Guest bkam Posted July 2, 2011 Partager Posted July 2, 2011 « J'ai eu la chance d'avoir étudié au lycée le grec et le latin et puis d'avoir été diplômé en philosophie et en mathématiques à l'université. Quand dans La prise de Gibraltar, écrite en arabe, j'injecte des passages (en latin!) du livre de Salluste sur Les Guerres de Jugurtha, c'est parce que je suis imbibé par ce texte que j'ai appris par coeur à l'âge de quatorze ans et fasciné par le courage de Jugurtha. Le roman moderne est une somme de toute la poétique et de toute la connaissance humaine, qu'elle soit d'ordre artistique, philosophique ou scientifique. » Rachid Boudjedra. Mais il reste qu’un bon écrivain n’est pas celui qui connaît plus de mots, mais bien celui dont l’écrit en tant que discours ne manque pas de mots pour être exprimé. Le bon écrivain c’est celui qui maîtrise la langue du propre discours. Alors l’on peut parler de richesse de la langue de tel ou tel auteur, de clarté, de pertinence, d’harmonie et de beauté en fin d’analyse. Son mode de traiter avec ses langues exclut la vaine polémique qui a toujours divisé les hommes de lettres surtout dans le monde arabe, à savoir : usage ou non des dialectes, problème de diglossie, arabe classique pas classique, anachronisme de la langue, de son alphabet et de la culture qu’elle véhicule … En fait il n’hésite pas à utiliser le parlé, le berbère, le français, l’anglais et jusqu’au latin même ! C’est comme s’il voulait donner une idée ou un topos linguistique sur ce sabir, sur cette langue maltaisisée (qui ressemble par bien des traits à la langue maltaise) du peuple algérien et évidemment sur sa personnalité caractéristique, sur ses référents identitaires et ses appartenances culturelles. C’est comme s’il voulait nous dire que la différence qu’il y a entre les langues pouvait n’être qu’artificielle. Puisque c’est l’homme qui a créé ces langues, pourquoi devraient-elles être imperméables entre elles et sourdes les unes aux autres, quand il s’agit bien de rendre compte des réalités du même homme qui les a créées ou à qui elles s’adressent? nos langues n’ont jamais été un métal pur. Il suffit d’en examiner la consistance pour voir qu’elles sont tout sauf pures ou autosuffisantes. La langue d’un auteur est toujours un ensemble de langues, un cocktail de tous les mots (dans leur forme actuelle) à sa disposition. En fait Boudjedra a démontré qu’en elles-mêmes, et entre elles, les langues de l’homme ne se sentent pas si étrangères les unes par rapport aux autres. Elles ne se repoussent pas, elles ne se snobent pas les unes les autres. Tout ce qu’elles peuvent faire c’est de révéler par contre la sensibilité tendanciellement agressive, chauvine, exclusiviste, raciste des soi-disant peuples qui les parlent. Comme s’il voulait démontrer que les mots d’une langue peuvent constituer – si nous voulions bien être tolérants – des synonymes aux mots de n’importe quelle autre langue, il suffit seulement de les insérer dedans et de les utiliser avec naturalité et générosité: les rendre organiques et harmonieux donc avec la langue qui les accueille. Qui connaît plusieurs langues semble, pour celui qui n’en connaît qu’une seule, une personne multiforme, incohérente et désunie. L’intéressé, quant à lui, dispose de toute la lumière qu’il faut pour éclairer les zones d’ombre qui échappe à l’autre, pour se voir et se familiariser avec soi-même et ses propres monstres. C’est pourquoi et en vertu de quoi il ne se sentira jamais morcelé ou déchiré même s’il apparaît tel aux yeux de cet autre. En fait s’il lui arrive de sentir quelque déchirement ou tiraillement, ça ne sera que l’effet du mouvement violent de ces pièces dans leurs efforts de s’adopter, de se souder entre elles, de trouver une unicité, d’affirmer leur identité commune. Cette dernière procède de l’âme de l’auteur qui, elle, ne saurait souffrire le morcellement. Ces pièces, détachées les unes des autres et arrachées à la matrice - c'est-à-dire à l’auteur - qui leur donne origine, substance et sens ; ces pièces harmonieuses mais qu’on veut qu’elles soient étrangères les unes aux autres par la force de qui veut faire d’une telle richesse une aliénation ; ces pièces ou, plus exactement, ces mots qui révèlent une richesse polychromique de l’auteur, appartiennent tous à une même source de sensibilité. Cette mosaïque, ce collage monté à partir de débris des langues que l’auteur possède, ces lambeaux de voix en forme de mots constituent une sorte de fresque historique qui n’est rien d’autre que l’âme de Boudjedra lui-même et, partant, de l’Algérien et pourquoi pas de l’homme en général. Le propre de l’art n’est-ce pas l’ambiguïté ? En utilisant des rafales de synonymes, Boudjedra crée une espèce de vibration dans le sens. Vibration qui à son tour crée le doute, l’imprécision, l’ambiguïté … Le sens ainsi flotte dans cette mer des mots indécis et se pare d’une espèce d’intermittence. Cette intermittence strabiliante (de strabisme) et éblouissante par son imprécision rend paradoxalement le lecteur plus vigilant et les sens et la conscience plus éveillés. Ainsi le lecteur