El-Guerroumi 10 Posted August 23, 2011 Partager Posted August 23, 2011 L'ISLAMISATION N'EST PAS L'ARABISATION Il importe, en premier lieu, de distinguer l'Islam de l'arabisme. Certes, ces deux concepts, l'un religieux, l'autre ethnosociologique, sont très voisins l'un de l'autre puisque l'Islam est, né chez les Arabes et qu'il fut, au début, propagé par eux, encore qu'il existe des populations arabes ou arabisées qui sont demeurées chrétiennes (Syrie, Liban, Palestine, Iraq, Egypte), et des millions de musulmans qui ne sont ni arabes ni même arabisés (Noirs africains, Berbères, Turcs, Kurdes, Albanais, Iraniens, Afghans, Pakistanais, Indonésiens...). Tous les Berbères auraient pu, comme les Perses et les Turcs, être islamisés en restant eux même si conservant leur langue, leur organisation sociale, leur culture. En théorie, cela leur aurait été même plus facile, puisqu'ils étaient plus h6mbreux que certaines populations qui ont conservé leur identité au sein de l'U ma musulmane, et qu'ils étaient plus éloignés du foyer initial de l'Islam. Comment expliquer, parallèlement, que l'Africa, la Numidie et même les Maurétanies, qui avaient été évangélisées au même rythme que les autres provinces de l'Empire et qui possédaient des églises vigoureuses, aient été entièrement islamisées alors qu'aux portes mêmes de l'Arabie ont subsisté des populations chrétiennes: Coptes des pays du Nil, Maronites du Liban, Nestoriens et Jacobites de Syrie et d'Iraq ? LA FIN D'UN MONDE L'Islam, c'est un truisme, fut introduit, en Afrique comme au Proche-Orient, par la conquête arabe. Nous avons vu combien les épisodes de cette conquête sont mal connus, encombrés de récits légendaires destinés à mettre en valeur les exploits de guerriers placés à la tête de lignées puissantes. Certains récits d'Ibn Abd el Hakam ou d'En Noweiri ont déjà le souffle épique des chansons de geste. La conquête fut facilitée par la faiblesse des Byzantins. Le patrice Grégoire, qui fut vaincu et tué, la bataille de Suffetula (Sbeitla), s'était lui-même rebellé contre l'empereur de Constantinople. Depuis deux; siècles l'Afrique était la proie de l'anarchie ; tous les ferments de désorganisation et de destruction économique s'étaient rassemblés sur ce malheureux; pays. Depuis l'irruption des Vandales, la plus grande partie des anciennes provinces échappait à l'administration des Etats héritiers de Rome. Le royaume vandale, en Afrique, ne s'étendait qu'à la Tunisie actuelle et à une faible partie de l'Algérie orientale, limitée au Sud par l'Aurès et à l'Est par le méridien de Cirta. Or C. Courtois a montré, en exploitant les récits de Procope et de Corippus, que dès la fin du règne de Thrasamond, vers 520, les nomades chameliers, sous la conduite de Cabaon pénètrent en Byzacène. A partir de cette date, Vandales puis Byzantins doivent lutter constamment contre leurs incursions venues du Sud-Est. Au cours de cette lutte sans cesse renouvelée ils trouvent parfois des alliés parmi les chefs ou rois des populations montagnardes sédentaires ou semi-nomades, mais plus souvent encore ils doivent faire face à la coalition des deux groupes berbères, confondus sous le nom de Maures. Duc reste de l'Afrique, celle que C. Courtois avait appelée l'Afrique oubliée, nous ne connaissons, pour cette période de deux siècles, que des noms de chefs, de rares monuments funéraires comme les Djedars près de Saïda ou le Gour près de Meknès et les célèbres inscriptions de Masties à Arris (Aurès) et de Masuna à Altava (Oranie). On devine, à travers les bribes transmises par les historiens et par le contenu même de ces inscriptions, que l'insécurité n'était pas moindre dans ces régions " libérées ". Autre source d'anarchie et de décadence économique, la rupture, devant les Nomades, des