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Qatar: Cheikha Moza, aux limites de "l'islamiquement correct"


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Cheikha Moza, aux limites de "l'islamiquement correct"

 

20 - lundi 21 novembre | LEMONDE

 

 

Le Caire, Correspondance - "Comment peut-on sincèrement parler de la participation politique des femmes au Moyen- Orient où elles sont devenues un produit cyniquement utilisé pour servir de caution à des régimes dans lesquels elles n'ont aucun pouvoir réel ?". Celle qui s'exprime ainsi, en mai 2007, devant les étudiants de l'Université Rice de Houston (Texas), n'est pas une militante féministe occidentale. Celle qui se cabre, gracile à son pupitre, avec un sourire de défi, n'est autre que la cheikha Moza Bint Nasser Al-Misnad, deuxième des trois épouses de l'émir du Qatar, la seule à paraître en public.

 

Les Qataris ont découvert cheikha Moza à la télévision un soir de 2003, aux côtés de son époux, le cheikh Hamad Ben Khalifa Al-Thani. Devenue depuis la meilleure VRP du richissime petit émirat, elle sillonne le monde pour prêcher la bonne parole du "dialogue des cultures" et de "l'alliance des civilisations". Elle défend à longueur de conférences les intérêts de son mari, en donnant des gages de sa propre indépendance. Car au-delà de son discours consensuel, la première dame du Qatar est une personnalité complexe et ambiguë.

 

Son parcours est celui d'une femme traditionnelle du Golfe issue d'un milieu aisé et mère de sept enfants. Celle que ses biographes font naître au Qatar à la fin des années 1950 sans plus de précision est la fille du plus célèbre opposant à la dynastie au pouvoir, Nasser Al-Misnad, décédé en 2007. Diplômée en sociologie à l'Université du Qatar, elle est mariée à 18 ans dans le cadre d'un arrangement politique. Il a permis au futur émir de se réconcilier avec le clan des Al-Misnad qui avait été exilé au Koweït après s'être illustré dans des grèves historiques dans les années 1950. Une fois son époux parvenu au pouvoir, à la faveur du coup d'Etat de 1995, elle a su asseoir son influence au sein de la famille régnante et s'impliquer au grand jour dans la vie politique de l'Emirat.

 

"L'ÉGALITARISME DE L'ISLAM"

 

Depuis, elle pourfend volontiers, au cours de ses conférences, le féminisme qu'elle qualifie de "colonial", celui qui voudrait imposer aux femmes arabes des normes et des valeurs "laïques" qui leur sont étrangères. "Il n'y a rien dans notre religion qui interdise la participation des femmes à la vie publique. Elles en sont exclues pour les mêmes raisons que les hommes : le manque de démocratie", dit cheikha Moza, avocate de l'"égalitarisme de l'islam".

 

Sa défense de la religion ne l'empêche pas de jouer de manière subtile sur les limites de l'islamiquement correct. Couverte, dans son pays, d'un voile flottant lâchement, elle cache, à l'étranger, ses cheveux sous un élégant turban assorti à des ensembles qui, avec le temps, dessinent de plus en plus nettement ses formes harmonieuses. Ses tenues en font l'icône d'un certain féminisme islamique, mélange de féminité exacerbée et de modestie aguicheuse. "Il nous faut offrir aux femmes des choix qui s'accommodent avec leurs vies et leurs croyances. Des choix qui les encouragent à célébrer leur féminité plutôt qu'à la brimer", déclare la première dame.

 

Cheikha Moza dirige une fondation au budget de plus de 15 milliards de dollars. C'est à son influence que l'on attribue l'adoption, en 2006, d'un code de la famille au Qatar. Elle a aussi supervisé le développement d'une "cité de l'éducation", et piloté la création d'un centre pour la liberté de la presse, pour lequel elle avait recruté Robert Ménard, fondateur de Reporters sans frontières, vite reparti. Femme d'affaires, elle dirige également Qatar Luxury, un groupe qui a pris le contrôle en août du maroquinier français Le Tanneur. La femme de l'émir est ainsi devenue un modèle pour toute une génération de jeunes entrepreneuses éduquées du Golfe persique. En général, elles se sont imposées par leurs talents commerciaux ou universitaires plus que par leur rupture avec le lourd héritage islamique de la région.

