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François Rabelais et طرائف أشعب


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Dernièrement je suis tombé sur un passage de Gagantua de François Rabelais (1483-1553) qui reprenait quasi à l'identique une des tara'if (blagues, drôleries) de Achâab.

Achâab est un personnage mi-réel mi-fictif qui aurait vécu à Médine durant la période Omeyyade. Personnage très malin et très cupide qui déjoue sans cesse les codes de sa société pour en tirer profit. Le tout dans un ton très comique.

 

Mon souci est que je ne retrouve pas le livre sur Achâab ni sur le web ni en bibliothèque (j'en ai juste gardé un souvenir scolaire). Si vous avez une piste. Merci.

 

Voilà le passage de Rabelais, Tiers livre, adapté en Français moderne.

 

À Paris, à la rôtisserie du Petit Châtelet, à la devanture de la boutique d'un rôtisseur, un portefaix mangeait son pain à la fumée du rôt et le trouvait ainsi parfumé, très parfumé, très savoureux. Le rôtisseur le laissait faire. Enfin, quand tout le pain fut avalé, le rôtisseur saisit le portefaix au collet, et voulait qu'il lui payât la fumée de son rôt. Le portefaix disait n'avoir en rien endommagé ses victuailles, n'avoir rien pris de son bien, n'être en rien son débiteur. La fumée dont il était question se dissipait à l'extérieur ; d'une façon comme de l'autre, elle était perdue : on n'avait jamais entendu dire qu'à Paris on avait vendu de la fumée de rôt dans la rue. Le rôtisseur répliquait qu'il n'était pas tenu de nourrir les portefaix de la fumée de son rôt et jurait que, s'il ne le payait pas, il lui enlèverait ses crochets.

 

Le portefaix tirait son gourdin, et se mettait sur la défensive. L'altercation prit de l'importance. Ce bedeau de peuple parisien accourut de toutes parts à la dispute. Là se trouva bien à propos Sire Joan le fou, citoyen parisien. L'ayant aperçu, le rôtisseur demanda au portefaix : "Veux-tu dans notre différend te fier à ce noble Sire Joan ?"

 

-"Oui, par le Sang Dieu, répondit le portefaix."

 

Alors, Sire Joan, après s'être mis au courant du désaccord, demanda au portefaix de tirer de son baudrier une pièce d'argent. Le portefaix lui mit dans la main un tournois-de-Philippe. Sire Joan le prit et le mit sur son épaule gauche comme pour vérifier s'il pesait le poids ; puis il le faisait sonner sur la paume de sa main gauche, comme pour entendre s'il était de bon aloi ; puis il le posa sur la prunelle de son œil droit comme pour voir s'il était bien frappé. Pendant toute cette action, tout le peuple badaud gardait un grand silence, tandis que le rôtisseur attendait fermement et que le portefaix se désespérait. Enfin il le fit sonner sur le comptoir à plusieurs reprises. Puis, avec une majesté présidentielle, tenant sa marotte au poing comme s'il s'était agi d'un sceptre, et ajustant sur sa tête son capuchon en martre de singe à oreillettes de papier, fraisé à points d'orgue, toussant au préalable deux ou trois bonnes fois, il dit à haute voix : "La Cour vous signifie que le portefaix qui a mangé son pain à la fumée du rôt a payé civilement le rôtisseur au son de son argent. Ladite Cour ordonne que chacun se retire dans sa chacunière, sans dépens et pour cause."

 

Cette sentence du fou parisien a semblé si équitable, voire admirable, aux docteurs susdits qu'ils se demandent si, au cas où la cause eût été tranchée au Parlement dudit lieu ou à la Rotta de Rome voire tranchée par les Aréopagites, la sentence eût été plus légalement prononcée par eux. Voyez donc si vous pouvez prendre conseil d'un fou.

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