Terbhou 10 Posted April 10, 2012 Partager Posted April 10, 2012 Par Marc Riglet (Lire), publié le 10/04/2012 à 12:00 La commémoration des accords d'Evian est prétexte à une hyperproduction éditoriale célébrant tout ce que l'Histoire a pu dicter avant et après ces événements. Notre sélection. Il va falloir choisir. La commémoration du XXe anniversaire des accords d'Evian qui closent la guerre d'Algérie est source d'une production éditoriale pharaonique. Tout fait ventre. On extrait des stocks les vieux titres. On raconte l'histoire en images. On sollicite les souvenirs d'anciens combattants. On va même jusqu'à inventer une histoire de la guerre d'Algérie par ceux qui ne l'ont pas vécue! Ainsi de ces ouvrages construits sur les témoignages d'enfants, de petits-enfants, de neveux, de nièces... que sais-je?, dont les géniteurs et collatéraux ont été contemporains, acteurs, victimes, de la guerre en question! Les genres sollicités sont généreusement variés: histoire savante, histoire vulgarisée, pour adultes, pour enfants, histoire-mémoire, histoire des témoins, et puis aussi récits, romans... Le champ même de la commémoration semble être sans bornes. Il s'étend, en amont de la guerre d'Algérie proprement dite, à l'histoire de l'Algérie coloniale et, en aval, à celle de l'Algérie indépendante. Surtout, on s'avise que cette guerre d'Algérie, qui s'était employée si obstinément à ne pas se nommer -les "événements" d'Algérie, disait-on en France en ce temps-là -, recouvre, en fait, au moins trois guerres: la guerre d'Algérie des Algériens, la guerre d'Algérie des Français d'Algérie, la guerre d'Algérie, enfin, des Français de France. Socialisme: le temps des désillusions L'indépendance de l'Algérie a ses vaincus notoires. Les pieds-noirs, bien sûr, pour qui elle sonnera le glas d'une illusion: celle d'une Algérie française réduite aux intérêts bornés de sa population d'origine européenne. Et puis aussi les Algériens musulmans engagés aux côtés de l'armée française dans la lutte contre le FLN: notables, harkis, pauvres bougres que les malheurs des temps jettent du mauvais côté de l'histoire. De ces groupes-là, on sait les pérégrinations et les tourments. On connaît moins les déceptions douloureuses d'une population d'autant plus attachante qu'elle aura été très minoritaire: celle que constituent les Algériens et Algériennes qui attendaient de l'Algérie indépendante qu'elle fût socialiste, démocratique, francophone, universaliste et laïque. C'est peu de dire que ceux-là en furent pour leurs frais. Wassyla Tamzali, jeune femme de bonne famille, fille d'un couple on ne peut plus improbable dans l'Algérie coloniale -mère française d'origine espagnole et père musulman-, vivra avec enthousiasme, passion et, il faut bien le dire, un total aveuglement, les premières années de l'indépendance. Elle raconte dans un livre admirable de sensibilité les tours et détours de ses désillusions. Car il fallut un certain temps pour que s'imposent les réalités d'une Algérie au parti unique corrompu, une Algérie engagée dans une réforme agraire désastreuse, une Algérie "arabisée" dans des conditions si lamentables qu'on a pu dire qu'au terme de cette brillante opération les Algériens étaient devenus analphabètes en deux langues -le français et l'arabe-, une Algérie, enfin, profondément tribale et musulmane, réfractaire à toute idée de libertés démocratiques et d'émancipation universaliste. Dans cette Algérie-là, qui reste celle d'aujourd'hui, il n'y avait pas de place pour une jeune femme "de gauche", moderne, et libre. Wassyla Tamzali l'a donc fuie. Puis retrouvée, car qui a connu une fois l'Algérie la garde au coeur pour toujours. Un beau livre triste. Ajoutons une caractéristique de la commémoration de cette fin de la guerre d'Algérie, caractéristique d'ailleurs qui marque l'ensemble des commémorations de nos temps mémoriels. Tout se passe comme s'il fallait à toute force convaincre qu'il existe encore des pans entiers d'une histoire cachée! Dissimulée, l'histoire de la colonisation et de ses violences? Ignorée, celle du mouvement national algérien? Mises sous le boisseau, les horreurs de la guerre? Tus, la torture, les cruautés des fellaghas, les règlements de comptes entre Algériens, les massacres des harkis? Il n'en est rien, évidemment. La guerre d'Algérie, depuis longtemps, se lit à livre ouvert. L'histoire même de l'Algérie coloniale est très tôt largement défrichée. On songe à l'ouvrage pionnier du grand Charles-André Julien, Histoire de l'Afrique du Nord (Payot, 1931). On se souvient des Algériens musulmans et la Francede Charles-Robert Ageron (PUF, 1968). On reste marqués par l'exemplaire synthèse de Jean-Claude Vatin, L'Algérie politique: histoire et société, parue en 1974, toujours disponible aux Presses de Sciences Po, et par la probe histoire