Guest bkam Posted April 16, 2011 Partager Posted April 16, 2011 Dès leur début, dans les années 1950, les revues de bande dessinée arabes pour la jeunesse ont eu pour but la distraction et l’éducation. Avec l’indépendance acquise et la ferveur nationaliste, les nouveaux régimes politiques ont été prompts à réaliser le potentiel du genre pour façonner l’opinion publique. L’accent fut alors mis sur les récits historiques illustrant le passé glorieux des Arabes ou le folklore local. Les thèmes socialistes honorant les fermiers, les travailleurs ou les fonctionnaires remplacèrent les contes de fées et envahirent les pages. Des histoires de héros populaires devenaient communs à l’époque ; Sindibad, le voyageur, Antar, le guerrier classique, et Joha, le comique. La montée du nationalisme, en particulier après la défaite de 1967, allait mettre tous les médias – y compris la bande dessinée – au service de « l’effort de guerre ». En Égypte, Samir [Le Compagnon], seule revue à publier des bandes dessinées militaires qualifiées de « leçons de résistances populaires », fut imitée par les revues Oussama en Syrie (1969), Majallati [Mon magazine] (1969) et Al-Mizmar [La Flûte] (1970) en Irak. L’utilisation de l’arabe littéraire, considéré comme la langue de « la nation arabe unie et immortelle », fut renforcée, alors que le dialecte local devenait signe de division – le mot d’ordre étant « la faiblesse des Arabes réside dans leur désunion ». Ces revues défendaient les valeurs socialistes du régime Baathiste2, en Syrie et en Irak, mais aussi l’image d’un État remplaçant toute structure sociale. Les nombreuses représentations d’enfants regardant le chef de la nation comme une figure paternelle (Al-Tali’i [Le Pionnier], 1984) allaient renforcer l’idée d’un État remplaçant la famille. Travailleurs, fermiers et soldats devenaient les symboles de la nation et figuraient sur toutes les couvertures. Même la femme – aussi inconcevable que cela puisse paraître dans une société conservatrice –, jouait un rôle primordial dans la révolution (à ses débuts du moins). La Syrie, consciente de l’impact du genre sur la jeunesse, ira jusqu’à interdire toute publication de bande dessinée importée, assurant ainsi un contrôle de l’image à l’intérieur de ses frontières. Les Émirats arabes unis ont connu l’hégémonie de la revue Majed [Noble, glorieux] tout au long des années 1980. Publiée en 1979 par le ministère de l’information d’Abou Dhabi, la revue était l’œuvre de dessinateurs et d’auteurs égyptiens, libanais et syriens, tous artistes de grande renommée3, sous la direction d’Omar Ahmad, nassérien4 de tendance. Les thèmes communs de la solidarité arabe, de l’anti-impérialisme et de l’antisionisme prévalaient à côté du ton modéré d’un islamisme montant. Ainsi une des séries principales de la revue, Zakiyya Al-Thakiyya [Zakiya l’intelligente] introduisait ses jeunes lecteurs à des questions liées à la religion, la politique et la science. Le culte du « Zaïm »5 Afficher le portrait d’un dirigeant de régime totalitaire sur les murs ou le mettre en couverture d’un livre est une pratique courante dans le Monde arabe. La bande dessinée ne fera pas exception. Mohamad Hassan Al-Bakr6 apparaît régulièrement en couverture de Majallati en 1971, et il en va de même pour les dirigeants Gamal Abdel-Nasser en couverture de Samir, Sheikh Zayed7 dans Majed, Bashar El-Assad8 dans Oussama, le roi Abdallah de Jordanie dans Hatem, etc. Les vies mêmes d’un certain nombre de ces dirigeants ont été illustrées. Le« Rayyes »9 égyptien, Gamal Abdel-Nasser, le « Zaïm » irakien, Saddam Hussein, le « Qaed »10 lybien, Moammar Kadhafi, ont eu chacun un album de bande dessinée consacré à leurs exploits.