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Qui est Edgar Morin


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Bonjour

faisaon connaissance avec Edgar miorin

 

Antoine SPIRE. —Edgar Morin, est-il seulement besoin de vous

présenter ? Ce que l’on peut dire de vous, d’abord, c’est que vous

avez été résistant — une résistance qui vous a conduit au Parti

Communiste, dont vous êtes vite sorti en 1951, puis vous avez

écrit une série de livres qui font de vous un esprit protée. Vous

êtes un homme, nous allons le voir aujourd’hui, capable de parler

à la fois de sciences, de philosophie et de politique. Finalement,

on a l’impression qu’aucun domaine ne vous a échappé.

Un confrère journaliste a dit de vous : « C’est le Magellan aux

quatre coins de la pensée. »

Alors « Magellan aux quatre coins de la pensée » est notre

invité, et pour discuter avec lui, Anne Laurent, de la revue Esprit,

Michel Field de Télérama et France Culture et Frédéric Ferney du

Figaro.

Edgar Morin, est-ce possible, au XXe siècle, d’être cet homme

protée ? Est-ce que cela a un sens d’être ce que Léonard de Vinci

a été à la Renaissance ? D’ailleurs vous parlez dans un de vos

livres — si mes souvenirs sont bons, je crois que c’est dans le livre

sur l’Europe — d’une nouvelle Renaissance. À vos yeux, il y a une

nouvelle Renaissance et le héros de la nouvelle Renaissance, c’est

vous. Au fond, vous êtes l’homme qui essaie de couvrir tous les

champs. Est-ce que ce n’est pas un pari impossible au XXe siècle ?

Edgar MORIN. —Je ne me suis jamais posé comme héros en

quoi que ce soit ; la question est de savoir si la mission est possible

ou non, cela ne peut se vérifier que dans les résultats. J’ai

une fois entendu un critique dire à un auteur : « Si tu ne te plantes

pas, ce sera super ! » Je pense que sur cette question si on ne

se « plante » pas, c’est très bien. Pourquoi ? Parce que les curiosités

fondamentales de tout être humain, ce que d’ailleurs

exprime bien notre culture, celle des humanités, qu’exprimaient

aussi bien Pascal, Descartes, Montaigne, La Bruyère,

etc., c’est d’essayer de nous situer, nous les hommes, dans le

monde, de nous connaître dans l’univers, dans la société. Or,

aujourd’hui, les connaissances arrivent par les sciences, biologiques,

physiques, sociales. Est-ce qu’il est interdit, vraiment,

de réfléchir là-dessus ? Actuellement, sort le livre de Stephen

Hawkins sur l’univers, le cosmos, alors que faut-il faire ? N’en

pas tenir compte ? Il y a les livres de Reeves, d’Hawkins, de

Schatzman, etc. Est-ce que l’on n’a pas le droit de réfléchir làdessus

? Moi, je ne suis pas touche-à-tout dans ces sciences, je

ne touche pas les objets des laboratoires, ni les microscopes, ni

les télescopes, mais j’ai le droit de réfléchir sur les théories.

Maintenant, c’est le résultat qui compte ! J’ai écrit un livre sur

l’hominisation, il y a maintenant plus de quinze ans, il faut voir

si ça « tient » ou si ça ne « tient » pas ! Dans La Méthode, je puise

à des sources scientifiques, en disant si c’est vrai ou si c’est faux.

Les sciences sont aussi un pari difficile, on risque de se planter.

J’ajouterai que tout le monde est « touche-à-tout », nous avons

tous des idées sur l’amour, sur l’univers, sur la mort, sur les femmes,

sur le sexe, sur tout ! Seulement, nous les avons, « comme

ça », en improvisant ; moi, j’essaie d’alimenter mes idées en

allant aux sources, c’est tout !

Antoine SPIRE. —Votre projet est surtout d’articuler tout ça.

Vous expliquez dans Pour sortir du XXe siècle qu’il faut utiliser

toutes les grilles d’interprétation de la réalité, les articuler les

unes avec les autres pour, effectivement, essayer de comprendre

l’ensemble de la réalité. Est-ce possible ?