ligues de défense et de contrôle. La disparition des zones de culture méridionales, qui fut plus tardive qu'on ne le pensait, fut une première atteinte à la vie sédentaire de l'arrière-pays. Les querelles théologiques enfin ne furent pas moins fortes chez les Chrétiens d'Afrique que chez ceux d'Orient. L'Eglise, qui avait eu tant de mal à lutter contre le donatisme, est affaiblie dans le royaume vandale par les persécutions, car l'Arianisme est devenu religion d'Etat, L'orthodoxie triomphe à nouveau dès le règne d'Hildéric (525). Au cours de cette période, non seulement de nombreux évêchés semblent avoir disparu mais surtout le particularisme provincial et le repliement accompagnent la rupture de l'Etat romain. La reconquête byzantine fut, en ce domaine, encore plus désastreuse. Elle réintroduisit en Afrique de nouvelles querelles sur la nature du Christ : le monophysisme et la querelle des Trois Chapitres, sous Justinien, ouvrent la période byzantine en Afrique, la tentative de conciliation proposée par Héraclius, Je monothélisme, à son tour condamné comme une "nouvelle hérésie, clôt cette même période. Alors même que la conquête arabe est commencée, une nouvelle querelle née de l'initiative de l'empereur ConStant Il, celle du Type, déchire encore l'Afrique chrétienne (648). En même temps s'accroît la complexité sociologique, voire ethnique, du pays, Aux Romano-africains, (Afariq des auteurs arabes) qui habitaient les villes et les campagnes, parfois très méridionales, comme la société paysanne que font connaître les Tablettes Albertini trouvées à une centaine de kilomètres au sud de Tébessa, et aux Maures non romanisés issus des gentes paléoberbères, se sont ajoutés les nomades zénètes, les débris du peuple vandale, le corps expéditionnaire et les administrateurs byzantins (les Roum des auteurs arabes). Cette société devient de plus en plus cloisonnée dans un pays où s'estompe la notion même de l'Etat. En bref les conquérants arabes, peu nombreux mais vaillants, ne vont pas trouver en face d'eux un Etat prêt à résister à une invasion, mais des opposants successifs : le patrice byzantin, puis les chefs berbères, principautés après royaumes, tribus après confédérations. Quant à la population romano-africaine, enfermée dans les murs de ses villes, bien que fort nombreuse, elle n'a ni la possibilité ni la volonté de résister longtemps à ces nouveaux maîtres envoyés par dieu. La capitation imposée par les Arabes n'était guère plus lourde que les exigences du fisc byzantin, et, au début du moins, sa perception apparaissait plus comme une contribution exceptionnelle aux malheurs de la guerre que comme une imposition permanente. Quant aux pillages et aux prises de butin des cavaliers d'Allah, ils n'étaient ni plus ni moins insupportables que ceux pratiqués par les Maures depuis deux siècles. LES VOIES DE LA CONVERSION Nous disions qu'il fallait distinguer l'islamisation de l'arabisation. De fait, la première se fit à un rythme bien plus rapide que la seconde. La Berbérie devient musulmane en moins de deux siècles alors qu'elle n'est pas encore entièrement arabisée, treize siècles après la première conquête arabe. L'islamisation et la toute première arabisation furent d'abord citadines. La religion des conquérants s'implanta dans les villes anciennes, que visitaient des missionnaires guerriers puis des docteurs, voyageurs rompus aux discussions théologiques. La création de villes nouvelles, véritables centres religieux, comme Kairouan, première fondation musulmane (670), et Fès, création d'Idriss II (809), contribua à implanter solidement l'Islam aux deux extrémités du pays. La conversion des Berbères des campagnes, Sanhadja ou Zénètes, se fit plus mystérieusement. Ils étaient certes préparés au