Jump to content

La vérité dite aux Musulmans d’Occident


Recommended Posts

A l'époque moderne, ce sont de mauvaises raisons qui ont poussé l'Occident à s'intéresser au monde arabo-musulman. Elles n'étaient pas mauvaises en elles-mêmes. Elles l'étaient par leurs motivations : la haine, l'ignorance et l'intérêt. Il faut évidemment préciser que la première ne se dirigeait ni contre la religion musulmane ni même contre une partie du monde située au sud et à l'est de la Méditerranée.

 

La haine animait alors le cœur de nombreux Européens à l'encontre des deux principales familles régnantes continentales. Lorsque la destinée des Habsbourg a décliné, celle des Bourbons a atteint son firmament. Dans l'exécration, elles se sont succédées. On célébrait tout ce qui pouvait leur nuire, on plaignait leurs ennemis. Les Mahométans rentraient dans cette catégorie. On chantait au hasard des airs faussement inspirés par un Islam devenu sympathique depuis que l'on savait qu'il n'envahirait pas l'Europe. Et si le Maure faisait peur, il rehaussait le prestige du Cid qui le combattait.

 

Elles avaient un point commun, l'Espagne. Elles eurent leurs figures détestées : Charles Quint, puis Louis XIV. Le premier, né en Flandre duc de Bourgogne devint roi des Espagnes à quinze ans puis roi de Naples et des Siciles et enfin Saint Empereur, héraut de la Chrétienté contre les Turcs et les pirates de Méditerranée. Les Espagnols débarquèrent à Tunis en 1535 puis échouèrent devant Alger en 1541.

 

Louis XIV vainqueur de la noblesse française et fier de l'extension minutieuse de son royaume - le traité de Nimègue en fut l'apothéose en 1678 - s'enticha dans un second temps des lubies de son aïeul : persécution des protestants et diplomatie expansionniste, qui transformaient la France en ennemie du reste de l'Europe. La guerre dite de Succession d'Espagne (1701-1714) faillit se transformer en fiasco avant que l'armée du roi de France n'eût rétabli in extremis la situation. Utrecht signa l'échec d'un Bourbon qui dut se satisfaire des apparences. Son petit-fils demeurait roi à Madrid. Le parti espagnol manigançait à la Cour.

 

Cette Espagne très catholique faisait couler l'encre des librettistes, des pamphlétaires et des penseurs. Sous leur plume, elle incarnait la puissance tirée des métaux précieux importés d'Amérique (Chaunu), les armées invincibles (tercios), le mysticisme baroque et sulfureux, entre autres tares. Qui pouvait bien comprendre la spiritualité de Jean de Dieu, de Jean de la Croix ou de Thérèse d'Avila.

 

Mais après la mort de Louis XIV, l'Espagne bourbonienne cessa d'inquiéter tant les puissances commerciales du nord dépassaient leurs rivales continentales. Elle suscita désormais les quolibets, au mieux la commisération. Les Français se montrèrent aussi durs que les autres, qui ne pardonnaient pas le fardeau de la guerre de Succession. On vit apparaître les piques contre l'intolérance religieuse, les conversions forcées, les persécutions de l'Inquisition. La Compagnie de Jésus fondée par Ignace de Loyola concentrait peut-être plus que tous les autres les attaques. On ironisait plus généralement sur l'affaiblissement de l'Espagne bourbonienne, sur sa corruption prétendument née de l'absolutisme et du système colonial.

 

En France, les hommes des arts, des lettres et des sciences avaient tranché. Ils estimaient par principe les pays d'Islam. Voltaire faisait achever Candide à Istanbul. Montesquieu appelait au secours des Persans. Mozart marchait. Beaumarchais ironisait sur la vanité de la noblesse espagnole et mariait Figaro. Mozart jubilait. Mais les Encyclopédistes, dès qu'ils en étudiaient les fondements, ne ménageaient pas la société musulmane. Ils en dénonçaient sans vergogne les obscurités .