Frédéric FERNEY. —Nous avons la chance d’avoir Edgar

Morin avec nous, oui, mais lequel ? L’impétueux ou le débonnaire,

le boulimique ou le marginal, le sociologue ou le savant,

l’ancien communiste ou l’ancien résistant, ou le soixante-huitard

new left ? Edgar Morin, oui, mais lequel est avec nous

aujourd’hui ?

Edgar MORIN. —Chacun a plusieurs personnalités, tantôt

l’une domine et met les autres un peu dans le placard. C’est à

vous de savoir si vous allez susciter telle ou telle personnalité,

pour le moment je reste polyscopique, nous allons voir ce qui

va se passer…

Anne LAURENT. —Il me semble qu’au fond ce n’est pas le mot

de sociologue qui vous ressemble le plus, même si c’est une définition

comme une autre, mais plutôt analyste, vous êtes un analyste.

Vous avez un noeud gordien, et au lieu de le trancher —

probablement par une certaine humilité — vous faites comme

une tricoteuse avec sa laine, vous tirez les fils et une fois que le

noeud est étalé, vous constatez que c’est un labyrinthe. Sans

donner aucune solution, mais en montrant le labyrinthe. Pourquoi,

éternel étudiant, vous avez toujours été un apprenti sorcier

— parce qu’une fois que l’on a le labyrinthe, on est bien

embêté ! —et pourquoi ne vous êtes-vous jamais autorisé à

devenir grand sorcier comme la plupart de vos collègues ?

C’est-à-dire en fournissant au moins quelques hypothèses,

quelques concepts, quelques théories, même éphémères, mais

sur lesquelles on puisse se réconforter un moment.

Edgar MORIN. —J’ai fait quelques essais théoriques, mais actuellement

on me connaît plus sous un autre aspect ; par exemple, il

y a un article de Leroy-Ladurie sur ce livre (il montre Vidal et les

siens) disant : « On retrouve le très bon Edgar Morin de Plozévet,

des Stars, etc. », il est évident que pour lui, comme pour beaucoup

de gens, mon effort de La Méthode est une erreur ou une déviation.

Frédéric FERNEY. —Il est vrai que le dernier Edgar Morin, c’est

plutôt l’Edgar Morin affectif, le fils de Vidal Nahum, c’est

encore un Edgar Morin que l’on n’attendait pas.

Antoine SPIRE. —Il faut dire que vous venez de sortir Vidal et

les siens, qui est une réflexion sur votre père, sur cet homme

mort à 91 ans. Cela donne de vous une image étonnante, parce

que je me sens contraint de faire le lien avec un des premiers

livres qui a fait sensation, Autocritique, votre réflexion sur votre

adhésion au Parti Communiste français, où vous abordiez aussi

ces problèmes affectifs. J’ai un souvenir très brûlant de ce que

vous disiez sur la solitude de l’homme qui quitte un appareil,

une manière de penser collective. Dans Vidal et les siens, on

retrouve, non pas la solitude, mais la solitude du père et la difficulté

de rapport entre le père et le fils.

Edgar MORIN. —J’ai fait Autocritique pour essayer de comprendre

pour quelles raisons je suis devenu communiste, en pleine

guerre mondiale, alors que rien dans ma culture et dans ma

forme d’esprit ne me prédisposait à devenir stalinien, puis de

quelle façon je me suis déconverti. Pour l’expliquer, j’ai évidemment

parlé de nombreuses étapes de ma vie, mais ce n’est pas une

vraie autobiographie. Dans Vidal et les siens, je suis parti d’une

sorte d’exigence profonde qui s’est imposée à moi, après la mort

de mon père ; il voulait donner son corps à la médecine, c’est-àdire

disparaître dans ses dernières traces physiques ; quelque

chose en moi s’est révolté contre ce fait et j’ai voulu restituer sa

vie. Il est évident que je ne fais pas la biographie d’un individu,

j’ai voulu parler des siens, de son ascendance, de ces juifs sépharades.

J’ai voulu parler d’un phénomène qui est l’acculturation,

c’est-à-dire comment on devient français, comment on devient

occidental en partant de l’Orient, sans cesser d’être oriental.

