yacoubm 10 Posted March 14, 2008 Partager Posted March 14, 2008 Mouloud Feraoun, un écrivain dans la guerre d’Algérie Comment, au coeur de la guerre d’Algérie, concilier l’identité kabyle, la culture française et l’aspiration à l’indépendance ? A travers le cas de l’écrivain Mouloud Feraoun, assassiné par l’OAS quelques jours avant le cessez-le-feu, c’est aussi la question des violences d’aujourd’hui qui nous est ici posée. Mouloud Feraoun. Dernièrement a été réédité un livre consacré à l’assassinat de Jean Sénac, poète algérien de langue française, et intitulé Assassinat d’un poète. Dans le compte rendu qu’il lui consacre dans Libération, Ahdelhafid Adnani, journaliste algérien, attribue cet assassinat à une main sans doute liée à l’intégrisme islamiste » et le quotidien chapeaute l’article par cette annonce : « Son assassinat, il y a vingt-cinq ans, fut le premier signal d’une tragédie à venir ». Abdelhafid Adnani fait en effet un parallèle constant entre l’assassinat de Jean Sénac et celui de Matoub Lounes. Cet exemple est significatif des rapports qu’entretiennent l’actualité et l’histoire, le temps présent et le passé. L’actualité pose à l’historien de nouvelles problématiques, de nouvelles questions, de nouveaux thèmes. Dans le cas de l’Algérie, les violences actuelles incitent à un retour sur les violences du passé et, en particulier, sur celles de la guerre d’indépendance de 1954 à 1962. La table ronde organisée par l’Institut d’histoire du temps présent en 1996, sur la guerre d’Algérie et les Algériens, a vu l’évocation forte, parfois émouvante, parfois polémique, des violences de cette période. Mouloud Feraoun fut une de ses victimes. Écrivain algérien de langue française, il était instituteur et engagé à ce titre dans les centres socio-éducatifs, structure d’alphabétisation et d’action sociale envers les plus défavorisés en Algérie. Il fut assassiné avec cinq de ses collègues par un commando de l’OAS le 15 mars 1962, soit quatre jours avant l’entrée en vigueur du cessez-le-feu. Près de quarante ans plus tard, cet assassinat oriente la réflexion vers une question d’actualité : comment un individu à l’identité plurielle peut-il vivre l’engrenage d’une guerre qui radicalise les positions à l’extrême et tend à forcer chacun à choisir irréductiblement son camp ? LA QUESTION IDENTITAIRE « Écrivain algérien, de langue française (Tizi-Hibel, Grande Kabylie, 1913 – El Biar, 1962) » : cette simple présentation fait de Mouloud Feraoun un inclassable. Il est « écrivain algérien » certes, mais de langue française » et né en Kabylie. La complexité de son identité repose sur ces trois composantes intimement mêlées, résultat d’un cheminement exceptionnel qui a mené le fils d’une pauvre famille kabyle au métier d’instituteur et à la littérature. Mouloud Feraoun est né en Kabylie en 1913. Ses parents l’ont déclaré à l’état civil le 8 mars, mais il serait né en février. La colonisation marque dès sa naissance l’identité du futur écrivain, car le nom de famille, Feraoun, a été imposé par des officiers des Affaires indigènes chargés de donner un état civil aux populations kabyles après l’insurrection de 1871. Traditionnellement, sa famille porte le nom d’Aït Chabane. Ce sont des fellahs pauvres, qui ont eu huit enfants donc cinq seulement ont survécu. Mouloud Feraoun est leur troisième enfant et le premier fils. Depuis 1910, le père a pour habitude d’émigrer périodiquement en France pour subvenir aux besoins de sa famille et ce, jusqu’en 1928, date à laquelle il est victime d’un accident et vit d’une pension d’invalidité. Cette origine familiale, sociale et culturelle, est prépondérante pour Mouloud Feraoun qui intitule son premier roman autobiographique Le fils du pauvre et fait de la culture kabyle la principale composante de son identité : « Sachez que je suis instituteur "arabe", que j’ai toujours vécu au coeur du pays et depuis quatre ans au coeur du drame. Le mot "arabe" n’est d’ailleurs pas très exact. Pourquoi ne pas préciser après tout ? ... Mettons que vous recevez aujourd’hui une lettre arabe d’un kabyle et vous aurez toutes les précisions désirables », écrit-il à Albert Camus en 1958. Il aurait pu ajouter, ce qu’il ne fait pas, que sa « lettre arabe d’un kabyle » est