…au récit glorieux de vie Utilisant des techniques standard de propagande, ces bandes dessinées exposent les humbles débuts du leader (fils de fermiers pauvres, bédouins, etc.), son existence dédiée au seul intérêt du peuple, sa lutte pour le bien commun, et son ascension au pouvoir pour occuper ainsi une place primordiale parmi les illustres révolutionnaires internationaux, et s’enraciner dans l’Histoire et la mémoire collective de son pays. Ainsi, Kadhafi est représenté dans chaque page et vignette de son album Il était une fois Kadhafi. Dans Gamal Abdel-Nasser, la narration de l’album est basée sur des répétitions de discours généralistes prônant les notions d’honneur, de gloire, d’amour de la patrie et de valeurs familiales. À noter que les deux albums ont été illustrés par des artistes occidentaux, utilisant une forme conventionnelle du genre, et tous les deux traduits en plusieurs langues. Les Longues Journées, album illustrant la « légende » de Saddam Hussein, raconte la vie d’un leader exceptionnel pour en faire un culte et même un mythe. Plus intéressant est le fait que l’album (comme toutes les publications pour la jeunesse irakiennes) est entièrement créé par des dessinateurs locaux. Avec le déclin du modèle nationaliste arabe et la montée d’un islam politique (surtout après le 11 septembre 2001), la région voit se propager une bande dessinée dont le contenu et les objectifs sont surtout islamiques. La forme de composition des planches se limite au conventionnel pour donner gravité et sérieux au thème. Les bandes dessinées à tendance islamique et panarabe ont commencé timidement dès les années 1970. Éditées ou sponsorisées par les États, les revues Baraem al-Iman [Les Bourgeons de la foi] (Koweït, 1975), Al-Muslim Al-Saghir [Le Petit musulman] (Égypte, 1984), ‘Orfan (Tunisie, 1965), Al-Hadiqa [Le Jardin] (Jordanie, 2009), sont similaires quant à leur forme ou leurs objectifs : diffuser la religion islamique. Des reportages aux rubriques en passant par les mots croisés, l’éducation islamique est le guide principal du contenu de deux revues : Baraem al-Iman, publié par le ministère des Waqf12 et affaires islamiquesdu Koweït et Al Firdaws [Le Paradis], publié par un département du ministère des affaires religieuses en Égypte. Al-Hadiqa, magazine de l’État jordanien, porte ainsi une orientation islamique claire, sauf que ses bandes dessinées utilisent le dialecte jordanien (et palestinien) pour représenter les « mauvais » personnages et l’arabe classique pour les « bons » personnages et les citoyens d’honneur ! Après le 11 septembre 2001, des efforts ont été déployés pour tenter de diffuser une image modérée et tolérante de l’islam. La série Les 99 (Koweït, 2005) est un bon exemple. Créée par Nayef al-Mutawa’a (un homme d’affaires koweïtien) et basée sur les quatre-vingt-dix-neuf noms de Dieu, dont chacun est une vertu, la revue s’est inspirée de la foi et de la culture musulmane, sans allusion directe à la religion dans les aventures racontées. Dessinés par des artistes américains de DC comicset Marvel comics, les personnages sont créés dans le style musclé des super-héros américains. La série est une aventure attrayante pour les adolescents dans le monde outre atlantique (écrite en anglais et arabe), et vise à les initier à une version plus modérée de l’islam. À noter que la plupart des personnages féminins ne sont pas voilés, pour se rapprocher ainsi des lecteurs étrangers. Avec une intolérance islamique vis-à-vis de l’image, certains « hadith » interdisant en effet toute illustration figurative, on peut s’étonner de la récente propagation des illustrés islamistes. Les bandes dessinées à objectifs religieux radicaux se sont fait une place sur le marché et sur les étagères des librairies. Le mensuel Fares al Ghad [Le Chevalier de demain], entièrement en bande dessinée, encourage ouvertement les attaques-suicides et le martyre au nom de la religion, tout en ciblant un public jeune. Le danger réside dans le fait que ces magazines ont compris le plein potentiel du genre et l’utilisent en choisissant des auteurs et des illustrateurs professionnels, des styles à la mode et des récits passionnants pour mieux attirer leur public que les autres revues plus modérées. Avec des couvertures attrayantes et des pages en couleurs, Fares al Ghad offre un éventail séduisant de bandes dessinées qui couvrent tous les genres, de l’humour aux histoires des combattants légendaires morts pour leur cause. Les bandes dessinées sont tissées en douceur dans l’ensemble, de sorte qu’il est difficile pour le lecteur de noter qu’il est passé de l’histoire d’un chat à celle d’une grand-mère kamikaze. Citer Link to post Share on other sites
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