Mon regard fut celui de quelqu’un qui aime pratiquer les sciences

humaines, la sociologie, l’histoire, la psychologie —tout ça

est très lié — alors, je l’ai fait à ma façon. Ce livre respecte la vie

de quelqu’un et essaie de la comprendre à travers son ascendance,

mais aussi sa descendance, c’est-à-dire pas seulement

moi, mais encore les petits-enfants qu’il a eus.

Michel FIELD. —J’aimerais mettre ce livre en rapport avec la

première question d’Antoine Spire sur l’aspect épistémologique

de votre travail. Ce livre affectif où, d’un certain point de

vue, vous allez à la recherche de votre propre identité, ne recèlet-

il pas l’aveu d’une contradiction que vous n’assumeriez pas

totalement, entre votre travail théorique, qui a toujours consisté

à jouer le mouvement contre les séparations disciplinaires,

à jouer la frontière, à jouer la complexité, c’est-à-dire, finalement,

à travailler sur des domaines théoriques où la notion

même d’identité était au coeur d’une critique. Autrement dit,

est-ce qu’il n’y a pas dans ce livre comme un aveu conscient ou

inconscient d’un besoin de construire son identité, de

s’enraciner ? Moi, j’ai lu votre livre, avec toute la part personnelle

et affective qu’il contient, comme une sorte d’aveu que

votre position théorique n’était pas tenable, jusqu’au bout,

pour un individu.

Edgar MORIN. —Vous pouvez le voir sous cet angle-là, mais

moi, je peux le voir sous un autre angle. Par exemple, dans tout

ce que j’ai écrit, et notamment dans Autocritique, écrit en 1958,

j’ai toujours formellement dit que l’observateur doit s’observer

lui-même dans son observation. C’est ce point de vue que j’ai

pris pour raconter ma propre histoire dans le monde politique.

Cette même idée, je l’ai eue dans le domaine de l’histoire : j’ai

toujours pensé, et écrit, que l’historien doit s’historiser quand

il regarde l’histoire. Nous le savons aujourd’hui pour la Révolution

française, où toute vue de la Révolution française dépend

des expériences vécues par la génération qui écrit le livre. Dans

La Méthode, une des idées clés est de dire qu’aujourd’hui il n’y a

pas de connaissance sans que le connaissant essaie de se connaître

et de se situer. De plus, pour moi, la notion de sujet est

une notion absolument clé, et j’ai fait un effort pour définir

cette notion.

Antoine SPIRE. —Edgar Morin, vous ne répondez pas bien !

Edgar MORIN. —Attendez, j’essaie…

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mais nombreux connaissent Edgar Morin. Tout au plus, n'est pas lui qui anime l'émission de radio "Là-bas si j'y suis" et s'était fait poursuivre en justice pour avoir critiquer Israël?

 

aucune idé j'ai entendu se dire des choses mais pas sure ABSO

 

mais il bouge ce bougre

 

mais regarde voir là

 

COMPLEXITE EN CONSCIENCE ? IN EXTENSO

 

 

Cet article (initialement publié dans le Monde du 4 juin 2002), a fait l'objet dans quelques médias de procès d'intentions. En le publiant dans cette rubrique, nous souhaitons permettre au citoyen attentif de disposer du texte authentique in extenso.

 

 

Edgar MORIN

 

Avec S. Nair et D. Sallenave

 

Israël-Palestine : Le cancer

 

Le cancer israélo-palestinien s'est formé à partir d'une pathologie territoriale : la formation de deux nations sur une même contrée, source de deux pathologies politiques, l'une née de la domination, l'autre de la privation. Il s'est développé d'une part en se nourrissant de l'angoisse historique d'un peuple persécuté dans le passé et de son insécurité géographique, d'autre part du malheur d'un peuple persécuté dans son présent et privé de droit politique.

 

 

La justification.

Israël-Palestine : Le cancer - Edgar MORIN avec S. Nair et D. Sallenave

 

et il y a çà aussi

 

Edgar Morin - Antisémitisme, antijudaïsme, anti-israélismeAntisémitisme, antijudaïsme, anti-israélisme. Edgar Morin. Le Monde ... Comme Israël est un Etat juif, et comme une grande partie des juifs de la diaspora, ...

