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Che Guevara : au-delà de l’icône


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Par, Emrah KAYNAK

Article original publié le 1er octobre 2007

 

« Commémorer, ce peut-être vainement ressusciter l’origine vacillante mais ce peut être aussi mesurer l’éloignement irréductible qui nous en sépare pour mieux prendre acte du présent ». B. Binoche. Il ne reste plus qu’une vague analogie poétique entre la pensée du Che et sa perception actuelle exprimée sous une forme mythologique. Il ne s’agit pas seulement de commémorer Ernesto Guevara mais plutôt ses idées, ses valeurs et son projet de société. Lui rendre hommage, c’est d’abord lire ses textes ; lui rendre justice, c’est résister et ne pas succomber à l’impuissance politique.

 

L’utopie concrète : « soyons réalistes, exigeons l’impossible »

 

Penser par soi revient souvent à penser contre les autres, contre la société, contre son temps. Le Che a toujours pensé par lui et à travers quelques monuments intellectuels tels Marx, Engels, Lénine, Mao,… Absorbé par la réalité immédiate et les impératifs de la vie pratique, l’homme n’est pas en mesure de s’interroger, de penser le monde et de se penser dans le monde. Le Che a battu de ses pieds l’Amérique majuscule (comme il aimait la nommer) et s’est confronté à ses arrières-mondes aux confins de l’humain et de l’inhumain. Il a découvert un continent en même temps qu’il s’est découvert une conscience que son origine bourgeoise aurait pu occulter. Sa curiosité juvénile s’est sublimée en chemin en conscience de la nécessité ainsi que de la possibilité du changement. Il n’était plus question d’interpréter le monde mais de le transformer. Les questions de la nécessité et de la possibilité recouvrent deux instances disjointes. La nécessité du changement est une problématique d’ordre morale, un devoir-être, il faut que... La réflexion du Che orbitera autour de la question fondamentale : comment rendre le changement possible ? C’est une chose que de condamner moralement un système et autre chose que de le condamner pratiquement, en acte. Pour y parvenir, il faut conscientiser les masses et dévoiler le caractère transitoire de l’ordre en place. La vie du Che sera la transfiguration de sa pensée dans les faits, une propagande par les faits, une critique pratique. La plus grande œuvre du Che, c’est justement sa vie. Toute son existence est vouée à son essence au point de mourir dans une terrible effusion de sens.

Penser à travers ses désirs, c’est de l’utopie ; potentialiser une force, concrétiser une virtualité, c’est du réalisme. Faire une révolution à caractère socialiste à l’ombre de l’empire étasunien semblait totalement inconcevable. Créer une conscience socialiste, rénover les relations humaines est un défi tout aussi inconcevable. Un projet ne peut être réalisé que si la conviction de sa nécessité et la détermination dans sa possibilité précèdent les faits.

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Le Che au Congo (1965)

 

L’éthique : « Il faut s’endurcir, sans jamais se départir de sa tendresse »

 

Le Che se caractérise par une conséquence infaillible et une cohérence à toutes épreuves. Guérillero itinérant mais toujours sédentaire dans les idées. Nomade dans les fonctions mais fidèle aux principes. Médecin, soldat, ministre, ambassadeur mais toujours combattant de la justice et de la liberté. Tout au long de sa vie, il ne se s’est soumis qu’à une seule autorité : l’autorité de la vérité. Il ne pactisera jamais avec la raison d’Etat et l’irraison des hommes. Son destin tragique sera d’ailleurs scellé lorsqu’il osera dénoncer le social-impérialisme soviétique. Pour le Che, l’internationalisme n’est pas un concept philosophique creux mais l’expression pratique de son humanisme révolutionnaire : « Surtout, soyez toujours capables de ressentir au plus profond de votre cœur n’importe quelle injustice commise contre n’importe qui, où que ce soit dans le monde. C’est la plus belle qualité d’un révolutionnaire ». C’est au-delà d’une prescription morale pour le révolutionnaire conséquent une nécessité substantielle contre l’ennemi commun. Le socialisme doit se manifester dans des relations de coopération et de solidarité entre des peuples. Il ne peut s’exercer à part soi. De même qu’un individu ne peut être révolutionnaire tout seul, un pays ne peut construire le socialisme tout seul. La vision du communisme du Che n’est pas celle d’un mode de production et de distribution planifié de la société capitaliste. Il a une vision qualitativement opposée de la société communiste tant sur les plans culturel, éthique que relationnel. Si le communisme ne devait pas conduire à la rénovation des consciences, il n’aurait aucun sens.

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Le Che à Alger, avec le président Ahmed Ben Bella (1963)

 

L’icône et le mythe

 

Trop grand pour être un homme, le Che a été érigé en homme-modèle socialiste à Cuba, en prophète armé en Amérique du Sud et en mythe partout ailleurs. Pour Fidel, le Che n’était pas l’homme de son temps, il était l’homme du futur, l’homme nouveau. Pour Jean-Paul Sartre, c’était l’homme le plus complet de son époque, un homme intégral.

 

Il est réservé aujourd’hui au Che le même sort qu’à tous les révolutionnaires. Dans « L’Etat et la révolution », Lénine écrivait : « Il arrive aujourd’hui à la doctrine de Marx ce qui est arrivé plus d’une fois dans l’histoire aux doctrines des penseurs révolutionnaires et des chefs des classes opprimées en lutte pour leur affranchissement. Du vivant des grands révolutionnaires, les classes d’oppresseurs les récompensent par d’incessantes persécutions ; elles accueillent leur doctrine par la fureur la plus sauvage, par la haine la plus farouche, par les campagnes les plus forcenées de mensonges et de calomnies. Après leur mort, on essaie d’en faire des icônes inoffensives, de les canoniser pour ainsi dire, d’entourer leur nom d’une certaine auréole afin de consoler les classes opprimées et de les mystifier ; ce faisant, on vide leur doctrine révolutionnaire de son contenu, on l’avilit et on en émousse le tranchant révolutionnaire. » L’iconographie est utilisée comme linceul de l’esprit du combattant. L’image est inerte alors que le Che était un homme d’action ; l’image est aplatie alors que le Che n’a jamais courbé l’échine ; l’image est muette alors que le Che a lutté en tous lieux pour faire entendre son cri de liberté. On ne peut le réduire à une simple icône. Le Che était un homme d’esprit et d’action doté d’une redoutable détermination disposé à mourir pour faire vivre ses idées. On aurait tort de croire qu’il appartient au passé. Même s’il était foncièrement latino-américain, sa pensée a une dimension universelle qui justifie son rayonnement actuel. Il est l’homme nouveau, l’homme de demain, celui d’une société qu’il reste à construire.

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