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Algérie : un colonel dissident accuse


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Et si le pire était vrai ? Si l'armée algérienne était elle-même à l'origine du chaos sanglant ? Cette hypothèse serait sans fondement si elle n'était formulée par de jeunes officiers entrés en dissidence contre le système de répression mis en place par le haut commandement. Familiers du théâtre d'ombres algérien, deux journalistes ont enquêté : Yassir Benmiloud, plus connu sous ses initiales d'éditorialiste algérien Y. B., et Samy Mouhoubi. Ils ont rencontré le colonel « B. Ali », l'un des porte-parole de ce Mouvement algérien des officiers libres (MAOL) dont le site Internet embarrasse le gouvernement Bouteflika par ses révélations sur les « dossiers noirs » du régime. Impossible, bien sûr, de vérifier l'intégralité de ses informations ; mais impossible aussi de les ignorer tant elles sont précises. « Le Monde » a donc choisi de les verser au débat dans l'espoir qu'un jour l'avènement de la démocratie permettra de faire la lumière.

 

En 1991, l'Algérie s'apprête à basculer dans sa période la plus noire depuis l'indépendance. Huit années plus tard, l'horreur est largement consommée, et les perspectives d'une sortie de crise s'amenuisent au fil de la résurgence, ces dernières semaines, des massacres de civils et des assassinats politiques ciblés. La démarche volontariste du nouveau président algérien, Abdelaziz Bouteflika, se heurte à une réalité faite de manipulations sur fond de théâtre d'ombres où toutes les parties avancent masquées. Les spéculations sont toujours allées bon train dans l'analyse des violences cycliques qui déchirent le pays, jusqu'à aboutir aux thèses les plus contradictoires. Mais si la pire de ces thèses se révélait, un jour, être la bonne ? Si l'armée algérienne, qui n'a cessé de se présenter comme le dernier rempart face aux « hordes islamistes » apparaissait comme la véritable instigatrice du chaos ? Il y a quelques années, les prémisses semblaient pourtant lisibles. Pour les opinions algérienne et internationale, l'Armée nationale populaire (ANP) semblait appliquer la « seule politique possible ».

 

En suspendant les élections législatives du 26 décembre 1991, dont le FIS est le grand vainqueur, l'institution militaire prétend tout bonnement venir au secours du multipartisme naissant. Paradoxe saisissant pour une « démocratie populaire » ultra-autoritaire où l'armée, depuis le coup d'Etat du 19 juin 1965, tient d'une main de fer les rênes du pouvoir. Et le décès du président-dictateur Houari Boumediène, le 27 décembre 1978, ne fait que renforcer la mainmise de la « Grande Muette » sur la « gestion » de l'Algérie. Cette thèse d'un messianisme kaki à l'assaut du « fascisme vert » parvient néanmoins à être vendue, à force d'être ressassée, à l'intérieur comme à l'extérieur des frontières algériennes. Mais l'effarante entrée en scène des massacres de civils à grande échelle, face à la meurtrière passivité des forces de sécurité, ébranle les constructions sémantiques échafaudées par le pouvoir militaire et ses relais, notamment au sein d'une jeune presse indépendante souvent intoxiquée par des agents traitants titulaires de cartes de presse. Les premiers doutes circulent, puis la lancinante question du « Qui tue qui ? » trouve suffisamment d'écho pour être portée sur la place publique.

 

Car, au jeu de la propagande, les généraux négligent un élément de taille : l'éventualité d'une fracture au sein de l'Armée nationale populaire (ANP). A l'intérieur des casernes, dès 1993, celle-ci va pourtant commencer à prendre corps, avec l'entrée en dissidence d'un nombre croissant de jeunes officiers. Ces derniers s'organisent bientôt autour du Mouvement algérien des officiers libres (MAOL), une opposition au régime qui se présente comme « structurée et résolue », et qui prétend aujourd'hui être à même d'éclaircir les lourds secrets dissimulés par les hiérarques de l'état-major et des services spéciaux.