monothéisme absolu de l'Islam par le développement récent du christianisme, mais aussi par un certain prosélytisme judaïque dans les tribus nomades du Sud et peut-être encore, pour certains, par le souvenir de l'omnipotence du grand dieu africain, nommé Saturne par les Latins, successeur du Baal Hammon punique, dont la pré-éminence sur les autres divinités préparait au monothéisme. Quoi qu'il en soit, la conversion des chefs de fédérations importantes répandit l'Islam dans le peuple. Les contingents berbères, conduits par ces chefs dans de fructueuses conquêtes faites au nom de l'Islam, furent amenés tout naturellement à la conversion. Pour gagner le coeur des populations dans les villes et surtout les campagnes, les missionnaires musulmans eurent recours à l'exemple. Il fallait montrer à ces Maghrébins, dont la religiosité fut toujours très profonde, ce qu'était la vraie communauté des Défenseurs de la Foi. Ce fut le ribat, couvent-forteresse occupé par des moines-soldats toujours prêts à défendre la terre d'Islam contre les Infidèles Ou les hérétiques et s'instruisant aux sources de l'orthodoxie la plus rigoureuse. Ces- m'rabtines savent, le cas échéant, devenir des réformateurs zélés et efficaces. Ceux qui, parmi les Lemtouna, avaient fondé un ribat près du Sénégal (ou dans une île du fleuve) furent à l'origine de l'empire Almoravide, qui leur doit son nom (Al-morabitin) au prix d'une hispanisation imposée par l'Histoire. Lorsque l'Islam fut condamné à une politique "défensive, le ribat militaire protégea le littoral contre les incursions des Byzantins, puis des Francs et Normands de Sicile : certains, comme ceux de Sousse ou de Monastir, sont de véritables citadelles. Dans les zones non menacées le ribat perdit son caractère militaire pour devenir le siège de religieux très respectés. Des confréries, qu'il serait exagéré d'assimiler aux ordres religieux chrétiens, s'organisent, à des époques plus récentes, en prenant appui sur des centres d'études religieuses, les zaouïa, qui sont1es héritiers des anciens ribats. Ce mouvement, souvent mêlé de mysticisme populaire, est lié au maraboutisme, autre mot dérivé aussi du ribat. Le maraboutisme contribua grandement à achever l'islamisation des campagnes, au prix de quelques concessions secondaires à des pratiques anté-islamiques qui n'entament pas la foi du croyant. Infiniment plus dangereux pour l'orthodoxie sunnite avaient été dans les premiers siècles de l'Islam ces missionnaires kharedjites venus d'Orient qui, tout en répandant l'Islam dans les tribus surtout zénètes, séparèrent une partie des Berbères de l'orthodoxie musulmane. Si le schiisme kharedjite ensanglanta le Maghreb à plusieurs reprises, il eut le mérite de conserver à toutes les époques, la nôtre comprise, une force religieuse minoritaire mais exemplaire par la rigueur de sa foi et l'austérité de ses moeurs. Autres missionnaires et grands voyageurs : les daï chargés de répandre la doctrine chiite. On sait le succès extraordinaire de l'un d'eux, Abou Adb Allah, chez les Ketama, qui fut à l'origine de l'empire fatimide. Il faut dire qu'en ces époques qui, en Europe comme en Afrique, nous paraissent condamnées à une vie concentrationnaire en raison de l'insécurité, les clercs voyagent beaucoup et fort loin, ils s'instruisent auprès des plus célèbres docteurs, se mettant délibérément à leur service jusqu'au jour où ils prennent conscience de leur savoir, de leur autorité et deviennent maîtres à leur tour, élaborant parfois une nouvelle doctrine. Ce fut, entre autres, l'histoire d'Ibn Toumert, fondateur du mouvement almohade. Antérieurement, Ibn Yasin avait joué le même rôle dans l'origine des Almoravides. Citer Link to post Share on other sites
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