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Affaire de Karachi : l'ombre de Sarkozy


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Affaire de Karachi : l'ombre de Sarkozy

LEMONDE | 21.11.11

Qualifiée de "fable" par Nicolas Sarkozy dès 2009, l'affaire de Karachi menace pourtant de parasiter sa - probable - campagne présidentielle. Le 22 septembre, l'Elysée, désireux d'éteindre l'incendie qui se propageait à la suite de la mise en examen de deux proches du président, publiait un communiqué pour assurer qu'il n'était en rien concerné par l'enquête judiciaire. "S'agissant de l'affaire dite de "Karachi", le nom du chef de l'Etat n'apparaît dans aucun des éléments du dossier", assurait le texte. L'examen de la procédure conduite par les juges Renaud Van Ruymbeke et Roger Le Loire contredit formellement cette affirmation péremptoire. A divers titres, M. Sarkozy est impliqué dans cette affaire, dont les développements l'embarrassent au plus haut point. Ce qui ne signifie pas pour autant qu'il soit, en l'état, mis en cause au sens judiciaire du terme.

 

Le budget, ministère-clé. Le volet financier de l'affaire de Karachi porte sur d'éventuelles rétrocommissions : des sommes prélevées sur plusieurs contrats d'armement signés entre 1993 et 1995 avec le Pakistan et l'Arabie saoudite auraient abondé la campagne présidentielle d'Edouard Balladur. A cette période, M. Sarkozy était en poste au budget. Or, institutionnellement, avec le ministre de la défense - François Léotard à l'époque -, celui du budget joue un rôle décisif dans les ventes d'armes en France. En effet, pour les opérations d'exportation de matériel militaire, la signature du ministre du budget doit accompagner celle de son homologue de la défense au bas du document rédigé lors de la conclusion d'un contrat. Il s'agit de la lettre dite "de garantie de l'Etat", par laquelle ce dernier s'engage à se porter financièrement garant de l'entreprise contractante.

 

Qu'il s'agisse des marchés Agosta (la vente de sous-marins au Pakistan pour 825 millions d'euros) ou Sawari II (l'achat par l'Arabie saoudite de frégates pour 2,8 milliards d'euros), les deux principaux contrats suspects signés fin 1994, Nicolas Sarkozy les a donc validés en connaissance de cause. Toutefois, si l'enquête a révélé que, par exemple, son ami Nicolas Bazire, alors directeur de cabinet du premier ministre, ou encore Renaud Donnedieu de Vabres, l'homme lige de François Léotard, avaient été directement au contact des intermédiaires, comme Ziad Takieddine, sur qui pèsent les soupçons de redistribution occulte, M. Sarkozy n'a jamais été cité comme ayant participé à ces négociations financières.

 

Par ailleurs, l'entourage du président aime à rappeler, s'appuyant notamment sur le compte rendu d'une réunion interministérielle du 29 juin 1994, que, dès le début des négociations avec Islamabad, les fonctionnaires de Bercy se sont montrés réticents à conclure le contrat Agosta. "A l'époque où il était ministre du budget, il avait manifesté son hostilité à ce contrat comme cela apparaît dans les pièces de la procédure", expliquait ainsi - faisant fi au passage du secret de l'instruction - le fameux communiqué de l'Elysée du 22 septembre. Sauf que l'argument peut être retourné, car cela signifie que M. Sarkozy donna son feu vert... contre l'avis de son administration.

 

D'autre part, cette position est en contradiction avec ce que déclarait M. Sarkozy à des journalistes, en novembre 2010 : "J'ai jamais été ministre de la défense, je suis pas au courant des contrats de sous-marins n égo ciés à l'époque avec un président qui s'appelle M. Mitterrand, (...) en tant que ministre du budget, je n'ai jamais eu à en connaître ni de près ni de loin." S'il n'en a jamais eu connaissance, comment peut-il soutenir s'y être opposé ?

 

Au coeur de la campagne Balladur. L'enquête portant sur un éventuel financement illicite de la campagne de M. Balladur en 1995, ses principaux acteurs sont susceptibles d'intéresser les juges. Certes, M. Sarkozy, comme il le rappelle souvent, n'était ni trésorier (rôle dévolu à René Galy-Dejean, témoin assisté), ni directeur de campagne (c'était Nicolas Bazire, mis en examen), mais "simple" porte-parole.

 

Dans les faits, il était beaucoup plus que cela. Principal conseiller du candidat, aux côtés de M. Bazire, il faisait partie des quatre hommes qui siégeaient en permanence au comité politique de la campagne. Et son chef de cabinet, Brice Hortefeux, s'occupait de l'organisation des meetings et donc de la collecte des espèces. Pour autant, aucune audition réalisée par les enquêteurs n'a attribué à M. Sarkozy le moindre rôle dans le financement de la campagne. Reste une question : le proche conseiller de M. Balladur, par ailleurs ministre du budget, pouvait-il ignorer l'origine des fonds qui alimentaient les caisses du premier ministre-candidat ?

 

Les mystères de la société Heine. Pour faire transiter les commissions suspectes versées en marge d'Agosta, la Direction des constructions navales (DCN, devenue DCNS) avait créé en 1994 une structure opaque, Heine, domiciliée au Luxembourg et gérée par Jean-Marie Boivin. Or, à en croire une chronologie saisie en 2007 par la police au siège de la DCN, M. Sarkozy aurait joué un rôle dans la constitution de cette société-écran.