parvient-il à construire et donner corps à ce que ces mots suscitent en lui comme remembrances, désirs, émotions et significations. Le bon écrivain est celui qui nous aide et nous porte à creuser en nous-mêmes pour dégager une certaine connaissance, mère et matrice de toutes les connaissances. En fait le multilinguisme peut être une autre forme, un peu insolite cependant, du monolinguisme. Les différences seraient des richesses et les répétitions point inutiles, mais des synonymes. En fait les siècles et les jours ou plutôt les contacts entre les peuples et les hommes à travers ces siècles et ces jours ne cessent pas de décomposer, mélanger et recomposer, grâce au génie destructeur et créateur du temps, matière et symboles, sensibilités et produits de la conscience, mémoires et mythes, peurs et espoirs pour fonder le tout dans une nouvelle entité inédite, originale, qui a une identité propre à elle. Comme s’il voulait, l’auteur, nous montrer ce processus (de l’histoire ? de l’humanité ? de la vie ?) à l’œuvre à travers le cas de l’Algérie qui, elle, s’est créée une position civilisationnelle qui n’est ni orientale, ni occidentale : pour la simple raison que sa position cardinale n’est pas un discours d’elle-même sur elle-même, mais le discours de l’Autre sur elle. En ce sens qu’elle se réclame d’orient quand on la contraint à faire partie de l’orient, elle se réclame d’occident quand on la contraint à faire allégeance à l’occident. C’est une question – voyez-vous – de politesse. Elle ne veut gêner personne, tant qu’il s’agit de discours de ce type, de simple bavardage. Au delà de ce jeu de mots, la position géographique même des pays du Maghreb (mot qui se traduit par Occident !) les veut des territoires écrasés entre trois mers, deux d’eau et une de sable, toutes aussi bien isolantes les unes que les autres et difficilement violables. Maintenant si le désert constitue un obstacle naturel quasi insurmontable, l’obstacle du Nord, bien que réel quant à lui, est plus idéologique et artificiel que physique. Il suffit d’interroger l’histoire de la méditerranée pour avoir une idée de cette saga d’invasion/répulsion tantôt sous une forme violente tantôt subtile durant l’histoire de ce grand lac. En d’autres termes, depuis que la rive Nord est devenue une puissance (avec Rome, Byzance, les croisades et enfin les puissances de l’ère colonialiste) qui puisse enfin dominer le décliné Orient, la rive Sud a été toujours considérée une espèce de basse cours ou de verger lié à la maison des maîtres du Nord. Il est évident qu’à partir d’un tel esprit de domination soutenu, recherché et cultivé au cours des siècles et millénaires, il ne pouvait exister une monnaie d’échange entre les peuples du Nord et ceux du Sud qui s’appelle partenariat ou parité mais seulement déprédation et hégémonie. Ceci signifie que le caractère oriental du Maghreb, si jamais il existe un caractère oriental, ne peut être qu’une pure étiquette qui s’exténue à rendre compte d’une réalité qui, si elle existe elle aussi, ne peut signifier identité ou au pire appartenance, mais simplement, logiquement, honnêtement, loin de toute mystification et de tout mensonge, une sorte d’arrière-terre stratégique de solidarité, d’aide, d’alliance et d’inspiration. La pluralité des points de vue engendre de toute façon la pluralité des significations : ainsi l’utilisation de différentes langues et langages dans le même texte invite à des lectures variées. Tout comme le jeu des sept erreurs, comme le déroulement de l’histoire, comme le déploiement de l’âme humaine, comme le retour des saisons qui ne seront jamais les mêmes sans jamais perdre pour autant leur identité. Dans le cas de l’Algérien, on connaît le recours à la langue française pour tromper la censure et se sentir en droit de prononcer toutes les obscénités et porcheries sans peur ni sentiment de culpabilité. Est-ce parce que les mots dans tel cas perdent de leur poids et deviennent lestes et donc peu engageants ? Est-ce parce que l’on pense, quand on use de cette langue (étrangère ? ou perçue ou voulue comme étrangère ?), que la censeur ne nous comprend pas et donc ne peut nous poursuivre ? Est-ce que le péché ou le délit ont-ils une langue et cette langue est-elle l’arabe ? Est-ce tout ça ensemble qui fait de l’Algérien une aberration linguistique et morale ? De toute façon la particularité de la langue des algériens n’est un mystère pour personne. Depuis plus d’un siècle les deux langues française et algérienne (arabe et berbère confondues) se côtoient dans le même homo berbericus et agissent en lui, dans ses profondeurs créant un registre unique. Les deux langues sont devenues complémentaires et au besoin complices : ce que l’une bâillonne, l’autre l’explicite. Si nous avons à notre disposition une langue en plus, le français en l’occurrence qui n’est jamais de trop, la tentation de remanier le tout sera encore plus grande et le désir de re-voir l’œuvre à la lumière de la nouvelle langue, encore plus pressant. Smari Abdelmalek Citer Link to post Share on other sites
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