Edgar Morin - Antisémitisme, antijudaïsme, anti-israélisme

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Antisémitisme, antijudaïsme, anti-israélisme

 

Edgar Morin

 

Le Monde

 

Le Jeudi 19 Février 2004

 

 

 

 

edgar_morin.jpgedgar morin

 

IL Y A des mots qu'il faut réinterroger ; ainsi le mot antisémitisme. En effet, ce mot a remplacé l'antijudaïsme chrétien, lequel concevait les juifs comme porteurs d'une religion coupable d'avoir condamné Jésus, c'est-à-dire, si absurde que soit l'expression pour ce Dieu ressuscité, coupable de déicide.

 

L'antisémitisme, lui, est né du racisme et conçoit les juifs comme ressortissants d'une race inférieure ou perverse, la race sémite. A par- tir du moment où l'antijudaïsme s'est développé dans le monde arabe, lui-même sémite, l'expression devient aberrante et il faut revenir à l'idée d'antijudaïsme, sans référence désormais au "déicide".

 

Il y a des mots qu'il faut distinguer, comme l'antisionisme de l'anti-israélisme, ce qui n'empêche pas qu'il s'opère des glissements de sens des uns aux autres. En effet, l'antisionisme dénie non seulement l'installation juive en Palestine, mais essentiellement l'existence d'Israël comme nation. Il méconnaît que le sionisme, au siècle des nationalismes, correspond à l'aspiration d'innombrables juifs, rejetés des nations, à constituer leur nation.

 

Israël est la concrétisation nationale du mouvement sioniste. L'anti-israélisme a deux formes ; la première conteste l'installation d'Israël sur des terres arabes, se confond avec l'antisionisme, mais en reconnaissant implicitement l'existence de la nation israélienne. La seconde est partie d'une critique politique devenant globale de l'attitude du pouvoir israélien face aux Palestiniens et face aux résolutions de l'ONU qui demandent le retour d'Israël aux frontières de 1967.

 

Comme Israël est un Etat juif, et comme une grande partie des juifs de la diaspora, se sentant solidaires d'Israël, justifient ses actes et sa politique, il s'opéra alors des glissements de l'anti-israélisme à l'antijudaïsme. Ces glissements sont particulièrement importants dans le monde arabe et plus largement musulman où l'antisionisme et l'anti-israélisme vont produire un antijudaïsme généralisé.

 

Y a-t-il un antijudaïsme fran- çais qui serait comme l'héritage, la continuation ou la persistance du vieil antijudaïsme chrétien et du vieil antisémitisme européen ? C'est la thèse officielle israélienne, reprise par les institutions dites communautaires et certains intellectuels juifs.

 

Or il faut considérer que, après la collaboration des antisémites français avec l'occupant hitlérien, puis la découverte de l'horreur du génocide nazi, il y eut affaiblissement par déconsidération du vieil antisémitisme nationaliste-raciste ; il y eut, parallèlement, suite à l'évolution de l'Eglise catholique, dépérissement de l'antijudaïsme chrétien qui faisait du juif un déicide, puis l'abandon de cette imputation grotesque. Certes, il demeure des foyers où l'ancien antisémitisme se trouve ravivé, des résidus des représentations négatives attachées aux juifs restés vivaces dans différentes parties de la population ; il persiste enfin dans l'inconscient français des vestiges ou des racines de "l'inquiétante étrangeté" du juif, ce dont a témoi- gné l'enquête La Rumeur d'Orléans (1969) dont je suis l'auteur.

 

Mais les critiques de la répression israélienne, voire l'anti-israélisme lui-même ne sont pas les produits du vieil antijudaïsme.