 

Non signé, ce document manuscrit indique qu'en 1994, "EAR fait savoir officiellement à DCA que Nicolas Bazire, directeur du cabinet du premier ministre Balladur est d'accord (pour la constitution de Heine)". EAR, c'est Emmanuel Aris, vice-président de la DCN, et DCA, Dominique Castellan, alors président de DCN International (DCN-I). A la ligne suivante, il est indiqué : "Nicolas SARKOZY donne également son accord depuis le ministère des Finances - Bercy."

 

Reste qu'aucun élément matériel n'est venu conforter cette assertion, d'autant plus fragile qu'elle provient d'un document anonyme. D'autre part, dans une audition récente (le 28 septembre) devant les juges, M. Aris a atténué la portée de cette note. Il a assuré que la mention relative à M. Bazire "ne correspond(ait) pas à la réalité". "Je ne connais pas M. Bazire, je ne l'ai jamais rencontré et je n'ai jamais entendu dire qu'il ait donné son accord pour la création d'Heine."

 

S'agissant d'un éventuel feu vert donné par M. Sarkozy, M. Aris a répondu : "Je n'en sais rien. En revanche, DCN-I, société appartenant à 100 % à l'Etat, devait faire une déclaration préalable avant toute création de filiale à l'étranger, ce qui était le cas de Heine. Cela relevait de la responsabilité de M. Menayas, directeur financier." C'est pourtant sur la seule base de cette note manuscrite qu'en janvier 2010 la police luxembourgeoise a rendu un rapport qui conclut fermement : "Un document (...) fait état de l'historique et du fonctionnement des sociétés Heine et Eurolux (société qui a succédé Heine). Selon ce document, les accords sur la création des sociétés semblaient venir directement de M. le premier ministre Balladur et de M. le ministre des finances Nicolas Sarkozy", écrivaient les policiers du grand-duché.

 

En s'appuyant sur la même source, les policiers ajoutaient : "En 1995, des références font croire à une forme de rétrocommissions pour payer des campagnes politiques en France. Nous soulignons qu'Edouard Balladur était candidat à l'élection présidentielle en 1995, face à Jacques Chirac, (et qu'il était) soutenu par une partie du RPR, dont Nicolas Sarkozy et Charles Pasqua." L'entourage de M. Sarkozy a vu derrière ce rapport au vitriol la main du premier ministre Jean-Claude Juncker, qui aurait voulu se venger du président français, accusé de l'avoir empêché d'accéder à la présidence du conseil européen.

 

Plus troublant, M. Sarkozy a été destinataire, comme d'autres ministres, d'une lettre de chantage adressée en 2006, alors qu'il était ministre de l'intérieur, par M. Boivin. Ce dernier, congédié par la DCN en 2004, cherchait à obtenir des compensations financières (8 millions d'euros), sous peine de "faire des révélations". D'après M. Menayas, M. Boivin aurait même fait passer ses messages menaçants à l'associé de M. Sarkozy dans son cabinet d'avocats, Me Arnaud Claude...

 

Ce n'est pas tout. En 2006, M. Boivin aurait été menacé physiquement par deux hommes envoyés par M. Sarkozy, selon des confidences faites par M. Boivin à M. Menayas. Les deux hommes en question ont depuis admis s'être rendus au Luxembourg pour "sonder" les intentions de M. Boivin, mais ont expliqué qu'ils avaient été mandatés par la DCN, et non par M. Sarkozy. Reste à savoir à quel titre, plus de dix ans après son départ de Bercy, celui qui était alors ministre de l'intérieur et candidat annoncé à la présidentielle fut destinataire des courriers de menaces de M. Boivin.

 

Des amis bien encombrants. Si M. Sarkozy est éclaboussé par cette affaire, c'est aussi parce que plusieurs de ses proches sont directement mis en cause : Nicolas Bazire et Thierry Gaubert sont mis en examen, Edouard Balladur pourrait subir le même sort, Brice Hortefeux sera forcément interrogé, d'autant qu'il est suspecté d'avoir livré des informations confidentielles sur l'enquête à M. Gaubert...

 

Et puis, il y a les liens entretenus par le premier cercle de la Sarkozie avec M. Takieddine - lui-même mis en examen. Certes, M. Sarkozy n'est pas un intime de l'homme d'affaires - au contraire de Jean-François Copé, M. Gaubert ou M. Hortefeux -, mais il est acquis que l'intermédiaire a joué, à plusieurs reprises depuis 2007, les émissaires au profit de l'Elysée. Claude Guéant a ainsi dû admettre qu'il était intervenu dans la libération des infirmières bulgares détenues en Libye. Mediapart a publié des documents indiquant que M. Takieddine s'était aussi prévalu de mandats de M. Sarkozy dans le cadre d'éventuels contrats avec l'Arabie saoudite, la Libye, la Syrie...

 

Là encore, rien de pénalement répréhensible, mais une nouvelle confirmation que l'ombre du chef de l'Etat plane sur ce scandale politico-financier.

Gérard Davet et Fabrice Lhomme

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