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Marwan Barghouti: Le nouveau Mandela


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Uri Avnery, dimanche 1er avril 2012

 

MARWAN BAR*GHOUTI a parlé. Après un long silence, il a émis un message depuis sa prison.

 

Pour des oreilles israé*liennes ce message n’a rien d’agréable. Mais pour des Pales*ti*niens et pour des Arabes en général, il a du sens.

 

Son message pourrait bien devenir le nouveau pro*gramme du mou*vement de libé*ration palestinien.

 

J’AI REN*CONTRÉ pour la pre*mière fois Marwan aux beaux jours d’optimisme d’après Oslo. Il appa*raissait alors comme le leader de la nou*velle géné*ration pales*ti*nienne, celle des jeunes mili*tants, hommes et femmes, du pays qui avaient mûri dans la pre*mière intifada.

 

C’était un homme de petite taille et d’une forte per*son*nalité. Lorsque je l’ai ren*contré, il diri*geait déjà le Tanzim (“orga*ni*sation”), le mou*vement de jeu*nesse du Fatah.

 

Le sujet de nos conver*sa*tions d’alors était l’organisation de mani*fes*ta*tions et d’autres actions non-​​violentes, s’appuyant sur une coopé*ration étroite entre les groupes de paix pales*ti*niens et israé*liens. L’objectif était la paix entre Israël et un nouvel État de Palestine.

 

Lorsque le pro*cessus d’Oslo prit fin avec les assas*sinats de Yitzhak Rabin et de Yasser Arafat, Marwan et son orga*ni*sation devinrent des cibles. Les diri*geants israé*liens suc*cessifs –Ben*jamin Néta*nyahou, Ehoud Barak et Ariel Sharon – déci*dèrent de mettre un terme au projet de deux États. Au cours de la brutale “opé*ration Defensive Shield” [Rempart] (lancée par le ministre de la Défense Shaul Mofaz, le nouveau diri*geant du parti Kadima), l’Autorité pales*ti*nienne fut attaquée, ses ser*vices détruits et beaucoup de ses mili*tants arrêtés.

 

Marwan Bar*ghouti fut traduit en justice. On pré*tendit qu’en qualité de diri*geant du Tanzim il était res*pon*sable de plu*sieurs attentats “ter*ro*ristes” en Israël. Son jugement fut une farce, évoquant plus l’arène romaine d’un combat de gla*dia*teurs qu’un pro*cessus judi*ciaire. Le hall était rempli de gens de droite qui hur*laient, se pré*sentant comme “vic*times du ter*ro*risme”. Des membres de Gush Shalom élevèrent des pro*tes*ta*tions contre le jugement dans l’immeuble du tri*bunal mais il ne nous fut pas permis d’approcher l’accusé où que ce soit.

 

Marwan écopa de cinq condam*na*tions à vie. La photo qui le montre levant ses mains menottées au-​​dessus de la tête est devenue une icône nationale pales*ti*nienne. Lorsque j’ai rendu visite à sa famille à Ramallah, elle était accrochée dans le salon.

 

EN PRISON, Marwan Bar*ghouti fut immé*dia*tement reconnu comme le leader de tous les pri*son*niers du Fatah. Il est res*pecté également par les mili*tants du Hamas. Ensemble, les diri*geants empri*sonnés du Fatah et du Hamas ont fait plu*sieurs décla*ra*tions appelant à la récon*ci*liation et à l’unité des Pales*ti*niens. Elles ont été lar*gement dif*fusées à l’extérieur, sus*citant admi*ration et respect.

 

(Des membres de la famille Bar*ghouti élargie, soit dit en passant, jouent un rôle majeur dans les affaires pales*ti*niennes sur toute l’étendue du spectre, des modérés aux extré*mistes. L’un d’entre eux est Mus*tapha Bar*ghouti, un médecin diri*geant d’un parti pales*tinien modéré qui a beaucoup de liens avec l’étranger. Je le ren*contre régu*liè*rement au cours de mani*fes*ta*tions à Bilin et ailleurs. J’ai plai*santé un jour sur le fait que nous pleu*rions tou*jours lorsque nous nous retrou*vions – à cause des bombes lacry*mo*gènes. La famille a ses racines dans un groupe de vil*lages au nord de Jérusalem.)