 

On peut même dire qu'il y eut en France, à partir de sa création accompagnée de menaces mortelles, une attitude globalement favorable à Israël. Celui-ci a été d'abord perçu comme nation- refuge de victimes d'une horrible persécution, méritant une sollicitude particulière. Il a été, en même temps, perçu comme une nation exemplaire dans son esprit communautaire incarné par le kibboutz, dans son énergie créatrice d'une nation moderne, unique dans sa démocratie au Moyen-Orient. Ajoutons que bien des sentiments racistes se sont détournés des juifs pour se fixer sur les Arabes, notamment pendant la guerre d'Algérie, ce qui a bonifié davantage l'image d'Israël.

suite

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Suite et fin

 

La vision bienveillante d'Israël se transforma progressivement à partir de 1967, c'est-à-dire l'occupation de la Cisjordanie et de Gaza, puis avec la résistance palestinienne, puis avec la première Intifada, où une puissante armée s'employa à réprimer une révolte de pierres, puis avec la seconde Intifada qui fut réprimée par violences et exactions disproportionnées. Israël fut de plus en plus perçu comme Etat conquérant et oppresseur. La formule gaullienne dénoncée comme antisémite, "peuple dominateur et sûr de lui", devint truisme. La poursuite des colonisations qui grignotent sans cesse les territoires palestiniens, la répression sans pitié, le spectacle des souffrances endurées par le peuple palestinien, tout cela détermina une attitude globalement négative à l'égard de la politique de l'Etat israélien, et suscita un anti-israélisme dans le sens politique que nous avons donné à ce terme. C'est bien la politique d'Israël qui a suscité et amplifié cette forme d'anti-israélisme, et non la résurgence de l'antisémitisme européen. Mais cet anti-israélisme a très peu dérivé en antijudaïsme dans l'opinion française.

 

Par contre, la répression israélienne et le déni israélien des droits palestiniens produisent et accroissent les glissements de l'anti-israélisme vers l'antijudaïsme dans le monde islamique. Plus les juifs de la diaspora s'identifient à Israël, plus on identifie Israël aux juifs, plus l'anti-israélisme devient antijudaïsme. Ce nouvel antijudaïsme musulman reprend les thèmes de l'arsenal antijuif européen (complot juif pour dominer le monde, race ignoble) qui criminalise les juifs dans leur ensemble. Cet antijudaïsme s'est répandu et aggravé, avec l'aggravation même du conflit israélo-palestinien, dans la population française d'origine arabe et singulièrement dans la jeunesse.

 

De fait, il y a non pas pseudo-réveil de l'antisémitisme européen, mais développement d'un antijudaïsme arabe. Or, plutôt que reconnaître la cause de cet antijudaïsme arabe, qui est au cœur de la tragédie du Moyen-Orient, les autorités israéliennes, les institutions communautaires et certains intellectuels juifs préfèrent y voir la preuve de la persistance ou renaissance d'un indéracinable antisémitisme européen.

Dans cette logique, toute critique d'Israël apparaît comme antisémite. Du coup, beaucoup de juifs se sentent persécutés dans et par cette critique. Ils sont effectivement dégradés dans l'image d'eux-mêmes comme dans l'image d'Israël qu'ils ont incorporée à leur identité. Ils se sont identifiés à une image de persécutés ; la Shoah est devenue le terme qui établit à jamais leur statut de victimes, de gentils ; leur conscience historique de persécutés repousse avec indignation l'image répressive de Tsahal que donne la télévision. Cette image est aussitôt remplacée dans leur esprit par celle des victimes des kamikazes du Hamas, qu'ils identifient à l'ensemble des Palestiniens. Ils se sont identifiés à une image idéale d'Israël, certes seule démocratie dans un entourage de dictatures, mais démocratie limitée, et qui, comme l'ont fait bien d'autres démocraties, peut avoir une politique coloniale détestable. Ils se sont assimilés avec bonheur à l'interprétation bibliquement idéalisée qu'Israël est un peuple de prêtres.

 

Ceux qui sont solidaires inconditionnellement d'Israël se sentent persécutés intérieurement par la dénaturation de l'image idéale d'Israël. Ce sentiment de persécution leur masque évidemment le caractère persécuteur de la politique israélienne.

 

Une dialectique infernale est en œuvre. L'anti-israélisme accroît la solidarité entre juifs de la diaspora et Israël. Israël lui-même veut montrer aux juifs de la diaspora que le vieil antijudaïsme européen est à nouveau virulent, que la seule patrie des juifs est Israël, et par là même a besoin d'exacerber la crainte des juifs et leur identification à Israël.

