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Comment la guerre en Irak a fait basculer la vie de certains Américains


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Laura Youngblood est tombée enceinte le jour du départ de son mari en Irak. Elle a accouché seule à l'hôpital mais a placé une photo de Travis à côté du berceau pour que sa fille connaisse ce père qu'elle ne verrait jamais. Il avait été tué deux mois plus tôt, à 26 ans.

 

Plus d'un million de soldats américains ont combattu en Irak depuis le début de l'intervention américaine, le 20 mars 2003, il y a près de cinq ans. Près de 4.000 y sont morts et plus de 29.000 ont été blessés. Pour la plupart des Américains, il suffit d'éteindre la télévision pour passer à autre chose, mais pour les veuves, les orphelins, les familles des soldats et ceux qui sont revenus handicapés ou traumatisés, cette guerre fait désormais partie de leur vie.

 

Laura Youngblood a appelé sa fille Emma, comme Travis le lui avait demandé dans sa dernière lettre. A 29 ans, la jeune femme n'envisage pas de se remarier un jour. Elle dit vouloir se consacrer à ses deux enfants, aujourd'hui âgés de 2 et 7 ans, et puis être enterrée près de son mari, au cimetière national d'Arlington. "Je dis aux gens que je suis une femme mariée et heureuse", déclare-t-elle en pleurant.

 

Autour des bases militaires des Etats-Unis, on choisit ses dates de vacances en fonction du calendrier de déploiement, on constate un baby-boom neuf mois après le retour des troupes, et des groupes de soutien des veuves et des soldats blessés se sont formés.

 

"'Comment je me suis retrouvé dans cette situation?' Plein de gars disaient ça", rapporte Jeff Myers, 48 ans, sergent-chef de la Garde nationale de Pennsylvanie. Des éclats de métal fichés dans ses lèvres continuent de ressortir, souvenirs de deux bombes en 2004. Il est suivi par un neurologue. Le problème n'est pas de savoir si vous serez irritable et aurez des cauchemars une fois rentré chez vous, explique-t-il, "c'est de savoir que faire quand cela arrive", et comment se comporter avec les autres Américains, qui voient l'Irak de si loin.

 

Amanda Jordan, dont le mari a été tué dans la Marine trois jours après le début de l'invasion, se demande ce qui est le pire: les jours où personne ne parle de la guerre, ou ceux où l'on pontifie dessus. Récemment, elle a failli quitter un repas avec son fils de 11 ans pour éviter qu'il n'entende dire qu'il ne fallait pas attaquer l'Irak. "On me dit que mon époux, le père de mon enfant, est mort pour rien! C'est dur d'entendre ça tout le temps", s'insurge cette femme de 39 ans, qui étudie pour devenir thérapeute spécialisée dans le deuil.

 

Hazel Hoffman, elle, a récupéré son fils, mais il est devenu paraplégique et ne peut plus parler. Sa vie à Grand Rapids, dans le Michigan (nord-est) a basculé quand le téléphone a sonné et qu'elle a appris que Josh avait été blessé par un tireur isolé. "J'ai pleuré tellement fort que j'ai pleuré des larmes de sang", raconte-t-elle.

 

Suzanne Stack, 48 ans, prenait un bain chez elle à Fort Campbell, dans le Kentucky (est), quand deux officiers ont sonné à sa porte pour lui annoncer la mort de son mari. En amenant ses fils à l'arrêt du car scolaire, groggy, elle a senti les regards apeurés des voisins, comme s'ils redoutaient d'être les prochains. Avant même l'enterrement, quelqu'un lui a demandé quand elle comptait déménager, car il y avait une liste d'attente pour les logements de fonction. Maintenant, elle milite pour les veuves dans les couloirs du Congrès, à Washington.

 

Après avoir quitté l'armée, Walter Lajuane Williams, 33 ans, s'est retrouvé sans travail. Cet ancien d'Irak et d'Afghanistan passait ses journées sur son canapé et se droguait. Il a fini par contacter une association d'aide aux chômeurs et aide désormais d'autres anciens combattants à trouver du travail.

 

Les militaires qui rentrent chez eux sont propulsés dans un autre monde. Récemment, un ancien combattant d'Irak est venu voir Daniel Fox, du ministère aux Anciens combattants, pour repasser le test de détection du stress post-traumatique. L'agent lui a demandé pourquoi il avait menti la première fois: "Il m'a dit, 'parce que je venais juste de rentrer et que tout le monde disait 'Bienvenue au héros'. Comment pouvait-il dire que ce héros n'allait pas bien?"

 

Le lieutenant-colonel Douglas Etter connaît ce sentiment de décalage. Aumônier attaché à la Garde nationale de Pennsylvanie, dans la province d'Al Anbar, il a vu son bataillon perdre 15 hommes. Il a administré les derniers sacrements. Pleuré.

 

Quand il est revenu en Pennsylvanie pour célébrer les funérailles d'un ami proche, il a demandé à sa femme: "Rentrons." "J'ai dit d'accord, va dans la voiture, on rentre", raconte son épouse Jodi Etter, "et tu as dit 'Non, chez moi c'est en Irak. Je veux juste rentrer chez moi'". Une fois démobilisé, tout lui semblait futile. Il a acheté une voiture puissante pour rouler vite, son épouse a noté qu'il buvait plus qu'avant. Mais il a mûri et estime que la guerre a un effet d'amplificateur: "les fortes personnalités deviennent encore plus fortes, les faibles encore plus faibles."

 

Phil Nesmit, quant à lui, a acquis une certaine lucidité en Irak. Ancien parachutiste dans l'armée, il est parti enthousiaste dès 2003 travailler dans les télécommunications avec l'une des sociétés sous contrat en Irak. Il a vu des hommes mourir, se suicider, s'est fait quitter par sa petite amie... "Tout ce que vous avez laissé derrière vous continue alors que votre vie est comme suspendue pendant que vos êtes là-bas." Depuis, il s'est reconverti dans la photographie. Il expose et vend ses clichés d'Irak, transformés pour ressembler à ceux de la Guerre de Sécession (1861-65), dans une galerie d'art de Washington.

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