 

Depuis sa création durant l'été 1997, le MAOL sème un trouble de plus en plus palpable au sein des institutions militaires et civiles, ébranlées par la divulgation sur Internet des dessous de certaines des affaires les plus sensibles de ces dernières années : l'assassinat du président Mohamed Boudiaf, celui du chanteur Matoub Lounès, la corruption des généraux ou encore l'infiltration-manipulation des GIA. Cette cascade de révélations embarrasse le président Bouteflika. Loin de nier la réalité de ces dossiers noirs, il a cependant déclaré sur Europe 1, dimanche 7 novembre : « Je n'aime pas les tracts et je n'aime pas ce que font les déserteurs de l'armée à partir d'Internet. C'est aussi valable que des lettres anonymes. »

 

Pourquoi s'intéresser alors à des auteurs de « lettres anonymes » ? D'une part, parce que la suspicion qui entourait, il y a encore quelques mois, le MAOL, en l'assimilant à une mouvance proche des islamistes, semble progressivement être levée - il faut dire que l'anonymat de la quasi-totalité de ces officiers a alimenté bien des controverses. Leurs déclarations et communiqués sont désormais abondamment repris par les médias occidentaux et arabes, qui trouvent auprès de ce mouvement une précieuse source d'informations. D'autre part, la crédibilité du MAOL n'a jamais été contestée au sein de l'armée et des services spéciaux. Les témoignages recueillis sous le couvert de l'anonymat auprès de plusieurs sources militaires régulières et périphériques nous ont confirmé l'inquiétude grandissante du haut commandement algérien face à l'activisme menaçant de ces dissidents. Afin de mieux cerner les ambitions et les objectifs du MAOL, devenu le « poil à gratter » de l'ANP, nous avons rencontré à plusieurs reprises le colonel B. Ali, quarante et un ans, l'un des porte-parole du mouvement, qui anime, depuis Madrid, le site Internet ARMEE NATIONALE POPULAIRE ANP: Le Mouvement Algerien des Officiers Libres. MAOL . Pour cet officier déserteur de l'ANP, le drame algérien relève d' « une manipulation qui dépasse la fiction » . Il aurait déjà fait plus de 173 000 morts, chiffre arrêté au mois d'août 1998, date à laquelle cet officier quitte clandestinement l'Algérie pour gagner l'Espagne.

 

Après plusieurs entretiens téléphoniques, un premier rendez-vous est pris dans les faubourgs d'une grande ville européenne. Un élégant costume de marque atténuant à peine son port martial, B. Ali incarne cette jeune garde d'ambitieux officiers arabisants et libéraux. Avant d'entrer en dissidence, le colonel B. Ali a été l'un des plus jeunes colonels promus de l'ANP. Major de promotion de l'académie de Cherchell en 1988, ce pur produit de l'institution militaire algérienne poursuit sa formation en ex-Tchécoslovaquie, puis en ex-URSS. En 1991, il est rappelé en Algérie. Il rejoint le secrétariat général du ministère de la défense où, sous les ordres du général Mohamed Ghenim, il siège notamment au sein de la cellule chargée de répertorier les pertes humaines des forces de sécurité - plus de 23 000 morts à ce jour -, cellule plus prosaïquement affectée au maquillage des bilans des violences.

 

Bien qu'ayant, dans un premier temps, adhéré « sans état d'âme » à la répression qui s'abat sur les islamistes du FIS dès 1991, le colonel B. Ali constate vite que la haute hiérarchie militaire n'a aucune perspective politique digne de ce nom. « Au lendemain du premier tour des élections législatives du 26 décembre 1991, je suis l'un des signataires de la pétition que fait circuler le général Khaled Nezzar, alors ministre de la défense, en faveur de l'arrêt d'un processus électoral trop favorable au Front islamique du salut (FIS). J'estimais que l'intégrisme était une menace pour l'Algérie. Mais la démocratisation nécessaire de l'Algérie devait-elle pour autant passer par le sacrifice d'une partie importante du peuple : les islamistes ? Il fallait vivre en Algérie à l'époque pour se rendre compte de la violence de leurs prêches. Il me paraissait important d'écarter ce danger. C'est seulement après que sont apparues les dérives. »

 

