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Dans le domaine des recherches littéraires la littérature comparée est devenue incontournable. Par "comparée" on pense plutôt à la comparaison de deux oeuvres littéraires. Mais la comparaison est aussi possible (et de plus en plus fréquente) entre la littérature et une autre forme d'expression artistique.

En ce qui me concerne c'est surtout la comparaison entre littérature et musique qui me passionne (parce que j'ai quelques connaissances dans les deux disciplines).

En ce moment par exemple je travaille sur Variations sur le carnaval de venise , un poème de Théophile Gautier "inspiré" d'une oeuvre du fameux virtuose italien Nicolo Paganini. Voici les deux oeuvres, j'aimerais bien qu'on en discute. Ce n'est pas pour vous voler vos idées :confused: j'ai déjà mon plan mais je ne voudrais pas imposer ma vision des choses.

 

Voici une interprétation (très libre) de l'oeuvre de Paganini par Vadim Repin. Il ne joue pas le 20 variations mais ça donne une idée de l'oeuvre. Si vous lisez les partitions vous pouvez jeter un oeil ici

 

[YOUTUBE]b9GpI1q86V8[/YOUTUBE]

 

Et voici le texte de Gautier

Variations sur le carnaval de Venise

 

I - Dans la rue

 

Il est un vieil air populaire

Par tous les violons raclé,

Aux abois des chiens en colère

Par tous les orgues nasillé.

 

Les tabatières à musique

L'ont sur leur répertoire inscrit ;

Pour les serins il est classique,

Et ma grand'mère, enfant, l'apprit.

 

Sur cet air, pistons, clarinettes,

Dans les bals aux poudreux berceaux,

Font sauter commis et grisettes,

Et de leurs nids fuir les oiseaux.

 

La guinguette, sous sa tonnelle

De houblon et de chèvrefeuil,

Fête, en braillant la ritournelle,

Le gai dimanche et l'argenteuil.

 

L'aveugle au basson qui pleurniche

L'écorche en se trompant de doigts ;

La sébile aux dents, son caniche

Près de lui le grogne à mi-voix.

 

Et les petites guitaristes,

Maigres sous leurs minces tartans,

Le glapissent de leurs voix tristes

Aux tables des cafés chantants.

 

Paganini, le fantastique,

Un soir, comme avec un crochet,

A ramassé le thème antique

Du bout de son divin archet,

 

Et, brodant la gaze fanée

Que l'oripeau rougit encor,

Fait sur la phrase dédaignée

Courir ses arabesques d'or.

 

 

II - Sur les lagunes

 

Tra la, tra la, la, la, la laire !

Qui ne connaît pas ce motif ?

A nos mamans il a su plaire,

Tendre et gai, moqueur et plaintif :

 

L'air du Carnaval de Venise,

Sur les canaux jadis chanté

Et qu'un soupir de folle brise

Dans le ballet a transporté !

 

Il me semble, quand on le joue,

Voir glisser dans son bleu sillon

Une gondole avec sa proue

Faite en manche de violon.

 

Sur une gamme chromatique,

Le sein de perles ruisselant,

La Vénus de l'Adriatique

Sort de l'eau son corps rose et blanc.

 

Les dômes sur l'azur des ondes,

Suivant la phrase au pur contour,

S'enflent comme des gorges rondes

Que soulève un soupir d'amour.

 

L'esquif aborde et me dépose,

Jetant son amarre au pilier,

Devant une façade rose,

Sur le marbre d'un escalier.

 

Avec ses palais, ses gondoles,

Ses mascarades sur la mer,

Ses doux chagrins, ses gaités folles,

Tout Venise vit dans cet air.

 

Une frêle corde qui vibre

Refait sur un pizzicato,

Comme autrefois joyeuse et libre,

La ville de Canaletto !

 

 

III - Carnaval

 

Venise pour le bal s'habille.

De paillettes tout étoilé,

Scintille, fourmille et babille

Le carnaval bariolé.

 

Arlequin, nègre par son masque,

Serpent par ses mille couleurs,

Rosse d'une note fantasque

Cassandre son souffre-douleurs.

 

Battant de l'aile avec sa manche

Comme un pingouin sur un écueil,

Le blanc Pierrot, par une blanche,

Passe la tête et cligne l'oeil.

 

Le Docteur bolonais rabâche

Avec la basse aux sons traînés ;

Polichinelle, qui se fâche,

Se trouve une croche pour nez.

 

Heurtant Trivelin qui se mouche

Avec un trille extravagant,

A Colombine Scaramouche

Rend son éventail ou son gant.

 

Sur une cadence se glisse

Un domino ne laissant voir

Qu'un malin regard en coulisse

Aux paupières de satin noir.

 

Ah ! fine barbe de dentelle,

Que fait voler un souffle pur,

Cet arpège m'a dit : C'est elle !

Malgré tes réseaux, j'en suis sûr,

 

Et j'ai reconnu, rose et fraîche,

Sous l'affreux profil de carton,

Sa lèvre au fin duvet de pêche,

Et la mouche de son menton.

 

 

IV - Clair de lune sentimental

 

A travers la folle risée

Que Saint-Marc renvoie au Lido,

Une gamme monte en fusée,

Comme au clair de lune un jet d'eau...

 

A l'air qui jase d'un ton bouffe

Et secoue au vent ses grelots,

Un regret, ramier qu'on étouffe,

Par instant mêle ses sanglots.

 

Au loin, dans la brume sonore,

Comme un rêve presque effacé,

J'ai revu, pâle et triste encore,

Mon vieil amour de l'an passé.

 

Mon âme en pleurs s'est souvenue

De l'avril, où, guettant au bois

La violette à sa venue,

Sous l'herbe nous mêlions nos doigts...

 

Cette note de chanterelle,

Vibrant comme l'harmonica,

C'est la voix enfantine et grêle,

Flèche d'argent qui me piqua.

 

Le son en est si faux, si tendre,

Si moqueur, si doux, si cruel,

Si froid, si brûlant, qu'à l'entendre

On ressent un plaisir mortel,

 

Et que mon coeur, comme la voûte

Dont l'eau pleure dans un bassin,

Laisse tomber goutte par goutte

Ses larmes rouges dans mon sein.

 

Jovial et mélancolique,

Ah ! vieux thème du carnaval,

Où le rire aux larmes réplique,

Que ton charme m'a fait de mal !

 

Recueil: "Emaux et camées"

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