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La Liberté A Coups De Fouet


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Par Ahmed HALLI

Le Soir D'algerie

 

Encore un Ramadan tranquille, me suis-je laissé dire au bout de la première quinzaine de de ce Ramadan 2007. Et quand je parle de tranquillité, je ne pense pas à un recul significatif de la violence, qu’elle soit physique ou verbale ; qu’elle s’exerce entre citadins ou contre eux. Le « terrorisme résiduel » n’est qu’un mythe dans un pays où on vous terrorise jusque dans l’intimité de votre foyer.

Le terrorisme est partout et il redouble de férocité durant le mois, supposé être celui de la piété et de la modération. Quelle modération ? En un seul soir, un des imams de mon quartier a décimé trois ou quatre nations, avec Israël en tête, à coups d’invocations guerrières. Je passe sur les navires coulés, les épouses réduites au veuvage précoce et les enfants assujettis, si l’expression est de mise, au régime de l’orphelinat. Ce n’est pas du tout à ce type de tranquillité impossible que je pensais. Pour moi, un Ramadan tranquille, c’est celui où nous ne sommes pas obligés de croire un quidam qui a vu un astre que les plus grosses lunettes astronomiques n’arrivent pas à distinguer. La quiétude du Ramadan, pour me résumer, c’est de ne pas être assailli de fatwas et de sermons bizarroïdes. C’est de ne pas entendre et lire des sornettes qui achèvent de me convaincre que la chute est vraiment irrémédiable et que le glissement vertigineux dans la folie collective ne concerne pas les seuls kamikazes. J’en étais donc là de mes raisons d’espérer, et à moins d’une semaine de l’Aïd, lorsqu’un « SCUD», venu encore d’Egypte est venu perturber la léthargie ambiante et brandir l’étendard du pessimisme triomphant. Ce « SCUD » a été tiré, à deux reprises, à partir de la rampe de lancement d’Al-Azhar au Caire. L’artificier en chair, faut-il le préciser ?, n’est autre que le vénérable cheikh Sayed Mohamed Tantaoui. Dans la terminologie qui se veut rassurante des analystes occidentaux, Tantaoui serait versé au fichier des islamistes modérés. Autrement dit, ceux qui remplissent les chargeurs mais ne pressent pas sur la gâchette. Cette tâche étant dévolue aux tireurs, les seuls à mériter le vocable de terroristes. Le cheikh Tantaoui a donc modérément apprécié les libertés que la presse indépendante d’Egypte prenait avec certains sujets délicats comme la santé du président Moubarak. Dans deux sermons, celui du vendredi et celui de la «nuit du destin », il a brandi la menace du fouet. Tout journaliste qui écrira des mensonges — est considéré comme mensonge tout écrit non conforme à la versions officielle — aura droit à 80 coups de fouet. Lorsqu’on sait que le couple adultère est puni de 100 coups de fouet, on saisit mieux la distance qui sépare le journaliste, soucieux d’informer, et le fornicateur. Les journalistes sont pratiquement sommés de choisir entre la liberté et le libertinage. 80 coups de fouet pour un article tendancieux et 100 pour un acte licencieux, ce n’est pas un dilemme cruel, c’est une incitation à la luxure. Tantaoui s’est évidemment appuyé sur des textes sacrés les visant à semer le désordre et le chaos dans le pays. Les autorités égyptiennes ont déjà arrêté et condamné quatre journalistes et responsables de journaux qui avaient fait état de la détérioration de l’état de santé de Moubarak. La santé du président «zaï-al-foul», une expression intraduisible qui signifie qu’il se porte on ne peut mieux. Cette formule consacrée avec dérision par la rue du Caire est le seul bulletin de santé officiel. C’est une manière de signifier que ce sujet est tabou et que les journaux indépendants doivent respecter la consigne du « zaï-al-foul » et observer le silence, au même titre que la presse dite publique. Les journaux égyptiens qui