 

Lors de la période révolutionnaire, un roman synthétisa parfaitement les malentendus précédents. Il s'agissait du Manuscrit trouvé à Saragosse de Jean Potocki, dont certaines parties furent publiées à la fin des années 1810. La trame ne se limitait pas à l'Espagne et au Maghreb, mais le lecteur y retrouvait les ressorts de la redécouverte ; comme il y a eu une reconquête. L'Espagne catholique, ascétique et sacrificielle ne pouvait plus cacher aux yeux du comte polonais écrivain et soldat ce qu'elle n'avait pas effacé : l'Andalousie arabe et mystérieuse, chaleureuse, lascive et tolérante.

 

Au sud de la Méditerranée, la religion apparaissait comme le contraire idéal de l'Europe chrétienne, taxée d'hypocrite et arc-boutée sur sa hiérarchie sociale en voie d'implosion. L'Islam structurait visiblement des sociétés apparemment égalitaires. Les voyageurs décrivaient une misère assumée, parce que les mendiants vivaient de l'aumône obligatoire et n'étaient donc pas culpabilisés. Les riches, propriétaires terriens et/ou commerçants qui exploitaient le fellah dissimulaient leur opulence. Les Occidentaux de passage s'éblouissaient de soleil et de couleurs. Ils ne discernaient pas clairement le rôle des docteurs de la loi et en déduisaient : ni puissants, ni clergé.

 

Ingres déclenchait l'émoi avec son Odalisque. Géricault prolongeait Goya. Il précédait Delacroix. Les Orientalistes concrétisaient leur rêve... Qu'importait au fond si le rêve ne s'approchait guère de la réalité. L'histoire allait se poursuivre sur un malentendu.

 

 

 

Le siècle devait s'achever avec le roi le plus populaire de son temps. Il s'arrêta en 1792 par la proclamation de la Première République. Les questions financières avaient précipité la convocation des Etats Généraux, et dans un mouvement imprévu, la Constituante avait accouché de la Convention. Huit décennies plus tôt, Utrecht avait autorisé une paix sur le territoire français comme il n'y en avait jamais eu par le passé ? La Révolution précipita le continent dans une nouvelle guerre de Trente ans qui déborda au sud de la Méditerranée...

 

Celui qui se rendit indispensable au Directoire (1795-1798), Bonaparte, sortait des rangs d'une petite noblesse provinciale qui jusque là ne pouvait progresser dans la hiérarchie militaire, faute de titres et d'appuis suffisants. Dans cette armée en gestation, tous escomptaient obtenir une place au soleil. Beaucoup défendaient les mérites d'une sélection des officiers par le mérite et non par la naissance. Le maréchal de Guibert (1743-1790) et son Essai général de tactique (1772) révolutionnait la pensée militaire.

 

L'armée française se transformait, forte des apports de Frédéric II à l'art de la guerre : ordre oblique contre l'ordre mince. A Marengo, le choix est vite fait (source). Bon an, mal an, le corps des officiers se professionnalisait, avec des écoles de cadets dépendant de l'Ecole Militaire de Paris. Dans celle de Brienne, le jeune Bonaparte arriva à l'âge de dix ans (1779) et en repartit à quinze. Mais d'autres suivaient ou le précédaient de peu : Moreau (1763-1813), Hoche (1768-1797), Marceau (1769-1796), Desaix, le sauveur de Marengo (1768-1800), ou encore Kleber (1753-1800). Tous présentaient peu ou prou les mêmes qualités intellectuelles et morales : curiosité, goût pour les sciences et les lettres, vivacité du jugement dans l'action, courage personnel au plus fort de la bataille. Les deux derniers participèrent à l'expédition d'Egypte.

 

Bonaparte était-il un précurseur, ou suivait-il un mouvement préexistant ? Fadi El Hage montre fort opportunément qu'il est vain de vouloir trancher : l'Empereur exilé à Saint-Hélène s'est évertué à brouiller les pistes, à réécrire l'histoire pour la présenter mâchée à ses commentateurs. Il ne voulait aucun rival entre César et lui. Les historiens éprouvent encore aujourd'hui les plus grandes difficultés à s'extraire de ce Mémorial vénéneux. Je ne m'y risquerai pas moi-même. César avait offert la Gaule à Rome pour plusieurs siècles. Napoléon laissa la France plus réduite qu'il ne l'avait trouvée à son élection comme Consul. César n'avait plus que des rivaux politiques, Napoléon élimina physiquement la plupart et salit les autres, tout en permettant à l'Angleterre de régner sur le monde pour un siècle, débarrassée qu'elle était d'une marine française anéantie.

