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Le sang coule mais ne se donne pas


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Guest Nimos

Le sang coule mais ne se donne pas

 

Lu hier : les dons de sang des médecins grévistes refusés par la tutelle. C'est-à-dire que les dons de sang voulus par les résidents pour répondre à la décision de ponction sur salaire décidée par Ould Abbès, le ministre de la Santé, sont refusés sur une note envoyée aux centres de transfusion sanguine.

 

Lue et relue car cet épisode est fascinant et permet l'exercice d'une profonde intuition. La contre-grève peut dépasser, chez nous, l'interdiction, l'usage abusif de la Justice, la matraque et le mépris pour aboutir à la chamaillerie sur le détail et la querelle sur le symbole. Vu de loin, Ould Abbès le ministre ne veut pas que ce genre de sang circule dans le pays et dans vos veines. L'accès des Algériens aux Algériens est donc policé et réglé par la loi du plus fort, c'est-à-dire un ministre. Les Algériens ne doivent pas se contaminer, se rapprocher, se donner la main ou le sang si cela permet d'en faire un peuple au lieu d'une foule.

 

On comprend aussi qu'il ne s'agit plus d'une contre-grève menée par un ministre mais d'une guérilla. Un ministre a-t-il le droit de déclarer un sang donné comme politiquement nocif à la santé du receveur ? Non. Un ministre a-t-il le droit de mener la contre-offensive jusqu'à déclarer des médecins grévistes porteurs de germes contestataires dangereux pour la santé publique ? Non.

 

La gestion du sang est une affaire d'Etat dans les systèmes politiques nés de la guerre et de la décolonisation : seul l'Etat peut en faire couler, le colon, le terroriste. Le sang ne se donne pas mais s'arrache. Il doit couler, pas se donner. Une récente enquête avait d'ailleurs démontré que les dons de sang en Algérie sont rares. Paradoxe dans un pays qui a connu deux guerres et vingt-sept envahisseurs et des centaines de siècles de massacres.

 

Le sang, c'est comme le pétrole : il coule mais dans un seul sens. Le sang est licite mais le sang neuf est interdit dans les gérontocraties, gouvernance par les vieux. Le pays a été libéré dans le sang mais le sang n'est pas libre d'aller d'un gréviste à un centre de transfusion. Variations sans fin sur le sang donc.

 

L'essentiel immédiat est cependant sous les yeux : un ministre s'arroge le droit d'inventer une catégorie de sang politiquement contaminé. Le chroniqueur l'a déjà écrit : les dictatures ont tendance à virer vers la répression et le ridicule. Emprisonner un Algérien pour tentative d'immolation, condamner un «mangeur du ramadan» à deux ans de prison à Oum El-Bouaghi sous prétexte qu'il a cassé une vitre lors d'un interrogatoire, refaire une place publique pour éviter que les rassemblements s'y rassemblent, etc.

 

Ould Abbès est donc comme son Etat : il a le droit de donner des bus mais les médecins n'ont pas le droit de donner leur sang. Le sang est gratuit mais les bus étaient achetés. Cela vient de l'idée profonde que le sang appartient au Pouvoir et à l'histoire personnelle de ses «historiques». Le sang des martyrs a été privatisé depuis des décennies, le sang des médecins ne peut donc circuler librement, sans agrément. Le réseau de vos veines appartient au Pouvoir. L'âme est à Dieu, le sang est au plus fort. Que vous reste-t-il ?

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