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Le journal télévisé (fiction)


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Le journal télévisé (fiction)

par Mohamed Houat

 

spacer.gifJe regarde rarement la télévision nationale. Je trouve son programme peu attractif, en comparaison des chaînes satellitaires étrangères. Je suis particulièrement agacé par la langue de bois maniée avec dextérité par des journalistes guindés, et la primauté absolue accordée à des informations dénuées de tout intérêt. Je me suis reproché parfois mon manque de patriotisme. Réagissant à cette négligence coupable, j’ai alors décidé un jour de prendre mon mal en patience et suivre de bout en bout le journal télévisé national de vingt heures dont je vous livre ici la teneur.

 

La jeune journaliste, belle mais lourdement fardée, annonça d’un ton grave les titres du journal. Elle commença d’abord par une information de la plus haute importance: «Son excellence, le président de la République, a envoyé au nom du peuple algérien et en son nom propre, un message de félicitations à son Excellence, le président de la République de Moldavie, à l’occasion de la fête nationale de ce pays frère. Il a souhaité au peuple moldave frère davantage de prospérité sous la conduite éclairée de son Excellence le président de la Moldavie». Cette nouvelle m’a particulièrement surpris et en même temps peiné, car je ne savais pas qu’il existât un pays appelé la Moldavie. J’ai eu honte de mon ignorance, et je me suis promis de regarder le dictionnaire pour connaître davantage le pays de mes frères moldaves.

 

La charmante journaliste a ensuite lu le message de Son Excellence le président du Rwanda, qui, survolant le territoire national a adressé ses salutations fraternelles à son Excellence le président de la République algérienne, démocratique et populaire. «A l’occasion du survol de votre beau pays, il m’est agréable de vous adresser, cher frère, au nom du peuple rwandais, de mon gouvernement et en mon nom propre, mes...» J’ai poussé un ouf de satisfaction car j’avais déjà entendu parler de ce pays, quoique négativement, à la suite de massacres inter-éthniques épouvantables.

 

La litanie des messages présidentiels, tout aussi chaleureux les uns que les autres, dura plus d’un quart d’heure, et épuisa à la longue mon attention malgré mon désir sincère de connaître tous les pays qui, à travers ces messages attentionnée et fraternels, témoignaient de la bonne image de marque de notre pays dans le monde.

 

La ravissante journaliste passa ensuite à une autre activité présidentielle, tout aussi importante; la réception par le président de la République des lettres de créance de leurs excellences les ambassadeurs du Burundi, du Laos, des Îles Comores et du Sierra Léone. Cette cérémonie, réglée selon un protocole très strict fut entièrement retransmise, afin que dans un souci de transparence, les citoyens fussent fidèlement informés des activités de leurs dirigeants. Je confesse qu’à ce jour, malgré mon niveau d’instruction tout à fait honorable par rapport à la majorité de mes concitoyens, je ne suis pas encore parvenu à comprendre la signification de cette expression énigmatique: «lettres de créance».

 

La délicieuse journaliste rendit ensuite compte, images à l’appui, de la visite du ministre de l’Intérieur français, reçu par son homologue algérien. Les entretiens furent francs et amicaux.

 

A l’issue de l’entrevue, les deux parties ont exprimé leur satisfaction sur l’état des relations entre les deux pays. Ils se sont mutuellement félicités des efforts déployés par eux-mêmes pour donner un nouvel essor à la coopération entre les deux pays. Ils ont décidé de créer une commission mixte, chargée de mettre en application les recommandations des deux ministres. Son Excellence le ministre de l’Intérieur français a exprimé ses remerciements pour l’accueil chaleureux qui lui a été réservé.

 

Il a adressé une invitation à son homologue algérien de visiter la France, invitation aussitôt acceptée par le ministre algérien. J’ai constaté avec dépit que cette information était comme une coquille vide, dénuée, elle aussi, de tout intérêt.

 

La captivante journaliste fit part de la visite d’inspection de Monsieur le ministre de la Poste, des Télécommunications et de la Recherche spatiale dans une ville des Hauts Plateaux où ils s’enquit de l’état d’avancement des travaux de réalisation d’une agence postale destinée à insuffler un nouvel élan au développement économique de la région. A l’issue de la visite, Monsieur le ministre a exprimé sa satisfaction pour le rythme encourageant des activités du chantier, et n’a pas manqué de féliciter les autorités locales pour les efforts soutenus déployés afin d’être à l’écoute du citoyen.

 

La gracieuse journaliste passa ensuite aux activités culturelles, mettant l’accent sur le festival du rai qui se tiendra, sous le haut patronage de son Excellence le ministre des Loisirs. Elle donna la parole à son invité, un vieux raiman au visage mal rasé s’exprimant dans un sabir qu’elle-même n’arrivait pas à comprendre.

 

La pauvre journaliste, fatiguée sans doute par la longueur des informations capitales, qu’elle venait de communiquer, a conclu le journal télévisé en évoquant furtivement «le massacre, en pleine nuit, de cinq citoyens innocents, par un groupe terroriste barbare, lors d’un faux barrage, dressé sur une route nationale à la sortie de la capitale».

 

Quotidien d'Oran

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