 

César avait ancré l'Afrique à l'Empire romain. Napoléon y trouva l'occasion d'accroître durablement le malentendu entre l'Occident et l'Orient. L'expédition d'Egypte fut un gigantesque fiasco militaire au cours duquel des milliers de soldats et de marins (Aboukir) trouvèrent la mort. Si Desaix, le Sultan de la Haute Egypte s'en sortit vivant, Kleber n'eut pas cette chance : lui qui le lendemain du départ de Bonaparte en août 1799, se déplaça dans la ville du Caire, précédé de deux colonnes de soldats tapant le sol de bâtons et criant devant eux en arabe : "Voici le général en chef, musulmans, prosternez-vous !". Kleber poignardé le 14 juin 1800, ce fut le général Menou, officiellement converti à l'Islam qui signa la capitulation française...

 

Le corps expéditionnaire ouvrit certes la voie à des découvertes scientifiques majeures, en particulier dans le domaine des Antiquités, mais aussi à l'épanouissement des arts. C'était à double tranchant. La mise à jour des ruines de l'Egypte ancienne jetait à la face des habitants de la vallée du Nil qu'une civilisation brillante avait surpassé la leur, sur les mêmes emplacements. Ils prenaient de plein fouet cette nouvelle par l'entremise d'une armée d'Européens débauchés et sanguinaires qui les humiliaient par leurs techniques civiles et militaires, par leur organisation administrative.

 

Sans l'expédition d'Egypte, l'Angleterre n'eut pu avancer ses pions au Proche-Orient. Bonaparte donna indirectement naissance à Mehemet Ali, fondateur de l'Egypte dite contemporaine : '80 millions d'Egyptiens'. On présente ce dernier comme un grand modernisateur, plus rarement comme celui qui transposa dans la société musulmane de son pays le pire des legs napoléoniens : l'assujettissement de la population à l'homme de guerre, au souverain et au chef charismatique et/ou religieux. Avant Mustapha Kemal. En Europe, le Pape avait résisté péniblement à l'Usurpateur ; en Afrique du Nord, les oulémas chavirèrent. Al Azhar fermée par les Français, dont la grande mosquée avait subi les derniers outrages, devint l'université-croupion de l'autocrate.

 

Un monde est né tandis que Haydn composait et faisait jouer sa Création (1796-1798).

 

Je surligne cette campagne d'Egypte sans évidemment méconnaître l'extraordinaire ampleur de l'histoire européenne de 1793 à 1815. Dans la geste napoléonienne, il faut cependant extraire encore l'invasion de l'Espagne en 1807. Napoléon synthétisait en effet les idées de son époque. Le mépris de l'Espagne camouflait une grande méconnaissance de sa géographie et de son histoire. Les Espagnols étaient censés préférer les Bonaparte aux Bourbons. Les catholiques mi-juifs mi-musulmans allaient accueillir à bras ouverts les armées révolutionnaires. La marche sur Madrid se déroulerait sans heurts ni difficulté. La péninsule servit en tout cas de tombeau à une bonne partie de l'armée napoléonienne, l'autre s'enterrant entre Friedland et Moscou. Désastre, encore...

 

 

Bruno de Larivière

geographedumonde

Link to post
Share on other sites

Join the conversation

You can post now and register later. If you have an account, sign in now to post with your account.

Guest
Répondre

×   Pasted as rich text.   Paste as plain text instead

  Only 75 emoji are allowed.

×   Your link has been automatically embedded.   Display as a link instead

×   Your previous content has been restored.   Clear editor

×   You cannot paste images directly. Upload or insert images from URL.

×
×
  • Create New...