 

A ce chapitre, l'opinion de Cheikha Moza sur le polygénisme de son mari est l'un des secrets les mieux gardés du Qatar. Son activisme en faveur de la démocratie laisse, lui, les analystes politiques sceptiques. L'Emirat demeure soumis à un régime autoritaire dominé par une famille qui monopolise les postes de pouvoir. La situation des femmes, auxquelles la Constitution garantit une égalité de droit, se caractérise dans les faits par de nombreuses discriminations. Le code de la famille, qui autorise la polygamie, prévoit en outre que la femme doit "l'obéissance d'usage" à son mari, sans l'autorisation duquel elle ne peut à priori pas travailler. La liberté de la presse fait encore l'objet de graves violations. Double jeu ou impuissance ? "Cheikha Moza distribue beaucoup de faveurs. Il est difficile de trouver quelqu'un qui ait envie de la critiquer", souligne-t-on au sein d'un think tank du Golfe.

 

S'ASSURER DES APPUIS EXTERNES

 

Surtout, la quête de visibilité de l'épouse de l'Emir apparaît de plus en plus comme un moyen de s'assurer des appuis externes pour contrer la forte opposition à laquelle elle est confrontée au sein du pouvoir. Etrangère au clan Al-Thani, cheikha Moza est considérée par certains comme l'instigatrice du coup d'Etat mené par son mari qui a marginalisé certaines branches de la famille. Mère des deux princes héritiers, elle est accusée d'avoir écarté à leur profit les enfants de l'Emir né des autres lits. Son inimitié notoire avec le très influent premier ministre et ministre des affaires étrangères, le Cheikh Hamad Ben Jassem Al-Thani, fragilise également sa position.

 

Au final, ses positions, son train de vie et sa forte médiatisation indisposent une société très conservatrice et en font la cible privilégiée de l'opposition à l'émir, des salafistes mais aussi du Conseil consultatif qui a notamment torpillé en 2009 une proposition de réforme du code de la presse défendue par son Centre. Sur Facebook, les pages hostiles au régime qui fleurissent depuis le début du printemps arabe et appellent à un renversement du régime réclament aussi sa mise à l'écart des affaires de l'Etat.

 

Les réformes timides défendues par cheikha Moza résisteront-elles aux critiques conjuguées des conservateurs, des révolutionnaires et des féministes radicales ? "Il y a tant de Shéhérazade modernes, estime l'écrivain et féministe libanaise Joumana Haddad. Des femmes qui font des compromis et apaisent leur conscience en s'entichant du label absurde et contradictoire de "féministe islamique". Le changement ne peut pas venir d'un système corrompu, mais en s'en débarrassant."

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Guest mimineVnoir
Cheikha Moza, aux limites de "l'islamiquement correct"

 

20 - lundi 21 novembre | LEMONDE

 

 

Le Caire, Correspondance - "Comment peut-on sincèrement parler de la participation politique des femmes au Moyen- Orient où elles sont devenues un produit cyniquement utilisé pour servir de caution à des régimes dans lesquels elles n'ont aucun pouvoir réel ?". Celle qui s'exprime ainsi, en mai 2007, devant les étudiants de l'Université Rice de Houston (Texas), n'est pas une militante féministe occidentale. Celle qui se cabre, gracile à son pupitre, avec un sourire de défi, n'est autre que la cheikha Moza Bint Nasser Al-Misnad, deuxième des trois épouses de l'émir du Qatar, la seule à paraître en public.

 

Les Qataris ont découvert cheikha Moza à la télévision un soir de 2003, aux côtés de son époux, le cheikh Hamad Ben Khalifa Al-Thani. Devenue depuis la meilleure VRP du richissime petit émirat, elle sillonne le monde pour prêcher la bonne parole du "dialogue des cultures" et de "l'alliance des civilisations". Elle défend à longueur de conférences les intérêts de son mari, en donnant des gages de sa propre indépendance. Car au-delà de son discours consensuel, la première dame du Qatar est une personnalité complexe et ambiguë.

 

Son parcours est celui d'une femme traditionnelle du Golfe issue d'un milieu aisé et mère de sept enfants. Celle que ses biographes font naître au Qatar à la fin des années 1950 sans plus de précision est la fille du plus célèbre opposant à la dynastie au pouvoir, Nasser Al-Misnad, décédé en 2007. Diplômée en sociologie à l'Université du Qatar, elle est mariée à 18 ans dans le cadre d'un arrangement politique. Il a permis au futur émir de se réconcilier avec le clan des Al-Misnad qui avait été exilé au Koweït après s'être illustré dans des grèves historiques dans les années 1950. Une fois son époux parvenu au pouvoir, à la faveur du coup d'Etat de 1995, elle a su asseoir son influence au sein de la famille régnante et s'impliquer au grand jour dans la vie politique de l'Emirat.

