologie de la méfiance » et pas celle du « consensus gagnant-gagnant

», a résumé un jour, au chroniqueur, un homme d'affaires algérien.

L'ambassadeur US, lui, ne voit donc que cet aspect qui freine un peu la

fameuse « coopération » sécuritaire entre son pays et le nôtre. Il touche

cependant du doigt l'une des facettes de la psychologie algérienne la plus

troublante : la paranoïa, fille cadette des indépendances obtenues par la

lutte armée et le maquis secret. Les services algériens sont décrits par

l'ambassade US comme étant «épineux et paranoïaques» et «pas pressés à

coopérer avec le FBI» dans la lutte contre les réseaux terroristes, rapporte

la presse.

 

5°- le décalage temporel entre le pays et ceux qui le gouvernent par la

nostalgie et la sous-formation : l'ambassadeur remarquera avec pertinence

que, pour la politique extérieure de l'Algérie, «Bouteflika est son propre

ministre de l'Extérieur, et sa conception politique régionale n'a pas évolué

depuis les années 1970». Notez le chiffre : 70. C'est l'année où le pays

était jeune, beau, ministre des AE internationales, riche, reconnu, sans

rides et bon danseur entre le bloc et le bloc Ouest au nom du

non-alignement. Le chiffre 70 explique tout : pourquoi on y coince le pays

et pourquoi on veut nous obliger à y retourner vivre.

 

Comment donc survivre dans un pays malheureux comme le nôtre ? Que faut-il

faire ? C'est quoi la solution pour marcher sur la Lune ? L'ambassadeur US

n'y répond pas.

Il n'est pas payé pour ça et ce n'est pas son rôle. La seule

bonne nouvelle qu'il donne, selon ce télégramme « secret », elle est

destinée au secrétaire d'Etat US qui devait visiter Alger à cette époque : «

Durant votre visite, nous nous attendions à une grève dans l'enseignement.

La fermeture des écoles facilitera vos déplacements grâce à la circulation

plus fluide, Inchallah», a-t-il indiqué.

Cela ressemble au rêve le plus

secret du régime algérien : le pays n'est vivable que lorsqu'il se vide.

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Kamel Daoud dans le quotidien d'Oran du mardi 7 décembre 2010

 

Un article a accrocher sur tous les murs. D'un redoutable réalisme .... :(

 

Le guide de l'Algérie par un ambassadeur US

par Kamel Daoud

 

L'une des formules les plus saisissantes sur l'Algérie ramassée dans les

débris de l'explosion WikiLeaks est celle utilisée par l'ambassadeur US en

Algérie : « Un pays malheureux ». Pas un pays pauvre, pas une dictature

standard, pas un pays en guerre, pas un pays tout court. Non : un pays

malheureux, c'est-à-dire triste, souffrant de lui-même, sans amour pour sa

propre personne et où les gens, la terre et les murs sont la moitié d'une

chose qu'ils n'ont jamais eue et dont ils désespèrent dans l'enfermement et

l'immobilité du coeur.

 

De mémoire de chroniqueur, c'est la biographie la

plus courte et la plus poignante d'une nation. Les raisons ? On les connaît

toutes. Un analyste a très bien résumé l'effet WikiLeaks en écrivant que ce

site ne révèle rien mais confirme presque tout.

 

Et pour revenir au télégramme de l'ambassadeur US sur l'Algérie vue comme

veuve d'elle-même, les raisons sont admirablement résumées.

 

1°- Le décalage entre la terre et ceux qui lui marchent dessus : ici,

dira-t-il, les gens s'occupent à longueur de journée de votes, constitution,

mandats, dissidences et il n'y a rien qui est dit sur le pays, la peuplade,

l'émeute, c'est-à-dire le réel. Tout le monde veut Alger, personne ne veut

s'occuper du reste de l'Algérie, pourrait-on résumer.

 

2° - La seconde raison est la mentalité pipe-line : la seule politique

économique connue est celle de la dépense, du ciment, de la rente. Le

capitalisme y est sauvage mais le socialisme encore étatique. Les projets ne

mènent à rien car le centre de la réflexion économique n'est pas

l'entreprise mais le budget de soutien. La richesse n'est pas créée mais

distribuée par un réseau sur-bureaucratisé d'administrations et avec la

psychologie profonde de la méfiance, mère naturelle de la centralisation

excessive. Le pétrole n'y est pas une richesse mais un argent de poche.

 

3° - L'hésitation systématique : cela tout le monde le sait quand il veut

savoir au moins une chose sur l'Algérie : ce pays ne sait pas ce qu'il veut.

On a eu droit au socialisme spécifique, puis au capitalisme socialisant,

puis à l'économie de marché contrôlée, puis au néo-socialisme de

souveraineté nationale. Il y a «un manque de vision au sommet», aurait écrit

l'ambassadeur US, expliquant que « Bouteflika et son équipe ne savent pas

s'ils veulent que l'Algérie intègre l'économie de marché mondiale ou si le

gouvernement doit perdurer dans le contrat social des années 1960-1970».

 

4° - La méfiance. La base du système politique et social de l'Algérie est «

la psychologie de la méfiance » et pas celle du « consensus gagnant-gagnant

», a résumé un jour, au chroniqueur, un homme d'affaires algérien.

L'ambassadeur US, lui, ne voit donc que cet aspect qui freine un peu la

fameuse « coopération » sécuritaire entre son pays et le nôtre. Il touche

cependant du doigt l'une des facettes de la psychologie algérienne la plus

troublante : la paranoïa, fille cadette des indépendances obtenues par la

lutte armée et le maquis secret. Les services algériens sont décrits par

l'ambassade US comme étant «épineux et paranoïaques» et «pas pressés à

coopérer avec le FBI» dans la lutte contre les réseaux terroristes, rapporte

la presse.

 

5°- le décalage temporel entre le pays et ceux qui le gouvernent par la

nostalgie et la sous-formation : l'ambassadeur remarquera avec pertinence

que, pour la politique extérieure de l'Algérie, «Bouteflika est son propre

ministre de l'Extérieur, et sa conception politique régionale n'a pas évolué

depuis les années 1970». Notez le chiffre : 70. C'est l'année où le pays

était jeune, beau, ministre des AE internationales, riche, reconnu, sans

rides et bon danseur entre le bloc et le bloc Ouest au nom du

non-alignement. Le chiffre 70 explique tout : pourquoi on y coince le pays

et pourquoi on veut nous obliger à y retourner vivre.

 

Comment donc survivre dans un pays malheureux comme le nôtre ? Que faut-il

faire ? C'est quoi la solution pour marcher sur la Lune ? L'ambassadeur US

n'y répond pas.

Il n'est pas payé pour ça et ce n'est pas son rôle. La seule

bonne nouvelle qu'il donne, selon ce télégramme « secret », elle est

destinée au secrétaire d'Etat US qui devait visiter Alger à cette époque : «

Durant votre visite, nous nous attendions à une grève dans l'enseignement.

La fermeture des écoles facilitera vos déplacements grâce à la circulation

plus fluide, Inchallah», a-t-il indiqué.

Cela ressemble au rêve le plus

secret du régime algérien : le pays n'est vivable que lorsqu'il se vide.

 

tristement poignant ! mais oh combien objectif et réaliste

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