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Le pays a accumulé les rendez-vous ratés avec l’histoire


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Le journaliste et grand ami de la Révolution algérienne estime que «la France est incapable de regarder son histoire tragique en face».

 

 

Dans un entretien qu’il a accordé au quotidien romand La Liberté, Charles Henri Favrod, journaliste suisse, qui a soutenu la révolution algérienne et grandement contribué au déroulement des négociations d’Evian, a estimé que ces Accords ne sont en fait qu’«une fiction». «Les années 1961 et 1962 ont été des années de sang. Mais Français et Algériens ont continué de négocier paragraphe par paragraphe les Accords sur le statut des Français d’Algérie et les conditions de l’indépendance… Franchement, ces Accords étaient caducs. Au moment de la signature, il n’y avait plus de Français en Algérie. Ils avaient tous pris le bateau pour rentrer en France. Donc, les Accords d’Evian n’ont été qu’une fiction. Ce sont des textes inutiles. Mais ils marquaient l’indépendance algérienne. L’armée française confiait le maintien de l’ordre à l’armée algérienne des frontières, des forces massées au Maroc et en Tunisie.

 

Rapidement, un clan de nationalistes va liquider les têtes historiques de la Révolution. Et ce sont les gens de l’extérieur qui vont contrôler Alger. Depuis, le pouvoir a été confisqué. Du coup, les véritables acteurs de la Révolution vont être écartés au profit de la dictature militaire. Aït Ahmed et Ben Bella sont les exilés les plus célèbres de Suisse jusqu’à aujourd’hui», note le journaliste et ancien directeur du Musée de l’Elysée à Lausanne. A 84 ans, Favrod relate son engagement pour l’indépendance de l’Algérie et souligne le rôle important joué par son pays, la Suisse, dans la Révolution. Il note que c’est à Berne, pendant la Coupe du monde de 1954, que les nationalistes algériens se réunissent pour préparer le déclenchement de la guerre de Libération. «C’était une occasion unique. La Coupe du monde donnait un alibi aux Algériens de France, d’Egypte, du Maghreb de venir en Suisse.

 

Officiellement, ils suivaient les compétitions de foot. D’ailleurs, Ahmed Ben Bella, qui adorait le foot, croyait devenir fou parce qu’il ne pouvait pas aller voir les matches. Ses camarades le lui avaient interdit, de peur de se faire démasquer par les agents du renseignement français. Ben Bella avait également rencontré une jeune Suissesse charmante. Mais là aussi, on ne lui a pas permis de trop s’afficher avec elle», indique Favrod en citant les noms des cinq chefs historiques présents à Berne sur les neuf qui ont été à l’origine de l’insurrection du 1er Novembre. «Il y avait la crème, notamment Boudiaf, Abane Ramdane, Aït Ahmed et Ben Bella. Sans oublier que la Charte de la Soummam, acte fondateur de l’Algérie, a été imprimée par Henri Cornaz, à Yverdon», témoigne le journaliste.

 

Ce dernier était en rapport avec la Révolution à travers les membres de la Fédération de France, notamment Tayeb Boulahrouf, et son engagement pour l’Algérie indépendante remonte à l’année 1952, où il avait rencontré des Algériens au Caire, puis après un voyage à Alger, il dit avoir compris qu’une «Algérie française était illusoire». Il estime que jusqu’à ce jour «la France est incapable de regarder son histoire tragique en face». Tout en relatant le rôle majeur joué par la Suisse, notamment en permettant la constitution d’une base arrière pour le FLN, en intervenant pour permettre des négociations et garantissant les conditions d’hébergement et de protection de la délégation du GPRA lors des rencontres d’Evian, le journaliste Favrod exprime des regrets sur l’Algérie d’aujourd’hui. «Je suis resté fidèle à l’Algérie, même si je suis très sceptique sur la façon de gérer le pays après l’indépendance en 1962.

 

Alors qu’il devait être une République pluraliste, le pays a accumulé les rendez-vous ratés avec l’histoire. L’Algérie n’a pas cessé de traverser des moments difficiles. Une jeunesse formidable mais sans avenir… Ce peuple a déjà connu des années 1990 très douloureuses, endeuillées par le terrorisme. Aujourd’hui, la contestation sociale et le mal-vivre sont très endémiques, sans parler d’un système politique toujours sclérosé.» Evoquant les révolutions arabes, Charles Henri Favrod estime que «c’est un nouveau mouvement de décolonisation avec une histoire à réécrire. Le Monde arabe veut prendre sa liberté. Après la domination étrangère, il est tombé dans les mains de élites dont certaines sont devenues de véritables crapules. La nouvelle génération de Tunis, Alger, Le Caire, Damas, veut la dignité et une démocratie pensée par le peuple. Dans cette région, tout est à refaire».

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