du FLN, Le FLN, mirage et réalitéde Mohammed Harbi (Editions Jeune Afrique, 1980). Ainsi dispose-t-on avec ces quatre titres, depuis trente ans déjà, du socle d'une histoire solidement fondée. Et puis, pour la génération suivante, il faut évidemment adjoindre les travaux de Benjamin Stora. Benjamin Stora, chef de file des recherches historiques On ne s'étonnera pas qu'en ces temps de commémoration celui qui est devenu le chef de file des recherches historiques sur l'Algérie soit conduit à signer d'innombrables préfaces. Il y a maintenant quelques années qu'il a gagné ses galons de "pape" de la discipline. Son implication personnelle dans cette histoire -une enfance juive à Constantine- n'aura rendu que plus sensible sa manière d'écrire l'histoire de l'Algérie coloniale et celle de sa guerre de libération. Et même ses inclinations trotskistes de jeunesse, comme ses indulgences pour le Mouvement national algérien de Messali Hadj, ne l'auront pas tenu trop éloigné des rigueurs et des disciplines du métier d'historien. C'est pourquoi, dans la bibliothèque algérienne que se doit de constituer tout honnête homme amateur d'histoire, on disposera aux tout premiers rangs son Histoire de l'Algérie, XIXe- XXe siècles, publiée à La Découverte, et disponible en trois volumes dans la version poche de la collection Repères. Son premier tome, Histoire de l'Algérie coloniale (1830-1954) est une synthèse complète des recherches sur le sujet. On prend la mesure de ce que fut la violence de cette entreprise coloniale lorsque l'on note que la population autochtone est passée de 4 millions en 1830 à 2 millions en 1871, date à laquelle la dernière résistance, celle d'El Mokrani, est matée dans les montagnes de Kabylie. Le deuxième volume est consacré à la guerre d'Algérie. Mise à jour d'un ouvrage paru en 1993, traitée sans affect mais non sans sensibilité, cette Guerre d'Algérie est soigneusement séquencée, précisément analysée du point de vue des passions des différents protagonistes, évaluée enfin sous le rapport de ses dégâts -500 000 morts dont une écrasante majorité d'Algériens musulmans. Le troisième volume traite de l'Algérie indépendante, jusqu'à la guerre civile. Rien n'est dissimulé du fiasco économique, social, culturel de l'Algérie algérienne. Et entre le parti des militaires corrompus et celui des islamistes médiévaux, on ne saurait distinguer le plus présentable tant l'un, le FLN, aura été le "père" de l'autre, le FIS! Voilà donc trois petits livres, mais fort denses, qui couvrent l'ensemble de la période. Mais si vous souhaitez entrer dans moins de détails, Benjamin Stora a pensé à vous. Au Seuil, sur le principe de "l'histoire expliquée à ma fille, à mon fils...", il nous offre une Guerre d'Algérie expliquée à tous qui résume, sans simplifier, le sujet. Faut-il encore choisir dans les guerres d'Algérie illustrées? Celle que propose Tramor Quemeneur, chez Géo Editions, est sans doute une des plus maîtrisées. Mais, finalement, le grand ouvrage inédit de synthèse que mérite l'anniversaire des accords d'Evian, il faudra attendre septembre pour le déguster. Plus de quatre-vingts historiens, Français, Algériens et quelques autres nobles étrangers, se sont en effet rassemblés pour écrire, aux éditions de La Découverte, une Histoire de l'Algérie coloniale de 1830 à 1962. Elle promet d'être magistrale. Les Editions de Minuit: la liberté de pensée Deux ouvrages sont très célèbres: La Question d'Henri Alleg et L'Affaire Audin de l'historien Pierre Vidal-Naquet. D'autres sont sortis de notre mémoire: La Gangrène et l'Oubli, Provocation à la désobéissance: le procès du déserteur, Le Désert à l'aube, Les Belles Lettres, Itinéraire... Tous ces livres ont été publiés par Jérôme Lindon, aux Editions de Minuit, au plus fort de la guerre d'Algérie. Saisis, condamnés, diffusés clandestinement, opportunément réédités aujourd'hui, ils constituent la précieuse documentation d'un aspect décisif de la guerre d'Algérie: la révolte morale d'une fraction de l'intelligentsia française contre une guerre sale, conduite au mépris des valeurs dont se réclamaient ceux qui la conduisaient. Il faut relire ces livres, tous brefs et denses, et notamment ce chef-d'oeuvre de dénonciation de la torture qu'est La Question, pour comprendre qu'il y a des moyens que ne justifie aucune fin. Pour comprendre aussi que, dans ces conditions, l'Algérie française était une cause irrémédiablement perdue. Comme le rappelle Anne Simonin dans un texte précieux, que l'éditeur offre aux acheteurs de ces rééditions, les Editions de Minuit ont légitimé un "droit à la désobéissance", mais elles ont aussi tenu haut l'étendard de la liberté de pensée, restant ainsi fidèles aux principes qui les avaient vu naître au temps de la Résistance. 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