Des dérives qui, selon B. Ali, sont couvertes par des consignes non écrites émanant des « conclaves », ces réunions de cadres de l'armée qui se tiennent dans une résidence d'Etat du littoral algérois [le Club des pins]. Outre les généraux les plus influents, sont présents les chefs de région et les chefs d'unité. C'est là que sont abordées les questions de la torture et des exécutions extrajudiciaires. D'après notre interlocuteur qui, lors de ces « conclaves », a occupé à plusieurs reprises la fonction de rapporteur, le débat se résume en ces termes : les « nettoyages » doivent-ils relever de l'initiative des gens sur le terrain ou faut-il qu'ils répondent au suivi d'une politique ? Pour un groupe d'officiers à la tête duquel se trouvait, dit-il, l'actuel patron de la sécurité intérieure, la réponse est claire : il faut systématiquement liquider. « Jusqu'alors, je n'avais pas eu de problème de conscience. Mais là, nous avons des directives, et le message destiné aux chefs opérationnels est on ne peut plus clair. Dès lors, toutes les dérives sont couvertes et il ne s'agit plus d'initiatives isolées. »

 

Pour B. Ali, l'assassinat du président Mohamed Boudiaf entérine la crise de confiance. Parmi la jeune génération des officiers de l'ANP, une vingtaine d'hommes, témoins des conditions de l'assassinat du président, sont exécutés dans les semaines qui suivent. Les commandants « Hadjeres » et « Hammou », respectivement en charge de la Sécurité présidentielle (SSP) et du Groupe d'intervention spécial (GIS), sont écroués à l'issue de la reconstitution de l'attentat d'Annaba. Ces mesures ont pour effet d'entamer le moral des subalternes de l'ANP, brutalement conscients de n'être que des fusibles protégeant les intérêts particuliers des hauts cadres de l'armée, et plus spécifiquement ceux des hauts gradés commanditaires de l'assassinat du président Boudiaf, dont le colonel B. Ali affirme connaître les noms, révélés sur le site Internet du MAOL.

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« En s'attaquant à la corruption endémique des potentats de l'armée, Mohamed Boudiaf s'était placé d'emblée dans la ligne de mire, analyse aujourd'hui B. Ali . De plus, il ne voulait plus de prisonniers politiques. Il s'était engagé à ce que le 5 juillet 1992 [date anniversaire de l'indépendance] , le problème politique du FIS soit résolu. » Le président souhaite notamment élargir Ali Benhadj et Abassi Madani, les deux principaux leaders du FIS. Mais pas question pour autant de réhabiliter le parti dissous : « S'ils n'entrent pas dans le cadre constitutionnel, qu'ils aillent se faire foutre ! », a-t-il coutume de déclarer en privé. Le président Boudiaf est surtout déterminé à gagner son ancrage dans la société civile. A cette fin, il crée le Rassemblement patriotique national (RPN), une « organisation de masse » destinée à supplanter l'ancien parti unique, le FLN (Front de libération nationale). Ces initiatives présidentielles sont jugées intempestives par les membres de l'état-major qui ne veulent pas d'une force dominante chapeautée par la présidence de la République . « Il y avait plus grave aux yeux des généraux : ce même 5 juillet 1992, Mohamed Boudiaf s'apprêtait à mettre à la retraite les généraux Mohamed Lamari [actuel chef d'état-major] et Mohamed "Toufik" Médiène », précise le colonel B. Ali . Le chef de l'Etat signe un décret qui doit paraître dans le journal officiel. Mais le 29 juin 1992, moins d'une semaine avant la date fatidique, son assassinat met fin à ses ambitions de réforme.

 

C'est dans le sillage de l'action politique de Mohamed Boudiaf qu'apparaît l'homme qui saura capter les attentes d'officiers en rupture de ban avec l'état-major. Tout au long des six mois de sa présidence, tant au niveau des contacts avec les cadres de l'ex-FIS que sur les dossiers de corruption des généraux, Mohamed Boudiaf bénéficie du soutien du très informé colonel Kasdi Merbah, leader du Mouvement algérien pour la justice et la démocratie (MAJD). Ancien chef de la sécurité militaire sous Houari Boumediène, il incarne la police politique des années de plomb. Le colonel B. Ali l'évoque avec déférence, car c'est ce même Kasdi Merbah qui inspire, en 1993, la création de la cellule Hakim, appelée à devenir le MAOL.