marquent de plus en plus leur indépendance vis-à-vis du pouvoir ne se sont pas laissés intimider et ont même observé une grève de parution. Pourquoi Tantaoui est-il monté au créneau alors que les autorités n’ont sollicité aucune couverture religieuse pour réprimer la liberté d’expression ? s’est interrogée la presse indépendante indignée par cette fatwa. Ce fouet brandi à la face de la liberté d’expression est assimilé à un scandale de dimension internationale. Comme le soulignent les éditorialistes, Tantaoui a édité une fatwa en faveur de Moubarak et c’est dans la logique du système. C’est le président qui nomme le cheikh d’Al-Azhar et celui-ci trouve des arguments religieux pour le soutenir. L’instrumentalisation de l’université ne date pas de Moubarak et cette situation perdurera tant que les rapports entre l’institution religieuse et le pouvoir n’auront pas été redéfinis. Dans ce contexte, le quotidien Al-Misri-alyoum est le plus virulent puisqu’il n’hésite pas à souligner que la fatwa de la flagellation, surpasse en stupidité celle de l’allaitement de l’adulte, émise par le Dr Ezzat Attia, de la même institution. Or, l’auteur de la « Fatwa de l’allaitement » a justement été exclu de l’université Al-Azhar pour avoir introduit le désordre et le trouble dans le monde musulman. La version des faits donnée par les autorités d’Al- Azhar ne mentionne pas la flagellation pour l’auteur de la «fitna» universelle. Cela prouve en quelle haute estime Tantaoui tient la personne et la santé du président Moubarak et le peu de cas qu’il fait de la tranquillité d’esprit de «l’Oumma». Je suis même tenté de dire que le Cheikh a éliminé un dangereux concurrent, en la personne de Ezzat Attia, pour pouvoir être le seul à gaver les musulmans de sornettes. Comme pour montrer au monde que la bêtise est parfois coordonnée, le député koweïtien Walid Tabatibi, islamiste de haute volée, a tenu aussi à marquer l’imaginaire musulman. Bravant la colère des autorités, et celle des Américains qui l’ont libéré de l’occupation irakienne, le député intégriste a signé un panégyrique de Oussama Ben Laden, en qui il voit un nouveau Saladin. Ce faisant, il a exprimé tout haut les sentiments que les Arabes expriment ouvertement chaque tous les jours, y compris le vendredi, et de Alep à Tanger. Pour ne pas désespérer totalement, les Arabes se sont tournés vers les feuilletons du Ramadan. Les médias arabes ont unanimement consacré le feuilleton syrien Bab-al-hara qui a séduit les téléspectateurs et, surtout, les téléspectatrices du Machrek et du Maghreb. Beaucoup de maris ont, en effet, perdu à cette occasion le contrôle de la télécommande, élément intangible de la suprématie mâle. En réalité, Bab-alhara n’est arrivé qu’en deuxième position en Egypte où le feuilleton sur le roi Farouk lui a été préféré. Le scénario, signé par l’épouse de l’acteur Yahia Al-Fakhrani, présente pour la première fois le roi Farouk sous des dehors sympathiques. Les analystes égyptiens attribuent le succès du feuilleton à cette nostalgie si particulière qui saisit les peuples dans les moments de crise sociale et morale. Les Egyptiens d’aujourd’hui sont persuadés, et ils n’ont pas totalement tort, qu’ils vivaient mieux et avaient plus de libertés à l’époque du roi Farouk. Ils sont également soucieux de connaître la véritable histoire de cette période, jusqu’ici occultée sinon déformée. En dépit de l’arrivée en force des productions syriennes, le feuilleton égyptien garde sa suprématie. Vaille que vaille, il continue à donner une image aussi réaliste que possible de la société égyptienne. Même s’ils ne sortent pas souvent des sentiers battus, ils n’ont pas le goût insipide des ersatz produits dans les Emirats. Ceux-là, il n’y a que l’ENTV qui peut encore rivaliser avec eux, et elle ne s’en prive pas.

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