 

ACTUEL*LEMENT’ MARWAN Bar*ghouti est considéré comme le can*didat qui s’impose à la tête du Fatah et comme pré*sident de l’Autorité Pales*tienne pour prendre la suc*cession de Mahmoud Abbas. C’est l’une des très rares per*son*na*lités sus*cep*tibles de réunir autour d’elles tous les Pales*ti*niens, tant Fatah que Hamas.

 

Après la capture du soldat israélien Gilad Shalit, lors de la dis*cussion de l’échange de pri*son*niers, le Hamas plaça Marwan Bar*ghouti en tête de la liste des pri*son*niers pales*ti*niens dont il demandait la libé*ration. C’était là un geste tout à fait inha*bituel dans la mesure où Marwan appar*tenait à la faction rivale – et vilipendée.

 

Le gou*ver*nement israélien raya immé*dia*tement Marwan de la liste et demeura inflexible. Lorsque Shalit fut enfin libéré, Marwan resta en prison. On le consi*dérait évidemment comme plus dan*gereux que des cen*taines de “ter*ro*ristes” du Hamas qui avaient “du sang sur les mains”.

 

Pourquoi ?

 

Des cyniques pour*raient dire : parce qu’il veut la paix. Parce qu’il tient à la solution à deux États. Parce qu’il est capable de faire l’unité du peuple pales*tinien dans ce but. Autant de bonnes raisons pour que Néta*nyahou le garde der*rière les barreaux.

 

ALORS QU’A DIT Marwan à son peuple cette semaine ?

 

Il est clair que sa position s’est durcie. Comme aussi, on peut le penser, la position du peuple pales*tinien de façon générale.

 

Il appelle à une troi*sième intifada, un sou*lè*vement de masse non-​​violent dans l’esprit du Prin*temps arabe.

 

Son mani*feste est un rejet clair de la poli*tique de Mahmoud Abbas qui main*tient une coopé*ration limitée mais capitale avec les auto*rités d’occupation israé*liennes. Marwan appelle à une rupture totale de toute forme de coopé*ration, écono*mique, mili*taire ou autre.

 

Un point central de cette coopé*ration est la col*la*bo*ration quo*ti*dienne des ser*vices de sécurité pales*ti*niens, formés par les Amé*ri*cains, avec les forces d’occupation israé*liennes. Ces accom*mo*de*ments ont été un coup d’arrêt efficace aux vio*lentes attaques pales*ti*niennes dans les ter*ri*toires occupés et en Israël même. Ils garan*tissent en pra*tique la sécurité des colonies israé*liennes qui se déve*loppent en Cisjordanie.

 

Marwan appelle aussi au boycott total d’Israël, des ins*ti*tu*tions et des pro*duits israé*liens dans les ter*ri*toires occupés et partout dans le monde. Les pro*duits israé*liens devraient dis*pa*raître des bou*tiques de Cis*jor*danie et les pro*duits pales*ti*niens faire l’objet d’une promotion.

 

Dans le même temps, Marwan plaide pour que l’on mette fin à la comédie qu’on appelle “négo*cia*tions de paix”. D’ailleurs on n’emploie plus jamais cette expression en Israël. D’abord elle a été rem*placée par “pro*cessus de paix” puis “pro*cessus poli*tique” et der*niè*rement par “la question poli*tique” Le simple mot de paix est devenu tabou chez les gens de droite tout comme chez la plupart des “gens de gauche”. C’est un poison politique.

 

Marwan propose d’officialiser l’absence de négo*cia*tions de paix. En finir avec les dis*cus*sions inter*na*tio*nales sur la “réac*ti*vation du pro*cessus de paix”, en finir avec l’empressement témoigné à des per*son*nages ridi*cules comme Tony Blair, en finir avec les dis*cours creux d’Hillary Clinton et de Catherine Ashton, en finir avec les décla*ra*tions sans contenu du “Quartet”. Depuis que le gou*ver*nement israélien a clai*rement aban*donné la solution à deux États – qu’il n’avait d’ailleurs jamais acceptée dès le départ – continuer à y pré*tendre ne fait que nuire au combat palestinien.