 

Ancien chef de la sécurité militaire sous Houari Boumediène, il incarne la police politique des années de plomb. Le colonel B. Ali l'évoque avec déférence, car c'est ce même Kasdi Merbah qui inspire, en 1993, la création de la cellule Hakim, appelée à devenir le MAOL. Au mois d'août de la même année, à son retour de Suisse où il a rencontré des cadres de l'ex-FIS, Kasdi Merbah tombe au cours d'une embuscade spectaculaire tendue par un mystérieux commando dont le professionnalisme tranche avec les méthodes habituellement employées par les GIA. Avant sa mort brutale, le colonel Kasdi Merbah était parvenu à rallier plusieurs officiers et officiers supérieurs. Il avait gagné notamment la confiance du général Saïdi Fodhil, qu'il avait appris à connaître dans les années 70, lorsqu'il était à la tête de la sécurité militaire. C'est au domicile de ce même Saïdi Fodhil que sont élaborés des scénarios dits de « sortie de crise », lors d' « anticonclaves » réunissant des cadres militaires provenant de tous les corps de l'institution. La cellule Hakim est née. « H pour Honneur, A pour Armée et K pour... Kasdi Merbah. ». Les dernières lettres demeurent codées. « Impératif de sécurité», s'excuse le colonel B. Ali, qui dit avoir déjà fait l'objet de deux tentatives d'enlèvement dans les rues de Madrid.

 

Dans son essence, le MAOL affirme être né d'une opposition radicale « à la stratégie du chaos érigée en dogme par les responsables de l'état-major ». Depuis les émeutes insurrectionnelles du FIS, en juin 1991, puis au lendemain de la suspension des élections législatives en janvier 1992, l'armée a au moins un objectif clair : décapiter l'état-major politique du FIS, déporter ses militants et sympathisants dans des camps du Sud, discréditer les islamistes. « Après la suspension du processus électoral, des milliers de jeunes ont commencé à rejoindre les maquis. En dehors de l'AIS [Armée islamique du salut, branche armée du FIS], il faut aujourd'hui compter près de 300 groupes rassemblant quelque 18 000 membres. Au début se posait à nous le problème de l'identification de ces personnes, car toutes n'étaient évidemment pas recherchées par les services. Nous avons alors créé de faux maquis, l'un des plus grands étant celui de Ténès [à l'ouest d'Alger] . Là-bas, nous commencions par réceptionner les jeunes qui prenaient le maquis. Une fois fichés, ils gagnaient d'autres maquis, qui, eux, étaient bien réels. Ténès n'a d'ailleurs jamais été inquiété, jamais bombardé. ».

 

Le colonel B. Ali révèle également les tenants et aboutissants de l'opération de la prison de Tazoult (ex-Lambèze, dans les Aurès), en mars 1994. Ce que les autorités présentent comme l'évasion de plus d'un millier de détenus islamistes semble en réalité une opération de manipulation d'envergure. Le MAOL affirme que, parmi les fugitifs, se trouvent de nombreux officiers de la sécurité militaire infiltrés dans la prison. En rejoignant les maquis des Aurès en tant qu'islamistes, ces agents en service commandé ont pour mission de faire capoter toutes les tentatives de rapprochement entre les instances des GIA et les leaders de l'ex-FIS. Ils déclenchent ce que l'on appellera la « guerre inter-maquis » entre les GIA, l'AIS et le MEI (Mouvement pour l'Etat islamique, créé en 1991 par Saïd Mekhloufi, ancien membre fondateur du FIS). « C'est ainsi que les maquis ont été déstabilisés, et c'est aussi à partir de ce moment que des officiers infiltrés ont pris la tête d'un grand nombre de katibates (sections). Dès lors, la sécurité militaire contrôlait la plupart des GIA », conclut B. Ali. L'accusation du MAOL se résume en ces termes : lorsque les GIA frappent, il faut y voir la main d'une armée décidée à couper les islamistes de leur base populaire, tout en segmentant la société. Toutes les catégories sociales sont visées. Chanteurs, responsables politiques, journalistes, médecins, universitaires, sportifs et intellectuels « survivants » doivent, selon le haut commandement militaire, se sentir redevables de leur sécurité. Ils n'ont plus qu'une alternative : l'exil ou les résidences dites « sécuritaires », qui les conduisent à « bunkériser » leurs vies et à limiter leur expression. Le dessein final est entendu : il s'agit de freiner la démocratisation du champ politique et de présenter l'armée comme la seule institution capable de protéger l'Algérie du « péril islamiste ». Postulat que le colonel B. Ali dément catégoriquement : « Les généraux font en réalité tout le contraire et alimentent à grande échelle la machine terroriste. »

