Apulee 10 Posted December 4, 2011 Partager Posted December 4, 2011 Mezri Haddad, ancien ambassadeur de la Tunisie à l’Unesco qui avait démissionné pour soutenir la révolution ayant renversé Ben Ali, s’inquiète aujourd’hui de l’évolution de cette révolution au profit des islamistes. FRANCE-SOIR Le parti islamiste Ennahda est sorti vainqueur des élections tunisiennes. Partagez-vous l’avis de ceux qui affirment que ce parti serait devenu « démocrate » et qu’il aurait rompu avec toute pensée totalitaire ? M. H. Je ne partage pas cet avis. Si je ne juge pas les dirigeants d’Ennahda, je constate que son idéologie est fondée sur la confusion totale du religieux et du politique. Elle ne peut donc être que philosophiquement totalitaire. F.-S. Avez-vous des exemples précis de la volonté des islamistes tunisiens d’instaurer progressivement un régime religieux, liberticide, étouffant les voix discordantes, notamment celles des laïques ? M. H. Les islamistes tunisiens ne couperont pas la main aux voleurs, ils ne reviendront pas tout de suite sur le Code du statut personnel bourguibien qui accorde aux femmes des droits comme nulle part ailleurs dans le monde arabe. Ils ne fermeront pas non plus les hôtels, mais ils feront appel au tourisme islamique. Ils ne reviendront pas sur les orientations libérales de l’économie tunisienne, mais ils accentueront au contraire les pratiques de l’économie de marché, selon l’orthodoxie américaine. Ils ne forceront pas les femmes à porter le voile, mais c’est la pression sociale qui les y contraindra. Ils n’aboliront pas le système de l’éducation nationale modernisé par Mohamed Charfi, mais ils réformeront les manuels scolaires dans le sens contraire. Ils ne changeront pas radicalement les lois civiles et pénales, mais ils travailleront à leurs progressive « chariatisation »… Dans tous les domaines de la vie politique, économique, sociale et culturelle, ils procéderont par petites touches, de façon graduelle, par islamisme « modéré ». Tout dépendra aussi du poids et de l’action des mouvements progressistes. F.-S. Comment expliquez-vous que tant de femmes tunisiennes et tant de jeunes modernes, « mondialisés », branchés Facebook et Twitter, aient pu voter en faveur des islamistes ? M. H. Je ne pense pas que les femmes modernes et les jeunes, ouverts sur le monde, aient pu voter pour les islamistes. Mais que représentent ces catégories sociales en Tunisie ? Peu de monde. La majorité des électeurs pensent réellement que l’islamisme incarne la pureté morale, que voter pour eux c’est agir en « bon musulman ». C’est cette confusion entre islam et islamisme qui constitue la force majeure d’Ennahda. Si l’acte d’élire est psychologiquement conditionné par la crainte de l’enfer ou la convoitise du paradis, le jeu démocratique est d’emblée faussé. F.-S. Dans ces conditions, comment voyez-vous le futur de la Tunisie ? Les acquis progressistes de Bourghiba sont-ils à terme en danger ? M. H. En politique, c’est comme dans les mathématiques : il y a des équations à plusieurs inconnues et il y a aussi des impondérables. Tout pourrait arriver, mais tout dépendra aussi de la résistance des forces de progrès, de la société civile, des musulmans éclairés. Il est certain que les islamistes cultivent à l’égard de Bourguiba une haine pathologique. Ces acquis ne sont donc pas irréversibles. Ils ne sont pas pour autant menacés dans l’immédiat. D’abord parce que les islamistes adopteront le « gradualisme » comme tactique. Ensuite parce que les stratèges américains ont encore besoin du bon modèle démocratique tunisien pour faire tomber la Syrie, ensuite probablement l’Algérie. Comme disait le pape Jean-Paul II aux Polonais, « N’ayez pas peur », Obama dira aux Arabes « l’islamisme, c’est l’avenir » ! A vous la charia, à nous le pétrole. Chacun sa religion ! F.-S. D’après vous, l’hiver islamiste peut-il être pire dans d’autres pays, comme l’Egypte ou la Libye, moins enracinés dans la liberté et moins avancés que la Tunisie ? M. H. Tout à fait. En Egypte, je pense que les islamistes en général et les Frères musulmans en particulier vont faire un score encore meilleur que celui d’Ennahda. Pour la Libye, si elle parvient à sauvegarder son unité territoriale, le régime sera au mieux une copie du wahhabisme du Qatar, au pire une réplique du talibanisme afghan. Dans chaque pays touché par le « printemps arabe », l’islamisme prendra la forme sociologique et psychologique des peuples en question. F.