El-Guerroumi 10 Posted March 18, 2012 Partager Posted March 18, 2012 Guerre d'Algérie. Un récit, deux voix LE MONDE | 18.03.2012 à 08h26 Nordine Belahouel a 16 ans. Il est en classe de première scientifique au lycée Zaamoum dans le quartier Awagnouni. | Lahcène Abib Lorsque débute la guerre d'Algérie en 1954, les appelés français ont une vision particulière de leur destination. Les manuels scolaires de leur enfance leur ont inculqué une image idéalisée de la colonisation - la mise en valeur du pays, l'extension des terres cultivées, l'établissement d'un réseau moderne de transport et de communication -, loin de la réalité qu'ils vont découvrir sur place. Comme l'a rapporté l'historien Daniel Lefèvre, les livres de classe sont alors "écrits pour remplir une fonction civique (...), transmettre une vérité officielle. La plupart des soldats du contingent et la masse des Européens d'Algérie ignorent donc son histoire, ses réalités, et vont aborder la guerre d'Algérie avec "bonne conscience"". Cinquante ans après le cessez-le-feu conclu le 19 mars 1962, au lendemain des accords d'Evian, la perception a évidemment changé du tout au tout. Les enseignants eux-mêmes se sont affranchis des manuels. En 2004, Le Monde avait assisté, dans un collège de Longjumeau (Essonne) au questionnement d'élèves de 3e, souvent concernés dans leur environnement familial par la guerre d'Algérie, et à leur soif de témoignages sans parti pris. Seule une collégienne avait écrit : "Pour moi, les harkis sont des traîtres." Huit ans plus tard, leur professeur d'histoire a changé d'établissement, mais n'a pas oublié la leçon. Claire Podetti, qui travaille désormais au collège Charles-Péguy, à Palaiseau (Essonne), fait venir dans ses classes Henri Alleg, militant communiste qui témoigna sur la torture dans un livre qui fit date, La Question (Editions de Minuit, 1958), le journaliste Claude Sales, ancien appelé, auteur de La Trahison (Seuil, 2006), ou Fatima Besnaci-Lancou, fille de harkis et avocate passionnée de leur cause. "Avant, souligne Claire Podetti, on enseignait avec nos craintes, nos peurs d'être contestés. Désormais, pour moi, il ne reste plus de tabous, tout est abordé. Et les élèves comprennent bien la complexité de cette guerre." Thierry Levasseur, enseignant en classe de terminale dans un lycée de Gif-sur-Yvette (Essonne), fait lui aussi appel à des témoins et utilise toutes sortes de documents, des photos aux albums de bande dessinée de Jacques Ferrandez. "L'histoiresert à comprendre", justifie-t-il, répondant ainsi à la célèbre question de Marc Bloch, "A quoi sert l'histoire ?" "La guerre d'Algérie touche encore une large partie de la population, estime de son côté Kamel Chabanne, professeur au collège Jean-Perrin de Vitry-sur-Seine (Val-de-Marne). Les élèves sont contents de l'aborder pour avoir des réponses à leurs questions, parce que la mémoire familiale a souvent véhiculé tout cela." Même si le temps est compté. Deux heures, en moyenne, au collège, dans un vaste programme sur la décolonisation et l'histoire de la IVe République, un peu plus au lycée. Amar Sid Ahmed a 18 ans. Il est en classe de seconde langue vivante au lycée Amrben Lkhatab à Alger. Il tient dans ses mains un livre d'histoire où est enseigné le colonialisme et l'indépendance de l'Algérie. | Lahcène Abib De part et d'autre de la Méditerranée, le récit de la guerre a ainsi évolué, mais toujours à deux voix dissonantes. "On retrouve les lieux, des personnages, mais on n'aborde pas la guerre de la même façon. Les histoires ne se croisent pas, elles se touchent, elles s'entrechoquent", analyse Lydia Aït Saadi-Bouras, chercheuse à l'université Paris-VIII, auteure d'une thèse sur la nation algérienne à travers les manuels scolaires algériens, soutenue en janvier 2010. D'un côté, on mettra en avant la fin du conflit négociée avec les accords d'Evian, au terme d'une "guerre" qui ne trouve pas de qualificatif, de l'autre une "révolution nationale" et une indépendance arrachée par les armes. En France, il a fallu attendre la loi du 18 octobre 1999 pour qu'officiellement l'expression de "guerre d'Algérie et des combats en Tunisie et au Maroc" se substitue à celle d'"opérations effectuées en Afrique du Nord". Le politique était en retard. Car, dès la fin des années 1970, le mot "guerre" figurait bien, lui, dans les manuels scolaires. Benoît Falaize, professeur agrégé d'histoire à l'université de Cergy-Pontoise, distingue trois grandes périodes dans l'apprentissage scolaire postcolonial. De 1962 à 1983 - date à laquelle la guerre d'Algérie, enseignée seulement dans les collèges, fait son entrée au lycée -, les manuels survolent le conflit. Les documents sont rares, l'année 1962 résumée parfois en une phrase lapidaire. "Il y a un évitement, pas de commentaires, comme on tournerait la page au plus vite", note l'historien. Les aspects les plus sensibles, comme la sanglante répression policière de la manifestation du Front de libération nationale (FLN) organisée à Paris, le 17 octobre 1961, sont passés sous silence. Sur seize manuels alors utilisés par les enseignants, un seul évoque la torture et la répression féroce des émeutes du 8 mai 1945 à Sétif, au cours desquelles des milliers d'Algériens furent tués. Dans les années 1984-2003, une mutation s'opère. "On assiste à une montée en puissance