 

Ainsi les institutions des juifs de la diaspora entretiennent l'illusion que l'antisémitisme européen est de retour, là où il s'agit de paroles, d'actes ou d'attaques émanant d'une jeunesse d'origine islamique issue de l'immigration. Mais, comme dans cette logique, toute critique d'Israël est antisémite, il apparaît aux justificateurs d'Israël que la critique d'Israël, qui se manifeste de façon du reste fort modérée dans tous les secteurs d'opinion, apparaît comme une extension de l'antisémitisme. Et tout cela, répétons-le, sert à la fois à occulter la répression israélienne, à israéliser davantage les juifs, et à fournir à Israël la justification absolue. L'imputation d'antisémitisme, dans ces cas, n'a pas d'autre sens que de protéger Tsahal et Israël de toute critique.

 

Alors que les intellectuels d'origine juive, au sein des nations de gentils, étaient animés par un universalisme humaniste, qui contredisait les particularismes nationalistes et leurs prolongements racistes, il s'est opéré une grande modification depuis les années 1970. Puis la désintégration des universalismes abstraits (stalinisme, trotskisme, maoïsme) a déterminé le retour d'une partie des intellectuels juifs ex-stals, ex-trotskos, ex-maos, à la quête de l'identité originaire. Beaucoup de ceux, notamment intellectuels, qui avaient identifié l'URSS et la Chine à la cause de l'humanité à laquelle ils s'étaient eux-mêmes identifiés se reconvertissent, après désillusion, dans l'israélisme.

 

Les intellectuels dé-marxisés se convertissent à la Torah. Une intelligentsia juive se réfère désormais à la Bible, source de toutes vertus et de toute civilisation, pensent-ils. Passant de l'universalisme abstrait au particularisme juif, apparemment concret mais lui-même abstrait à sa manière (car le judéocentrisme s'abstrait de l'ensemble de l'humanité), ils se font les défenseurs et illustrateurs de l'israélisme et du judaïsme, apportant leur dialectique et leurs arguments pour condamner, comme idéologiquement perverse et évidemment antisémite, toute attitude en faveur des populations palestiniennes. Ainsi bien des esprits désormais judéocentrés ne peuvent aujourd'hui comprendre la compassion si naturelle ressentie pour les malheurs des Palestiniens. Ils y voient non pas une évidente réaction humaine, mais l'inhumanité même de l'antisémitisme.

 

La dialectique des deux haines, celle des deux mépris, le mépris du dominant israélien sur l'Arabe colonisé, mais aussi le nouveau mépris antijuif nourri de tous les ingrédients de l'antisémitisme européen classique, cette double dialectique entretient, amplifie et répand les deux haines et les deux mépris.

 

Le cas français est significatif. En dépit de la guerre d'Algérie et de ses séquelles, en dépit de la guerre d'Irak et en dépit du conflit israélo-palestinien, juifs et musulmans ont longtemps coexisté en paix en France. Une rancœur sourde contre les juifs, identifiés à Israël, couvait dans la jeunesse d'origine maghrébine. De leur côté, les institutions juives dites communautaires entretenaient l'exception juive au sein de la nation française et la solidarité inconditionnelle à Israël. L'aggravation du cycle répression-attentats a déclenché des agressions physiques et a fait passer l'antijudaïsme mental à l'acte le plus virulent de haine, l'atteinte au sacré de la synagogue et des tombes. Mais cela conforte la stratégie du Likoud : démontrer que les juifs ne sont pas chez eux en France, que l'antisémitisme est de retour, les inciter à partir en Israël.

 

Avec l'aggravation de la situation en Israël-Palestine, la double intoxication, l'antijuive et la judéocentrique, va se développer partout où coexistent populations juives et musulmanes.

