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Rachid Bellil I


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L'idée d'autonomie auprès de Kabyles vivants dans une banlieue parisienne

 

La formulation de l'idée d'une nécessaire autonomisation de la Kabylie par rapport au pouvoir central algérien par des intellectuels, des hommes politiques et des militants originaires de cette région suscite un début de débat y compris dans la presse algérienne.

Dans le sillage de cette idée d'autonomie apparaissent d'autres notions dont le sens ne paraît pas clairement explicite ;

on entend ainsi parler de "peuple" et de "pays" kabyles, de minorité voire même d'ethnie kabyle, de droit à l'autodétermination populaire ou de référendum.

 

Le débat semble bel et bien lancé, mais plutôt qu'une réflexion sur toutes ces notions, réflexion dont tout le monde perçoit la nécessité pour couper court à toute interprétation erronée ou tendancieuse, il nous a paru plus opportun de tenter d'apprécier l'impact de cette idée.

Nous avons ainsi pensé qu'il serait intéressant d'interroger des Kabyles sur leur perception de l'idée d'autonomie de la Kabylie.

 

Il ne s'agit ni d'une enquête ni même d'un sondage d'opinion mais plutôt d'une série de discussions autour de l'idée d'autonomie.

Les personnes interrogées résident à Saint-Denis dans la banlieue parisienne ; certains sont nés en France et d'autres viennent à peine de déposer leurs valises.

 

Les réponses que nous avons pu recueillir peuvent être classées dans deux catégories : 1er ceux qui sont contre l'idée d'une autonomie de la Kabylie ou qui restent septiques et, 2ème ceux qui y sont favorables.

 

1- Opposition / scepticisme vis-à-vis de l'autonomie

 

L'âge joue ici un rôle important dans la mesure où les personnes ayant vécu la guerre de libération (1954-62) refusent absolument l'idée d'autonomie de la Kabylie qui consisterait, selon eux, à se détourner de la Nation algérienne. On ajoute souvent que la Kabylie, qui a payé un lourd tribu aussi bien en vies humaines qu'en destructions matérielles (habitations saccagées, villages détruits, propriétés dévastées) et dont l'engagement nationaliste de plusieurs générations de militants fut profond et généreux, trahirait la mémoire de tous ceux qui sont tombés durant cette guerre pour l'indépendance de toute l'Algérie, si elle se retirait de la scène politique nationale pour se replier sur elle-même.

Concernant le pouvoir central ou l'Etat (líukuma) qui sont fermement condamnés aussi bien pour leur politique générale que pour l'opposition à la revendication culturelle berbère ou encore, dernièrement, pour la répression violente en Kabylie (printemps 2001) certains considèrent que revendiquer l'autonomie de la Kabylie reviendrait à laisser le champ libre à des indus occupants et à abandonner leurs droits sur la souveraineté nationale.

Ainsi, un ancien militant de la Fédération de France du FLN nous répond : " Comment nous replier sur la Kabylie et leur laisser le reste de l'Algérie qui appartient à tous et d'abord à nous Berbères, les véritables autochtones de ce pays ? C'est comme si tu laissais ta maison à quelqu'un d'autre pour passer la nuit dans la cour. "

 

On remarquera également que la permanence de l'attachement au nationalisme algérien se trouve combiné aussi bien à un refus d'établir des distinctions à l'intérieur du peuple algérien (" Il n'y a pas de Kabyles ou d'Arabes, ça c'est la politique colonialiste de division ") qu'à un attachement à l'idée berbériste (" Les Kabyles ne doivent pas se détourner et s'isoler de leurs frères des autres régions berbères d'Algérie et d'Afrique du Nord ").

 

Il faut enfin signaler que cette position n'est pas le propre des "Anciens" qui sont profondément marqués par le combat anticolonial ;

ces idées sont encore exprimées par des individus nés après l'indépendance de l'Algérie mais qui (surtout en France ?) véhiculent ce genre de vision nationaliste qui interdit de penser les réalités concrètes vécues dans les différentes régions d'Algérie et surtout en Kabylie.

 

L'autre argument défavorable à l'idée de l'autonomie de la Kabyle est l'argument économique.

On peut dire que c'est peut-être sur ce plan que les Kabyles ont le plus intériorisé une vision ou une image négative de leur région : " Et de quoi est-ce qu'on vivrait ? nous ne produisons que des olives et des figues... c'est vrai que nous avons aussi des figues de Barbarie (akermus)!" ; ou encore "

En Kabylie il n'y a que des montagnes et des pierres, où est-ce que tu pourrais développer l'industrie ou une agriculture moderne ? ".

Un autre : " Si la Kabylie pouvait nourrir ses enfants on l'aurait su depuis longtemps.

La seule ressource de la Kabylie c'est l'homme et celui-ci est condamné à s'expatrier pour vivre et faire vivre sa famille décemment."