 

"L'ÉGALITARISME DE L'ISLAM"

 

Depuis, elle pourfend volontiers, au cours de ses conférences, le féminisme qu'elle qualifie de "colonial", celui qui voudrait imposer aux femmes arabes des normes et des valeurs "laïques" qui leur sont étrangères. "Il n'y a rien dans notre religion qui interdise la participation des femmes à la vie publique. Elles en sont exclues pour les mêmes raisons que les hommes : le manque de démocratie", dit cheikha Moza, avocate de l'"égalitarisme de l'islam".

 

Sa défense de la religion ne l'empêche pas de jouer de manière subtile sur les limites de l'islamiquement correct. Couverte, dans son pays, d'un voile flottant lâchement, elle cache, à l'étranger, ses cheveux sous un élégant turban assorti à des ensembles qui, avec le temps, dessinent de plus en plus nettement ses formes harmonieuses. Ses tenues en font l'icône d'un certain féminisme islamique, mélange de féminité exacerbée et de modestie aguicheuse. "Il nous faut offrir aux femmes des choix qui s'accommodent avec leurs vies et leurs croyances. Des choix qui les encouragent à célébrer leur féminité plutôt qu'à la brimer", déclare la première dame.

 

Cheikha Moza dirige une fondation au budget de plus de 15 milliards de dollars. C'est à son influence que l'on attribue l'adoption, en 2006, d'un code de la famille au Qatar. Elle a aussi supervisé le développement d'une "cité de l'éducation", et piloté la création d'un centre pour la liberté de la presse, pour lequel elle avait recruté Robert Ménard, fondateur de Reporters sans frontières, vite reparti. Femme d'affaires, elle dirige également Qatar Luxury, un groupe qui a pris le contrôle en août du maroquinier français Le Tanneur. La femme de l'émir est ainsi devenue un modèle pour toute une génération de jeunes entrepreneuses éduquées du Golfe persique. En général, elles se sont imposées par leurs talents commerciaux ou universitaires plus que par leur rupture avec le lourd héritage islamique de la région.

 

A ce chapitre, l'opinion de Cheikha Moza sur le polygénisme de son mari est l'un des secrets les mieux gardés du Qatar. Son activisme en faveur de la démocratie laisse, lui, les analystes politiques sceptiques. L'Emirat demeure soumis à un régime autoritaire dominé par une famille qui monopolise les postes de pouvoir. La situation des femmes, auxquelles la Constitution garantit une égalité de droit, se caractérise dans les faits par de nombreuses discriminations. Le code de la famille, qui autorise la polygamie, prévoit en outre que la femme doit "l'obéissance d'usage" à son mari, sans l'autorisation duquel elle ne peut à priori pas travailler. La liberté de la presse fait encore l'objet de graves violations. Double jeu ou impuissance ? "Cheikha Moza distribue beaucoup de faveurs. Il est difficile de trouver quelqu'un qui ait envie de la critiquer", souligne-t-on au sein d'un think tank du Golfe.

 

S'ASSURER DES APPUIS EXTERNES

 

Surtout, la quête de visibilité de l'épouse de l'Emir apparaît de plus en plus comme un moyen de s'assurer des appuis externes pour contrer la forte opposition à laquelle elle est confrontée au sein du pouvoir. Etrangère au clan Al-Thani, cheikha Moza est considérée par certains comme l'instigatrice du coup d'Etat mené par son mari qui a marginalisé certaines branches de la famille. Mère des deux princes héritiers, elle est accusée d'avoir écarté à leur profit les enfants de l'Emir né des autres lits. Son inimitié notoire avec le très influent premier ministre et ministre des affaires étrangères, le Cheikh Hamad Ben Jassem Al-Thani, fragilise également sa position.

 

Au final, ses positions, son train de vie et sa forte médiatisation indisposent une société très conservatrice et en font la cible privilégiée de l'opposition à l'émir, des salafistes mais aussi du Conseil consultatif qui a notamment torpillé en 2009 une proposition de réforme du code de la presse défendue par son Centre. Sur Facebook, les pages hostiles au régime qui fleurissent depuis le début du printemps arabe et appellent à un renversement du régime réclament aussi sa mise à l'écart des affaires de l'Etat.

 

Les réformes timides défendues par cheikha Moza résisteront-elles aux critiques conjuguées des conservateurs, des révolutionnaires et des féministes radicales ? "Il y a tant de Shéhérazade modernes, estime l'écrivain et féministe libanaise Joumana Haddad. Des femmes qui font des compromis et apaisent leur conscience en s'entichant du label absurde et contradictoire de "féministe islamique". Le changement ne peut pas venir d'un système corrompu, mais en s'en débarrassant."

 

Elle ne doit même pas savoir la différence entre un homme et une femme vu ce qu'elle a comme mari.

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