 

Objet d'une intense spéculation pour cause de totale opacité, cet obscur collège de hauts gradés représente ce que B. Ali appelle le « cabinet noir », ou encore « les officiers de la vingt-cinquième heure » [allusion aux généraux issus de l'armée coloniale française], dont il donne l'organi-gramme : « On a le premier clan de l'armée, qui est, pour ainsi dire, le socle : les généraux Larbi Belkheir, Mohamed Lamine Médiène, alias " Toufik" [à la tête de la direction renseignement et sécurité - DRS], Ismaïl Lamari, alias " Smaïn" [à la tête du contre-espionnage - DCE], Chérif Fodhil, le chef des forces spéciales, et le général Mohamed Touati, qui est en quelque sorte le " politique" . Le relais au sein des cadres de l'armée, c'est le général Abdelmadjid Taghit. Mais Larbi Belkheir est un peu le parrain de tout le monde : tous lui doivent leurs carrières. Le véritable pouvoir se concentre entre les trois personnes, que nous surnommons "BTS " : Belkheir, "Toufik" et "Smaïn". Cependant, Larbi Belkheir ne veut se fâcher avec personne et entretient d'excellents rapports avec le clan des généraux en retraite, à la tête duquel se trouve le général-major Khaled Nezzar, ancien ministre de la défense. Un clan très puissant, majoritairement composé de militaires originaires de l'est du pays, sur lequel Larbi Belkheir s'appuie pour contrer les actifs qui voudraient s'opposer à lui. »

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Si, pour B. Ali, les généraux orchestrent le chaos, il reconnaît que certains groupes armés continuent à échapper au contrôle des services de sécurité. A sa connaissance, le maquis de Kartali, à Larbâa (Algérois), est l'un des rares qui n'aient jamais été infiltrés. Fait dont l'AIS ne peut se prévaloir. « Lorsque Madani Mezrag [chef de l'AIS] revient de la Légion arabe de Khadafi, il se fait " débriefer" par les services. Une zone d'ombre entoure ensuite l'épisode de son évasion de l'hôpital de Constantine. Il rejoint alors le maquis, mais, en 1995, à la veille des élections présidentielles, il est blessé lors d'une embuscade et se retrouve de nouveau en prison, d'où il écrit une lettre d'allégeance au chef de l'Etat - un texte de sept pages - dan s lequel il reconnaît l'autorité de Liamine Zeroual et où il lui demande d'oeuvrer pour une solution politique. Dès ce moment, le chef de l'AIS est bel et bien en contact direct avec les militaires. » Mais l'un d'entre eux, le général « Smaïn », patron de la sécurité intérieure, court-circuite la présidence en prenant la conduite des pourparlers. Il est alors décidé de maintenir les maquis de l'AIS pour contrebalancer les éléments incontrôlés des GIA et ménager des possibilités de négociation en temps et en heure. Le stratagème prend fin le 1er octobre 1997, lorsque Madani Mezrag, au nom de l'AIS et sous la férule de ses tuteurs gradés, annonce une « trêve unilatérale et inconditionnelle ».

 

Lorsque , la même année, le président Liamine Zeroual relâche Abassi Madani ; ce dernier s'engage à appeler à la cessation des hostilités. Mais les massacres de civils atteignent leur acmé, et le « clan présidentiel » - Liamin e Zeroual, son ministre-conseiller à la sécurité Mohamed Betchine et le patron de la gendarmerie nationale , Tayeb Derradji - est mis dans une situation d'énorme pression. « Vous traitez avec des égorgeurs, lui dit-on. O r, ce que la présidence ignore ou ne veut pas comprendre, c'est que l'état-major et les services, en entamant la dernière phase de la lutte antiterroriste, vont faire d'une pierre deux coups : ils mènent leurs propres négociations secrètes avec l'AIS afin de court-circuiter un accord probable entre le FIS et la présidence, car l'état-major et les services ne veulent pas d'un tel accord. Et cela leur permet aussi de faire pression sur l'AIS, en obligeant celle-ci à se démarquer des massacres. Ce à quoi elle se résout en accusant formellement les GIA d'être responsables de toutes les exactions. »