-S. Quid du fameux « modèle turc », qui incarnerait une voie « islamiste modérée », conciliant démocratie, modernité, islam politique et capitalisme ? M. H. C’est en effet un « modèle » en matière d’atteinte à la liberté d’expression, de répression des populations kurdes, et même de gestion économique, de diplomatie et d’atlantisme ! Soyons sérieux, l’AKP n’a jamais été un parti exclusivement islamiste. C’est plutôt un rassemblement de plusieurs sensibilités. De plus, l’AKP n’a pas choisi d’être ce qu’il est, mais il y a été contraint par une démocratie qui lui est antérieure, par une armée qui veille à l’héritage kémaliste et par un parti nationaliste qui conserve son poids politique. Toutes ces conditions n’existent pas en Tunisie, en Egypte, et encore moins en Libye. L’islamisme modéré est une symphonie anesthésiante que certains spécialistes ou observateurs occidentaux nous chantent depuis déjà quelques années. L’islamisme turc est évidemment aux antipodes de l’islamisme taliban et de l’islamisme du Qatar. Il est sans commune mesure avec l’islamisme iranien. Il n’en reste pas moins vrai que l’islamisme est une doctrine théologico-politique où la foi est loi. Si l’islamisme modéré existe, pourquoi M. Sarkozy ne le reconnaîtrait-il pas en France ? Après tout, il y a plus de musulmans en France qu’en Libye ! Une députée en burka ou un sénateur enturbanné, ce serait l’expression même de la diversité culturelle. F.-S. Quel serait votre mot de la fin ? M. H. Allah est grand et Bernard-Henri Lévy est son prophète ! Un musulman anti-islamiste Mezri Haddad est un philosophe atypique. Ce docteur en philosophie morale et politique de la Sorbonne, musulman, a toujours combattu l’islamisme, dont il avait pourtant défendu les militants au début de l’ère Ben Ali. Résistant de la première heure contre le président tunisien Ben Ali, il s’est exilé en France pendant douze ans. Il s’était ensuite rallié au régime en 2002, préférant le réformisme de l’Etat plutôt que l’alliance avec les islamistes. En 2009, il a été nommé ambassadeur de la Tunisie à l’Unesco, poste dont il a courageusement démissionné avant la chute de Ben Ali. Il vient de publier La Face cachée de la révolution tunisienne. Islamisme et Occident : une alliance à haut risque (éd. Apopsix). Par propos recueillis par Alexandre Del Valle (France Soir - Publié le 22 novembre 2011) Citer Link to post Share on other sites
Sydney 10 Posted December 4, 2011 Partager Posted December 4, 2011 Mezri Haddad, ancien ambassadeur de la Tunisie à l’Unesco qui avait démissionné pour soutenir la révolution ayant renversé Ben Ali, s’inquiète aujourd’hui de l’évolution de cette révolution au profit des islamistes. FRANCE-SOIR Le parti islamiste Ennahda est sorti vainqueur des élections tunisiennes. Partagez-vous l’avis de ceux qui affirment que ce parti serait devenu « démocrate » et qu’il aurait rompu avec toute pensée totalitaire ? M. H. Je ne partage pas cet avis. Si je ne juge pas les dirigeants d’Ennahda, je constate que son idéologie est fondée sur la confusion totale du religieux et du politique. Elle ne peut donc être que philosophiquement totalitaire. F.-S. Avez-vous des exemples précis de la volonté des islamistes tunisiens d’instaurer progressivement un régime religieux, liberticide, étouffant les voix discordantes, notamment celles des laïques ? M. H. Les islamistes tunisiens ne couperont pas la main aux voleurs, ils ne reviendront pas tout de suite sur le Code du statut personnel bourguibien qui accorde aux femmes des droits comme nulle part ailleurs dans le monde arabe. Ils ne fermeront pas non plus les hôtels, mais ils feront appel au tourisme islamique. Ils ne reviendront pas sur les orientations libérales de l’économie tunisienne, mais ils accentueront au contraire les pratiques de l’économie de marché, selon l’orthodoxie américaine. Ils ne forceront pas les femmes à porter le voile, mais c’est la pression sociale qui les y contraindra. Ils n’aboliront pas le système de l’éducation nationale modernisé par Mohamed Charfi, mais ils réformeront les manuels scolaires dans le sens contraire. Ils ne changeront pas radicalement les lois civiles et pénales, mais ils travailleront à leurs progressive « chariatisation »… Dans tous les domaines de la vie politique, économique, sociale et culturelle, ils procéderont par petites touches, de façon graduelle, par islamisme « modéré ». Tout dépendra aussi du poids et de l’action des mouvements progressistes. F.-S. Comment expliquez-vous que tant de femmes tunisiennes et tant de jeunes modernes, « mondialisés », branchés Facebook et Twitter, aient pu voter en faveur des islamistes ? M. H. Je ne pense pas que les femmes modernes et les jeunes, ouverts sur le monde, aient pu voter pour les islamistes. Mais que représentent ces catégories sociales en Tunisie ? Peu de monde. La majorité des électeurs pensent réellement que l’islamisme incarne la pureté morale, que voter pour eux c’est agir en « bon musulman ». C’est cette confusion entre islam et islamisme qui constitue la force majeure d’Ennahda. Si l’acte d’élire est psychologiquement conditionné par la crainte de l’enfer ou la convoitise du paradis, le jeu démocratique est d’emblée faussé. F.