écrite en français. Ce maniement du français par Mouloud Feraoun est le résultat de la deuxième période de sa vie, celle de sa scolarisation et de son acculturation. Il est en effet reçu au concours des bourses à l’entrée en 6e et quitte sa famille pour aller étudier au collège de Tizi-Ouzou. L’internat du collège étant trop cher, il loge à la mission Rolland, une mission protestante où les pensionnaires sont initiés à l’Évangile et au scoutisme. Mouloud Feraoun se décrit cependant dans Le fils du pauvre comme un adolescent studieux qui se consacre exclusivement à son travail scolaire, un travail fructueux puisqu’en 1932, à l’âge de 19 ans, il entre à l’École normale d’instituteurs de la Bouzaréa, dans la banlieue d’Alger. Il y est le condisciple d’Emmanuel Roblès, futur écrivain lui aussi, en contact avec les milieux littéraires algérois et notamment Albert Camus. Cette période de scolarisation marquée par les premiers contacts avec la culture française trouve son aboutissement avec l’intégration de Mouloud Feraoun dans l’administration. Son acculturation est double du point de vue linguistique puisqu’il y apprend la langue française et que son style d’écriture, d’expression simple, porte l’empreinte de cette formation scolaire ; mais aussi du point de vue religieux, ses écrits témoignant d’une morale laïque acquise à l’école de la Troisième République. D’ailleurs, il loge dans une mission protestante et la religion n’apparaît pas dans ses écrits comme un élément fondateur de son identité. Socialement, cette période de scolarisation lui permet de connaître une promotion dont bénéficient peu d’Algériens. Il a d’ailleurs le sentiment d’avoir acquis un statut de privilégié, comme il l’avoue à Albert Camus : « Il y avait parmi nous des privilégiés, ou des instituteurs, par exemple. Ils étaient satisfaits, respectés et enviés » . Après l’École normale, il est nommé dans sa région natale, puis se marie avec une de ses cousines dont il aura sept enfants. A la fin des années 1930, une fois son installation dans la vie accomplie, il entame la rédaction de son premier roman Le fils du pauvre. Mais l’écriture en est laborieuse car il ne l’achève qu’en 1948. À cette époque, il retrouve Emmanuel Roblès mais n’ose lui présenter son manuscrit et publie finalement son roman à compte d’auteur en 1950. Il connaît alors la consécration avec l’obtention du Prix littéraire de la ville d’Alger. C’est la première fois qu’un auteur non européen le reçoit. En 1954, ce roman est réédité au Seuil, où travaille Emmanuel Roblès, et devient un des livres les plus lus de la littérature maghrébine. Le début des années 1950 ouvre une période d’ascension pour Mouloud Feraoun : en 1952, il devient directeur d’école élémentaire à Fort-National, commune dont il est élu conseiller municipal. Il publie trois ouvrages clans la foulée : en 1953, La terre et le sang (Le Seuil) qui reçoit le Prix populiste ; en 1954, Jours de Kabylie (Alger, Éditions du Braconnier) ; en 1957, Les chemins qui montent (Le Seuil). Cette même année, alors que la guerre fait rage, il est muté à Alger où il dirige l’école du Nador et c’est en 1960 qu’il intègre la structure des centres socio-éducatifs. C’est cet engagement qui provoque son assassinat le 15 mars 1962 par un commando de l’OAS, assassinat au cours duquel cinq de ses collègues trouvent également la mort : Max Marchand, Marcel Basset, Salah Ould Aoudia, Ali Hammoutène et Robert Aimard. La difficulté à définir Mouloud Feraoun vient de la superposition des différentes phases de sa vie : né en Kabylie et attaché à cette terre, il connaît une promotion sociale grâce à la France, puissance coloniale, qui applaudit ses romans et meurt assassiné par l’OAS, hostile à l’indépendance algérienne. Il est donc lié à la fois à la Kabylie, à la France et à l’Algérie. De plus, sa biographie ne mentionne aucun engagement nationaliste et sa littérature est dénuée de tout caractère politique ou nationaliste, ses thèmes de prédilection restant la description de sa Kabylie natale et de ses habitants. Alors, qu’en est-il ? Mouloud Feraoun serait-il un écrivain dénué de toute préoccupation nationale ? Citer Link to post Share on other sites
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