 

Le but de la manoeuvre ne fait aucun doute pour B. Ali : l'état-major et les services préfèrent un accord « sécuritaire » à un accord politique. Ces négociations secrètes sonnent, en outre, la victoire de l'institution militaire sur la présidence (le président Zeroual ne tarde pas à « tomber ») et sur les groupes armés, dès lors assimilés à des criminels de droit commun, puisqu'ils ne bénéficient plus de couverture « politique ». L'assassinat, lundi 22 novembre, de Abdelkader Hachani, numéro 3 de l'ex-FIS, s'inscrirait ainsi dans cette démarche éradicatrice . « En éliminant cet ultime "politique" du FIS, interlocuteur incontournable et dernière passerelle vers un règlement de fond de la crise, les jusqu'auboutistes du pouvoir écartent toute perspective d'un règlement politique du conflit en consacrant des accords sécuritaires secrets. »

 

Pour B. Ali, la réalité sur le terrain est - pour le moins - gigogne : « Sur les 1 300 terroristes qui se sont rendus à ce jour dans le cadre de la loi sur la concorde civile, je peux vous assurer que plus de 700 sont des officiers infiltrés appelés à rejoindre leurs casernes... Car, en réalité, les commandos responsables de la plupart des exactions sont mixtes. Des terroristes islamistes sont d'abord arrêtés au cours des ratissages des forces de sécurité. Ils sont retenus et torturés, puis on les intègre aux commandos de l'armée chargés de massacrer leur village d'origine, et je peux vous dire que quand, sous la menace, on leur ordonne d'égorger, ils obéissent ! Lors de ces opérations, les premières maisons sont systématiquement épargnées, ce qui permet de fournir des témoins à même d'affirmer qu'ils ont reconnu des islamistes du village... » Parallèlement, l' « Unité 192 », une force spéciale connue du seul premier carré de l'armée, est créée. Composée d'environ 200 éléments ultradéterminés, recrutés dans le Service action de l'armée, la gendarmerie ou encore la police, cette unité constitue le bras séculier des « janviéristes » de l'armée - 192 signifiant le mois de janvier 92, date de la destitution de Chadli Bendjedid et du coup d'Etat à blanc. Cet « escadron de la mort » est destiné à faire le nettoyage au sein de la « Grande Muette » et à convaincre sans ménagement les plus récalcitrants du bien-fondé de la politique des généraux.

 

Face à cette « apocalypse programmée », les membres de la cellule Hakim décident d'intensifier leur action clandestine au sein de l'institution militaire. Ils nourrissent d'ambitieux projets, dont celui d'un coup d'Etat. Option qu'ils abandonnent rapidement au profit d'un travail de sape appelé à s'inscrire dans la durée. D'autant que, quelques mois après la disparition de Kasdi Merbah, un accident de voiture suspect emporte le général Saïdi Fodhil, privant ainsi le mouvement de sa seconde figure de proue. Cette disparition achève de convaincre les membres de la cellule qu'il est vain de planifier une action d'envergure à la seule échelle du pays. Plusieurs éléments du mouvement vont alors s'exfiltrer, avec pour mission de révéler à l'opinion internationale la réalité de la violence politique qui sévit en Algérie. Au sein de la cellule, la consigne est désormais claire : « La dénonciation des faits vaut mille actes de violence. »

 

C'est d'abord un colonel qui parvient, en 1995, à gagner les Etats-Unis, où il donne une série d'interviews à la presse arabe. Puis, en 1997, c'est au tour du capitaine Haroun de rejoindre l'Angleterre, où il multiplie les entretiens avec la presse arabe et britannique ( The Observer). Son témoignage est repris par Le Monde du 11 novembre 1997. Quant à l'officier Messaoud Alili, il prend la poudre d'escampette au nez des forces aériennes, en effectuant à bord d'un simple hélicoptère le trajet Alger-Ibiza.