-S. Dans ces conditions, comment voyez-vous le futur de la Tunisie ? Les acquis progressistes de Bourghiba sont-ils à terme en danger ? M. H. En politique, c’est comme dans les mathématiques : il y a des équations à plusieurs inconnues et il y a aussi des impondérables. Tout pourrait arriver, mais tout dépendra aussi de la résistance des forces de progrès, de la société civile, des musulmans éclairés. Il est certain que les islamistes cultivent à l’égard de Bourguiba une haine pathologique. Ces acquis ne sont donc pas irréversibles. Ils ne sont pas pour autant menacés dans l’immédiat. D’abord parce que les islamistes adopteront le « gradualisme » comme tactique. Ensuite parce que les stratèges américains ont encore besoin du bon modèle démocratique tunisien pour faire tomber la Syrie, ensuite probablement l’Algérie. Comme disait le pape Jean-Paul II aux Polonais, « N’ayez pas peur », Obama dira aux Arabes « l’islamisme, c’est l’avenir » ! A vous la charia, à nous le pétrole. Chacun sa religion ! F.-S. D’après vous, l’hiver islamiste peut-il être pire dans d’autres pays, comme l’Egypte ou la Libye, moins enracinés dans la liberté et moins avancés que la Tunisie ? M. H. Tout à fait. En Egypte, je pense que les islamistes en général et les Frères musulmans en particulier vont faire un score encore meilleur que celui d’Ennahda. Pour la Libye, si elle parvient à sauvegarder son unité territoriale, le régime sera au mieux une copie du wahhabisme du Qatar, au pire une réplique du talibanisme afghan. Dans chaque pays touché par le « printemps arabe », l’islamisme prendra la forme sociologique et psychologique des peuples en question. F.-S. Quid du fameux « modèle turc », qui incarnerait une voie « islamiste modérée », conciliant démocratie, modernité, islam politique et capitalisme ? M. H. C’est en effet un « modèle » en matière d’atteinte à la liberté d’expression, de répression des populations kurdes, et même de gestion économique, de diplomatie et d’atlantisme ! Soyons sérieux, l’AKP n’a jamais été un parti exclusivement islamiste. C’est plutôt un rassemblement de plusieurs sensibilités. De plus, l’AKP n’a pas choisi d’être ce qu’il est, mais il y a été contraint par une démocratie qui lui est antérieure, par une armée qui veille à l’héritage kémaliste et par un parti nationaliste qui conserve son poids politique. Toutes ces conditions n’existent pas en Tunisie, en Egypte, et encore moins en Libye. L’islamisme modéré est une symphonie anesthésiante que certains spécialistes ou observateurs occidentaux nous chantent depuis déjà quelques années. L’islamisme turc est évidemment aux antipodes de l’islamisme taliban et de l’islamisme du Qatar. Il est sans commune mesure avec l’islamisme iranien. Il n’en reste pas moins vrai que l’islamisme est une doctrine théologico-politique où la foi est loi. Si l’islamisme modéré existe, pourquoi M. Sarkozy ne le reconnaîtrait-il pas en France ? Après tout, il y a plus de musulmans en France qu’en Libye ! Une députée en burka ou un sénateur enturbanné, ce serait l’expression même de la diversité culturelle. F.-S. Quel serait votre mot de la fin ? M. H. Allah est grand et Bernard-Henri Lévy est son prophète ! Par propos recueillis par Alexandre Del Valle (France Soir - Publié le 22 novembre 2011) e suis tout a fait d''accord avec lui Sauf au sujet des femmes et jeunes modernes qui ont effectivement votés pour Enahda, il est clair d'ailleurs comme ça c'est passé en Algérie qu'il s'agisse d'un vote sanction pour la mouvance islamiste qui n'est pas forcement mieux structurée et plus présente sur le terrain mais plutôt qui tire sur une corde très sensible en l'occurrence la religion ce qui lui permet de manipuler pour son compte la majeure partie de la population. D'autre part la Tunisie de Ben Ali n'était pas plus libre que la Libye ou l'Égypte, et donc ce n'est pas a cause de ça qu'elle ne basculera pas a moyen ou long terme dans un islamisme pur et dur par contre je peux dire que la société tunisienne est de loin plus civilisée que les autres sociétés des pays touchés par le péril vert Citer Link to post Share on other sites
An-Nisr 6 595 Posted December 4, 2011 Partager Posted December 4, 2011 F.-S. Quel serait votre mot de la fin ?[/b] M. H. Allah est grand et Bernard-Henri Lévy est son prophète ! Par propos recueillis par Alexandre Del Valle (France Soir - Publié le 22 novembre 2011) Il est dommage que l'"élite" maghrébine soit toujours déconnectée de la réalité du peuple duquel elle est issu. C'est avec des phrases comme ça que ces "éclairés" veulent conquérir le coeur des gens? :dots: Citer Link to post Share on other sites
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