des témoignages des pieds-noirs", note Benoît Falaize. Et la guerre devient une "sale guerre", avec son cortège d'atrocités évoquées, dans un souci manifeste d'équilibre, des deux côtés. Le manuel de 3e Bréal, édité en 2003, reflète cette volonté : "D'un côté, le vote des pouvoirs spéciaux accorde à l'armée française une marge de manoeuvre quasi illimitée. En face, les hommes du FLN pratiquent le terrorisme." Après 2005, et la loi controversée sur l'héritage de la colonisation, les mémoires sont de plus en plus sollicitées, qu'il s'agisse des juifs, ou des harkis, jusque-là exclus. Dans la dernière période 2007-2011, les figures algériennes jusqu'alors peu connues, en dehors d'Ahmed Ben Bella, premier président de la République algérienne, apparaissent, comme les membres fondateurs du FLN, Mohamed Boudiaf, Hocine Aït-Ahmed, Mohamed Khider, Mostefa Lacheraf. Pour la première fois, les camps de regroupement forcé sont mentionnés (Hatier, 2008) et trois manuels sur dix évoquent désormais les massacres de Sétif et de Guelma en 1945. A la rentrée 2012, une nouvelle étape sera franchie : l'histoire se poursuivra désormais après la date de l'indépendance de l'Algérie, le 5 juillet 1962, dans un programme intitulé : "Des colonies aux Etats indépendants". Si l'histoire enseignée devient plus objective, elle ne reste jamais neutre. En 2005, l'article 4 de la loi du 23 février sur les rapatriés prévoyait, sous la pression de députés, que "les programmes scolaires reconnaissent en particulier le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord, et accordent à l'histoire et aux sacrifices des combattants de l'armée française issus de ces territoires la place éminente à laquelle ils ont droit". Devant le tollé soulevé, l'article a fini par être retiré, non sans avoir sérieusement perturbé les relations diplomatiques franco-algériennes. Au gré de ces relations, le Kassaman, l'hymne national algérien, écrit en 1955 et adopté en 1963, a figuré avec ou sans son cinquième couplet dans les manuels scolaires : "Ô France, le temps des palabres est révolu/Nous l'avons clos comme on ferme un livre/Ô France, voici venu le jour où il te faut rendre des comptes..." Il est à l'heure actuelle rétabli. En Algérie, les manuels scolaires en arabe dépendent exclusivement du ministère de l'éducation nationale. Jusque dans les années 1990, la "guerre de libération nationale" magnifie "un seul héros, le peuple" et légitime le FLN au pouvoir. Dix-sept biographies de "martyrs" comme Mostefa Ben Boulaïd, commandant militaire dans les Aurès, tué en 1956, ou Mourad Didouche, disparu en 1955, qui ont donné leur nom aux grands boulevards d'Alger, figurent en bonne place. Rien sur les témoins encore vivants. "Les manuels relayaient ce qui tenait lieu d'histoire officielle et magnifiaient la dimension militaire au détriment du contenu politique, rapporte l'historien Abdelmajid Merdaci, professeur à l'université de Constantine. L'accent était mis sur le nationalisme islamique, le djihad, alors que les oulémas n'ont rejoint le FLN que sur le tard." La violence du colonisateur est détaillée, pas celle de son départ. "Cela ne concerne plus l'histoire algérienne, on tourne la page", note la chercheuse Lydia Aït Saadi-Bouras. Une évolution se dessine à partir de 1991, année qui marque l'ouverture au multipartisme en Algérie. Les figures nationales proscrites, écartées des mémoires, comme Ahmed Ben Bella, Messali Hadj ou Hocine Aït-Ahmed font leur apparition dans les livres de classe, non sans parfois donner lieu à de vives polémiques. La réhabilitation de la lutte politique s'affirme à partir des années 2000, à travers la figure de Ferhat Abbas, qui devint, après la guerre, président de l'Assemblée constituante. La levée des interdits se traduit aussi par l'intégration, progressive, de "l'histoire réelle". Le Mouvement national algérien (le MNA, contre lequel le FLN mènera une lutte fratricide sans pitié) est cité, "dans les pages des traîtres, nuance Lydia Aït Saadi-Bouras, comme les caïds, les porteurs de sauf-conduit, les supplétifs, les harkis". Mais rien n'est dit, pour ces derniers, sur les exactions qu'ils ont subies. Dans un pays déchiré dans les années 1990-2000 par une guerre civile, "le but est toujours la concorde civile", souligne l'historienne. L'ouverture, cependant, se mesure aussi au recours à des historiens français et algériens, comme Benjamin Stora, Mohamed Harbi ou Gilles Manceron. Il reste des tabous, absolus : ainsi de la violence de l'été 1962 (notamment le massacre de plusieurs centaines de pieds-noirs à Oran) ou des luttes intestines et meurtrières du pouvoir. "Il n'échappera à aucun observateur averti que le régime algérien a positivement censuré, en dépit des rodomontades et des faux procès de la colonisation, tout examen documenté des crimes commis durant la guerre et après, assène Abdelmajid Merdaci. Les camps, l'usage du napalm, la torture, les viols, sont plus facilement exposés à Paris qu'à Alger.""Les acteurs témoignent en leur nom propre, pas au nom du collectif", observe l'historien, pointant du doigt ce qu'il nomme, dans la société algérienne, "une absence de désir d'histoire". En particulier chez les jeunes... pour qui sont écrits les manuels. Citer Link to post Share on other sites
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