 

A l'été 1997, la cellule Hakim devient le MAOL, un mouvement structuré placé sous le commandement d'un général d'active. Cependant, la répression s'accentue : en février 1998, les décès du général Touahri, du colonel Toubih et du capitaine Zelmati, qui périssent dans un accident d'hélicoptère inexpliqué alors qu'ils survolent la région de Béchar, viennent allonger la liste des morts prématurées. L'hécatombe précipite l'exfiltration du colonel B. Ali, qui rejoint l'Espagne.

 

Depuis cet exil européen - qui concerne 68 autres éléments de l'ANP répartis à l'étranger, notamment en Europe de l'Est -, B. Ali, épaulé par d'autres militants du MAOL, travaille à la constitution de nombreux dossiers. « Aux côtés d'avocats, nous réunissons des preuves, rédigeons des plaintes. Notre objectif vise à obtenir la traduction devant les tribunaux de plusieurs généraux [il cite six noms]. Notre mouvement vise l'implosion du système mis en place par ces hommes, et au retrait complet des militaires de la gestion politique du pays. Nous avons des échéances, et elles sont proches. » Devenus le cauchemar de la haute hiérarchie militaire, les « maolistes » ont récemment été contactés par le général « Smaïn » Lamari, qui leur aurait proposé un « mariage de raison » : la réintégration des dissidents contre la promesse de cesser le « tapage ». « " Smaïn" a même été jusqu'à promettre à certains d'entre nous des postes dans des ambassades ou des consulats à l'étranger », sourit, désabusé, le colonel B. Ali . Mais derrière la carotte, il y a le bâton. Le mouvement dit subir actuellement une répression féroce sur le sol algérien, faite d'une quinzaine d'exécutions extrajudiciaires, dont celle, il y a quelques semaines, dans un restaurant de Kabylie, du colonel Medjbar. Ou encore d'une centaine de mises au secret, dont celle de la capitaine Wassila Cherfaoui, soupçonnée d'avoir organisé depuis le secrétariat général du ministère de la défense nationale les fuites des véritables chiffres du scrutin présidentiel du 14 avril 1999 (28,30 % de voix pour Abdelaziz Bouteflika au lieu des 73,8 % annoncés).

 

Les chefs de région et d'unité de l'ANP ont récemment reçu une circulaire signée du chef d'état-major Mohamed Lamari leur intimant de redoubler de vigilance face à toute menée subversive. L'heure est à la suspicion généralisée et aux mesures expéditives : cinq membres du MAOL, parmi lesquels un colonel, un commandant, un capitaine et deux lieutenants-colonels ont été abattus, vendredi 5 novembre, dans un restaurant du Figuier, près de Boumerdès. Ces meurtres ont été attribués aux GIA par la presse algérienne. Alors que l'assassinat d'Abdelkader Hachani n'a pas été revendiqué, le MAOL, qui prétend détenir un certain nombre d'informations quant à la reprise des attentats ciblés, avance sans plus de précisions : « Comme ils nous y ont habitués, les généraux pourraient vouloir brouiller les pistes menant à l'identité réelle des assassins d'Abdelkader Hachani, en s'en prenant cette fois à une personnalité laïque, proche des milieux éradicateurs. »

 

Un colonel dissident accuse

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Guest mounir 19
le pouvoir a organisé, plannifié les massacres de grande ampleur, la vérité, les preuves sont déjà présentes, mais les algériens sont trop naifs....

 

pauvre Algérie

 

.........

 

pas forcément je dirai plutôt qu'ils son entre le marteau et l'enclume ils n'on guère le choix !

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Guest anincognito

Veuillez m'excuser, mais ayant un mal de tète, je n'arrive pas à lire de si longs articles, pourriez-vous donc avoir l'amabilité d'énumérer une par ligne les preuves accablantes que pourrait contenir cet article et qui incrimineraient l'armée dans les massacres de la décennie noire, qui ont eu lieu en Algérie?

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  • 1 year later...

Reha Malek, Belaid Abdesslam, Sid Ahmed Ghozali, Ouyahia, Belkhadem, Nahnah et sa famille, les autres du MSP, Khalida Messaoudi, Sidi Said, Said Saadi,… la liste est si longue sans parler des officiers DAFistes et du DRS,…

Chadli et sa clic, Zerowalou et cie, Betchine et cie ….

 

Ils sont responsable des 200 000 morts en Algerie.

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