 

Au lieu de cette hypo*crisie, Marwan propose de reprendre la bataille aux Nations unies sur de nou*velles bases. D’abord, en appeler de nouveau au Conseil de Sécurité pour l’admission de la Palestine comme État membre, en mettant au défi les États-​​Unis de faire, ouver*tement et seuls, usage de leur véto contre pra*ti*quement le monde entier. Après le rejet attendu de la demande pales*ti*nienne par le Conseil du fait du véto, demander une décision de l’Assemblée Générale dans laquelle la grande majorité voterait favo*ra*blement. Bien que non contrai*gnant, cela mon*trerait que la liberté de la Palestine béné*ficie du soutien d’une majorité écra*sante de la famille des nations, isolant encore plus Israël (et les États-​​Unis)

 

Paral*lè*lement à cette démarche, Marwan met l’accent sur l’unité pales*ti*nienne, en faisant appel à sa force morale consi*dé*rable pour faire pression tant sur le Fatah que sur le Hamas.

 

EN RÉSUMÉ, Marwan Bar*ghouti a perdu tout espoir d’obtenir la paix en coopérant avec Israël, ou même avec les forces d’opposition israé*liennes. Le mou*vement de la paix israélien n’est plus men*tionné. “Nor*ma*li*sation” est devenue un gros mot.

 

Ces idées ne sont pas nou*velles, mais venant du pri*sonnier pales*tinien N° 1, le can*didat le plus en vue à la suc*cession de Mahmoud Abbas, le héros des masses pales*ti*niennes, elles signi*fient un tournant dans une direction plus mili*tante, tant par leur contenu que par leur tonalité.

 

Marwan reste orienté vers la paix – comme il l’a clai*rement exprimé quand, lors d’une récente et rare com*pa*rution devant le tri*bunal, il a déclaré aux jour*na*listes israé*liens qu’il conti*nuait à sou*tenir la solution à deux États. Il reste aussi engagé dans l’action non-​​violente, en étant venu à la conclusion que les attaques vio*lentes d’hier por*taient pré*judice à la cause pales*ti*nienne au lieu de la servir.

 

Il veut appeler à mettre un terme au glis*sement pro*gressif et invo*lon*taire de l’Autorité Pales*ti*nienne vers une col*la*bo*ration de type Vichy, tandis que l’expansion de “l’entreprise de colo*ni*sation” se poursuit imperturbablement.

 

CE N’EST PAS par hasard que Marwan publie son mani*feste à la veille du “Jour de la Terre”, la journée mon*diale de pro*tes*tation contre l’occupation.

 

Le “Jour de la Terre”est l’anniversaire d’un événement qui s’est produit en 1976 en pro*tes*tation contre la décision du gou*ver*nement israélien d’exproprier d’énormes sur*faces de terres pos*sédées par des Arabes en Galilée et dans d’autres régions d’Israël. L’armée israé*lienne et la police ont ouvert le feu sur les pro*tes*ta*taires, tuant six d’entre eux. (Le jour suivant, deux de mes amis et moi avons déposé des cou*ronnes sur les tombes des vic*times, une action qui me valut une explosion de haine et d’insultes comme j’en ai rarement subies.)

 

Le Jour de la Terre a marqué un tournant pour les citoyens arabes d’Israël ; c’est devenu plus tard un symbole pour tous les Arabes. Cette année, le gou*ver*nement de Néta*nyahou a menacé de tirer sur toute per*sonne qui s’approchera de nos fron*tières. Cela peut bien être le présage de la Troi*sième Intifada annoncée par Marwan.

 

Il y a un moment main*tenant que le monde a perdu beaucoup de son intérêt pour la Palestine. Tout semble calme. Néta*nyahou a réussi à détourner l’attention de la Palestine vers l’Iran. Mais dans ce pays rien n’est stable de façon durable. Alors qu’il semble que rien ne se passe, les colonies croissent sans inter*ruption, et c’est aussi le cas de la pro*fonde colère des Pales*ti*niens qui voient cela se pro*duire sous leurs yeux.

 

Le mani*feste de Marwan Bar*ghouti exprime les sen*ti*ments presqu’unanimes des Pales*ti*niens de Cis*jor*danie et d’ailleurs. Comme Nelson Mandela dans l’Afrique du Sud de l’Apartheid, l’homme qui est en prison pourrait bien avoir plus d’importance que les diri*geants qui sont dehors.

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