 

Cette image d'une Kabyle pauvre incapable de s'auto-suffire justifie la nécessité de l'émigration qui condamne la région à se dépeupler mais aussi la permanence du lien avec le pouvoir central qui répartit les ressources :

" Il est hors de question que la Kabylie n'ait pas sa part des revenus du pétrole ! ".

Et lorsque l'on fait remarquer que jusqu'à présent la Kabylie n'a pas tellement "bénéficié" de la manne pétrolière et que c'est surtout grâce à leurs enfants émigrés que les Kabyles restés au pays survivent, la réponse est toujours la même :

" Raison de plus de ne pas se détourner du reste du pays, le problème principal est le remplacement de ce Pouvoir corrompu dont les membres ne pensent qu'à remplir leurs poches."

 

Après plus d'un siècle d'émigration de plus en plus accélérée qui n'a d'abord touché que quelques individus puis les hommes d'une même famille pour culminer avec le départ de familles entières, il est clair que le rapport des Kabyles à leur région est profondément marqué par cette nécessité vitale "d'avoir un pied ailleurs, en dehors de la Kabylie".

Il est vrai qu'à cette dure nécessité les Kabyles ont répondu en se forgeant une image idéale du pays kabyle, qui est devenu le lieu où l'on retourne périodiquement et où l'on retrouve une certaine intériorité (le lieu où l'on est entre soi) qui n'existe pas ailleurs.

Cette contradiction (ou cette ambiguïté) est ce qui tiraille les Kabyles quand il est question de se projeter sur le pays :

on voudrait bien mais on est tellement convaincu que ce serait à perte que l'on hésite.

 

Si, pour les Kabyles établis en dehors de la Kabylie (ceux qui sont établis dans les autres villes et villages d'Algérie ou en France et ailleurs dans le vaste monde) on a déjà tranché en se partageant entre le pays d'origine et le pays qui fait vivre, pour ceux qui continuent de vivre en Kabylie (et surtout les jeunes, garçons et filles) il n'est pas sûr qu'ils ne soient taraudés par ce besoin de partir ailleurs ;

et dans les cafés de Saint-Denis nos interlocuteurs n'ont cessé de nous présenter des jeunes et des moins jeunes qui venus en France avec un visa d'un mois ont décidé de rester quitte à devenir des "sans papiers".

Au besoin économique il faut ainsi ajouter un autre besoin qui se fait de plus en plus sentir parmi les jeunes générations, la nécessité d'échapper à la " mal vie" que produit l'Algérie actuelle et la conscience que la réalisation de ses propres objectifs ne peut se faire qu'ailleurs.

Sur ce plan, il est incontestable que la fin de l'émigration légale vers l'extérieur combinée à la crise de l'emploi en Algérie qui interdit aux jeunes kabyles d'espérer trouver un emploi en dehors de leur région débouchent sur des effets ravageurs avec l'idée d'un blocage total, le sentiment d'une perte de confiance dans l'avenir ainsi que toutes les dérives nihilistes qui guettent des jeunes sans formation politique réelle.

 

Il est clair qu'avec une situation aussi négative à la base, l'idée d'autonomie implique pratiquement une révolution des mentalités des jeunes kabyles restés au pays, confrontés à une réalité déshumanisante et à un pouvoir autiste qui leur tourne le dos.

 

Autre argument économique défavorable à l'idée d'autonomie de la Kabylie : que deviendront les Kabyles installés depuis des générations dans d'autres régions d'Algérie.

Quelles seront les réactions des habitants de ces villes vis-à-vis de ces Kabyles qui demandent leur autonomie ?

Le pouvoir ne sera-t-il pas tenté de développer la haine des Kabyles et de pousser ces populations à se venger sur ces commerçants, ces travailleurs ou fonctionnaires kabyles qui perdraient ainsi tous leurs biens patiemment accumulés ?

 

Le troisième "argument" défavorable à cette idée d'autonomie de la Kabylie est celui de la culture politique ou mieux des mœurs politiques des Kabyles. L'idée n'est pas neuve mais elle revient avec insistance :

les Kabyles cultivent la division, ils sont incapables de s'unir autour d'un minimum commun.

En d'autres termes : "L'autonomie cela serait bien, mais les Kabyles sont-ils capables de se gérer eux-mêmes ?

" Lorsque l'on évoque cette organisation qui s'appuie sur les "ârch" et qui semble tenir tête au pouvoir, les réponses se font évasives :

" Oui, c'est vrai, mais combien de temps vont-ils tenir encore ", ou bien " Ils commencent à se diviser, le pouvoir ne les laissera jamais aller au bout de leur logique, ils sont infiltrés, peut-être même manipulés..."

 

Ajoutons, enfin, que la situation de crise généralisée et de violence exacerbée que vit l'Algérie depuis au moins une décennie paralyse les consciences.

" Ce n'est pas le moment d'ajouter des problèmes, la population est saturée et n'aspire qu'à retrouver la paix.

Lorsque la situation générale sera rétablie, alors nous pourrons débattre de questions nouvelles et entre autres de cette autonomie de la Kabylie ".

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