 

Il est clair que les Palestiniens sont les humiliés et offensés d'aujourd'hui, et nulle raison idéologique ne saurait nous détourner de la compassion à leur égard. Certes, Israël est l'offenseur et l'humiliant. Mais il y a dans le terrorisme anti-israélien devenant anti-juif l'offense suprême faite à l'identité juive : tuer du juif, indistinctement, hommes, femmes, enfants, faire de tout juif du gibier à abattre, un rat à détruire, c'est l'affront, la blessure, l'outrage pour toute l'humanité juive. Attaquer des synagogues, souiller des tombes, c'est-à-dire profaner ce qui est sacré, c'est considérer le juif comme immonde. Certes, une haine terrible est née en Palestine et dans le monde islamique contre les juifs. Or cette haine, si elle vise la mort de tout juif, comporte une offense horrible. L'antijudaïsme qui déferle prépare un nouveau malheur juif. Et c'est pourquoi, de façon infernale encore, les humiliants et offensants sont eux-mêmes des offensés et redeviendront des humiliés. Pitié et commisération sont déjà submergées par haine et vengeance. Que dire dans cette horreur, sinon la triste parole du vieil Arkel dans Pelléas et Mélisande de Maeterlinck : "Si j'étais Dieu, j'aurais pitié du cœur des hommes" ?

 

Y a-t-il une issue ? L'issue serait effectivement dans l'inversion de la tendance : c'est-à-dire la diminution de l'antijudaïsme par une solution équitable de la question palestinienne et une politique équitable de l'Occident pour le monde arabo-musulman. C'est bien une intervention au niveau international, comportant sans doute une force d'interposition entre les deux parties, qui serait la seule solution réelle. Mais cette solution réelle, et de plus, réaliste, est aujourd'hui totalement irréaliste. Que de tragédies encore, que de désastres en perspective, si l'on n'arrive pas à faire entrer le réalisme dans le réel.

 

 

* Edgar Morin est sociologue (Biographie)

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J'ai commis une erreur manifeste. L'émission de radio "Là-bas si j'y suis" est produite par Daniel Mermet. C'est donc, ce journaliste qui s'était fait poursuivre pour avoir critiquer en France. Il avait obtenu gain de cause néanmoins.

 

Je vous conseille vivement d'écouter cette émission sur France inter.

__________________________

 

 

Charlie Bauer : fractures d'une vie

(Série : Portraits)

 

 

Nouvelle diffusion du reportage de Pascale Pascariello.

 

Charlie Bauer a été condamné à 25 ans de prison pour vol en bande organisée. Il volait pour redistribuer dans les quartiers défavorisés de Marseille.

En prison, il continue de lutter en refusant les remises de peine, et en sortant il poursuit ce parcours. Bousculer les horizons, faire tomber les murs d’une prison, résister et s’engager pour défendre la dignité de l’homme et sa liberté. Charlie Bauer, révolutionnaire, anarchiste, robin des bois des temps modernes ou simple militant.

25 ans de prison, donc, et... 8 tentatives d’évasions, histoire d’une vie vouée à la lutte.

 

 

source: France Inter - Là-bas, si j'y suis

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J'ai commis une erreur manifeste. L'émission de radio "Là-bas si j'y suis" est produite par Daniel Mermet. C'est donc, ce journaliste qui s'était fait poursuivre pour avoir critiquer en France. Il avait obtenu gain de cause néanmoins.

 

Je vous conseille vivement d'écouter cette émission sur France inter.

__________________________

 

 

Charlie Bauer : fractures d'une vie

(Série : Portraits)

 

 

Nouvelle diffusion du reportage de Pascale Pascariello.

 

Charlie Bauer a été condamné à 25 ans de prison pour vol en bande organisée. Il volait pour redistribuer dans les quartiers défavorisés de Marseille.

En prison, il continue de lutter en refusant les remises de peine, et en sortant il poursuit ce parcours. Bousculer les horizons, faire tomber les murs d’une prison, résister et s’engager pour défendre la dignité de l’homme et sa liberté. Charlie Bauer, révolutionnaire, anarchiste, robin des bois des temps modernes ou simple militant.

25 ans de prison, donc, et... 8 tentatives d’évasions, histoire d’une vie vouée à la lutte.

 

 

source: France Inter - Là-bas, si j'y suis

 

merci abso

 

par contre tu vieillis alors que par habitude tu me tutois

 

tu me rajeuni pas em me vouvoyant

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